Si les illusions d’optique vous rendent dingue, lisez donc Enthoven

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  • @raspa Une excellente réponse de Titiou Lecoq aux dernières conneries enthoviennes :

    Ses raisonnements sont logiques et pourtant, ils aboutissent souvent à un non-sens. Comment ce miracle rhétorique est-il possible ?

    http://www.slate.fr/story/166898/raphael-enthoven-homme-universel-raisonnement-rapports-domination-privileges

    Au-delà du minutieux décortiquage de ses derniers propos et d’autres plus anciens (et des hypnotiques illustrations), je trouve surtout que tout l’article constitue au final une excellente explication de la notion de privilège social.
    (c’est moi qui graisse)

    Sur la pensée « hors tout » :

    En fait, il y a un point de décrochage qu’on peut retrouver dans la plupart de ces raisonnements. Raphaël Enthoven pense hors de tout, en maniant de purs concepts hors situation, mais surtout hors historicité et donc hors rapport de force. Revenons sur l’écriture inclusive qu’il avait pourfendue partout. [... blablabla "lacération de la Joconde"], « penser qu’on va modifier la langue par un décret (et en vertu d’une morale) relève, à mon sens, d’une ambition totalitaire avantageusement recouverte par le souci de lutter pour l’égalité hommes-femmes ». Ses arguments oubliaient notoirement que ladite langue avait précédemment été nettoyée par les académiciens, passée au filtre de la misogynie avec décrets, ambition totalitaire et soucis d’ordre moral. Non seulement Raphaël Enthoven pense la langue comme un objet mémoriel, donc figé et atemporel, mais en prime, il ne connaît pas l’histoire de cette langue qu’il prétend défendre.

    Comme l’illusion d’optique fait fi de certaines réalités du monde physique.

    Sur l’illusion de l’égalité entre lui et l’ensemble des autres êtres humains :

    Je crois que quand [4consonnes&3voyelles] veut débattre avec [Rokhaya Diallo] en public sur Twitter, il est sincèrement convaincu qu’ils sont sur un pied d’égalité. Ce qui est faux en terme de situation. À chaque fois qu’il l’apostrophe, elle se prend des torrents de boue dont il n’a pas idée. Il n’a pas conscience que sur internet, il jouit d’un confort qu’elle n’a pas.

    Ça me rappelle une conversation avec mon père : on parlait d’une copine de mon frère bien connue par toute la famille qui avait bien galéré à une rencontre de boulot, (en gros personne l’écoutait alors qu’elle devait dire un truc pro important) : 25 ans tout juste, un petit mètre 60, dans la boîte depuis pas longtemps et en tant qu’alternante, avec son accent brésilien encore bien perceptible, sa voix toute petite minée par le manque de confiance en elle...
    Et mon père qui raconte la stratégie que lui a déployé avec ses collègues dans un cas similaire... et ma mère et moi qui lui rappelons la légère différence de positionnement social entre eux deux... Bon, il en avait un peu conscience, mais clairement pas assez.

    Mais le fait de penser de façon aussi abstraite n’est pas une simple erreur. C’est un choix philosophique. Raphaël Enthoven dénonce ce qu’il appelle « un tropisme contre-révolutionnaire qui nie tout homme universel et ne reconnaît d’existence qu’à des êtres enracinés dans une culture ». Eh bien, oui, je l’avoue. Je nie tout homme universel. Ce que je reconnais, ce sont des principes universels, les droits humains, comme la liberté, dont devraient bénéficier l’ensemble des êtres humains réels. Mais nous sommes tous et toutes enracinées, résultat du croisement d’une multitude de facteurs culturels, historiques, sociaux, économiques, biologiques, etc. Or Enthoven croit profondément que « les gens ne pensent pas seulement comme ils sont. Ils pensent aussi. Tout court. Loin de toute appartenance ».

    Deux choses là-dessus :
    – La distinction entre des principes universels et le fait qu’aucun être humain n’est universel (et que donc, toute application d’un principe universel ne peut, justement, se faire de façon universelle : on ne garantira pas la liberté de la même façon à une femme soudanaise réfugiée et analphabète qu’à notre ami Raphaël). C’est une formulation qui m’éclaire particulièrement.
    – Le « penser tout court et loin de toute appartenance » m’a immédiatement mis en tête tes vieux chercheurs qui t’ont pourri ton atelier avec leur incapacité à concevoir que tout point de vue est situé (et qu’eux, vieux hommes blancs, ont bien sûr La Vérité Pure et Parfaite et Objective). Cf la suite, qui s’applique parfaitement à eux :

    Et c’est d’autant plus difficile quand on jouit de privilèges parce que le privilégié croit toujours que son regard sur le monde est universel, la preuve : c’est sa vision du monde qui domine partout. Il se voit donc légitimé en permanence. Il peut traverser la vie et penser sans réfléchir à sa position dominante parce qu’il ne la ressent pas.

    Avec la conclusion, appel à la vigilance :

    Dire que toute pensée est forcément située, ce n’est pas abandonner l’idée de réfléchir mais au contraire, exiger une vigilance encore plus grande, un effort supplémentaire pour commencer par déconstruire ce qui, de notre point de vue, paraît évident. Cela implique parfois de penser contre soi-même, d’accepter qu’on a des privilèges, et d’écouter ceux qui n’en ont pas. On sera toujours le fruit d’appartenances, mais en multipliant l’écoute et les échanges avec d’autres, des autres qui ont des expériences différentes, on pourra espérer élaborer une pensée un peu plus universelle.

    Chose impossible tant qu’on reste arc-bouté à l’idée qu’on est déjà un homme universel.

    (promis, j’ai même pas copié tout l’article :-D )