Sauver les migrants, c’est nous sauver nous-mêmes

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    L’enchaînement est logique : la question des migrants n’est autre que la question de nous-mêmes. Se fermer aux uns, c’est se replier sur soi. Le rapport au lointain détermine notre vision du prochain. Du moins si l’on se réclame de l’émancipation, ce mouvement infini et toujours inachevé de libération des servitudes et des oppressions, ce que l’on nomme d’ordinaire la gauche, et dont Gilles Deleuze (1925-1995) aimait dire qu’elle n’est pas affaire de gouvernement mais de perception. Quand les conservateurs pensent au plus près d’eux-mêmes, de leurs privilèges ou de leurs conforts, fussent-ils médiocres, voire infimes, être de gauche, c’est au contraire regarder au loin, vers l’horizon : penser avec le lointain pour agir au plus près.

    Comme la question coloniale hier, la question migratoire est aujourd’hui le moment de vérité des gauches, dans leur diversité (lire l’article de Pauline Graulle présentant leurs positions). À l’époque de l’empire français finissant, une gauche qui prétendait sauver des avantages sociaux ici (en métropole) en maintenant des injustices là-bas (dans les colonies) finit par y perdre son âme, ruinant les droits fondamentaux, généralisant la torture militaire et donnant la main à l’extrême droite. De même, en nos temps d’Union européenne affaiblie, toute gauche qui prétendra défendre et étendre nos conquêtes sociales par le rejet des populations migrantes fera la courte échelle à ses pires adversaires de toujours, ces ennemis de l’égalité des droits dont la ruse privilégiée est la préférence nationale qui leur permet de rendre naturelle l’inégalité, par le détour des hiérarchies d’origine, de culture, d’apparence et de croyance.

    De la même manière qu’hier, un peuple qui acceptait d’en opprimer un autre ne pouvait être libre, puisque faisant dès lors le jeu de ses maîtres, aujourd’hui un peuple qui acceptera de rejeter l’humanité qui frappe à sa porte ne saura plus défendre sa propre humanité, parce qu’il aura accepté la remise en cause de droits fondamentaux. Car c’est à l’occasion des obsessions sécuritaires portées par la question migratoire que nous nous habituons à l’existence de camps en Europe où l’on enferme des personnes n’ayant commis aucun délit mais simplement fait valoir un droit naturel, énoncé par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » C’est ainsi que nous nous accoutumons à l’enfermement de mineurs au mépris des droits de l’enfance, aux entraves à la liberté d’aller et venir, aux régressions de la liberté d’expression et du droit de contestation, à la remise en cause du droit d’asile, aux discours et aux actes xénophobes, à la criminalisation de la solidarité, etc.

    #Migrations #Edwy_Plenel