Alors sujet casse-gueule, mais allons-y : je vois déjà passer un communiqué de la France insoumise « Qui est Michel Barnier », reprenant une affirmation de Têtu l’accusant d’homophobie, et qui circule déjà énormément :
« Il a voté contre la décriminalisation de l’homosexualité en 1981 ».
Il me bien que non : il a voté contre l’amendement qui alignait l’âge de la majorité sexuelle des pour les relations homosexuelles (alors à 18 ans) et hétérosexuelles (15 ans). Les raisons du vote contre cet amendement sont, de manière assez transparente, homophobes (le texte introduisant cette discrimination contre les homosexuels avait été décrété sous Pétain), mais ça n’est tout de même pas du tout la même chose que de voter « contre la décriminalisation de l’homosexualité ».
Article de 2018 sur le même sujet (mais à propos de Fillon) :
▻https://www.liberation.fr/checknews/2018/06/18/l-homosexualite-a-t-elle-ete-depenalisee-en-1791-ou-en-1982_1660079
François Fillon avait-il raison, quand il dit que ce n’est pas l’homosexualité qui a été dépénalisée en 1982 ? Régis Revenin explique : « en 1982, c’est la fin de cette discrimination dans l’âge de “majorité sexuelle” entre relations entre personnes de sexe opposé (15 ans) et de même sexe (21 ans jusqu’en 1974, 18 ans depuis 1974, car la majorité civile avait été abaissée sous VGE) qui a été supprimée. Donc il ne s’agit toujours pas au sens strict, en 1982, de “dépénalisation” de l’homosexualité, mais de mettre au même âge la “majorité sexuelle” pour tout le monde. »
Une interprétation que partage aussi Thierry Pastorello : « en 1982 on retire l’alinéa de l’article 331 de l’Ancien Code pénal qui doublait la peine en cas de détournement de mineur au titre de délit contre nature mais ceci n’était valable que dans ce cas précis. L’homosexualité en soi n’était pas condamnable. » L’alinéa 2 de l’article 331 du Code pénal prévoyait l’incrimination « de quiconque aura commis un acte impudique ou contre nature avec un individu mineur du même sexe ».
Article auquel a répondu Têtu (février 2024) :
▻https://tetu.com/2024/02/13/histoire-gay-lgbt-depenalisation-homosexualite-france-1791-ou-1982
Et franchement, est-ce que la gauche a très envie de retourner là-dessus ? Parce que certes c’était une culture war pour la droite, mais ça l’était aussi pour une partie de la gauche, et le débat de la fin des années 70 a été lourdement marqué par des outrances pro-pédophiles indéfendables. À commencer par la fameuse pétition du Monde de 1977 rédigée par Gabriel Matzneff sur l’Affaire de Versailles.
►https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriel_Matzneff
Le 26 janvier 1977, Gabriel Matzneff rédige un appel demandant au tribunal, à la veille de leur procès, de libérer trois hommes en détention préventive depuis trois ans et deux mois et inculpés d’attentat à la pudeur sans violence sur des mineurs de quinze ans, les signataires pensant qu’il n’y a eu que baisers et caresses, en raison du secret de l’instruction : c’est l’affaire de Versailles. Le texte est publié dans les pages « tribunes libres » du journal Le Monde puis le lendemain dans Libération, mais Gabriel Matzneff n’apparaît pas comme son auteur.
[…]
Le 23 mai de la même année, lorsque le jugement de l’affaire de Versailles est rendu, les signataires du texte de janvier en signent un second, plus prudent, qui tente de relativiser la portée du premier, en mettant surtout l’accent sur le fait que la majorité sexuelle est à 18 ans pour les homosexuels contre 15 ans pour les hétérosexuels, afin de demander la fin de cette discrimination. C’est seulement en 1982 que la loi abolira cette discrimination, conformément à une promesse de campagne présidentielle de François Mitterrand.
Gabriel Matzneff signe — avec notamment Jean-Paul Sartre, Philippe Sollers, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Alain Robbe-Grillet, Françoise Dolto, Jacques Derrida, Louis Althusser, Jean-Louis Bory, Gilles Deleuze, Michel Foucault et Christiane Rochefort — une lettre ouverte à la commission de révision du code pénal. Des extraits sont publiés par le journal Le Monde68, qui cite les rappels des lois de 1810, 1836, 1863 et 1945 faits par la pétition68. Le journal mentionne l’affaire de Versailles, dont le verdict vient d’être rendu, cinq ans de prison avec sursis68. Les signataires « demandent que le dispositif pénal soit allégé, pour que de telles affaires, aujourd’hui passibles de la cour d’assises, soit jugées par un tribunal correctionnel », car « la détention préventive, en matière correctionnelle, ne peut excéder six mois »69.
[…]
Ces pétitions « touchant à la norme et à la transgression dans des domaines aussi délicats que les rapports avec les enfants leur conféra parfois, par le ton utilisé, un caractère désinvolte […] qui les placera ensuite en porte-à-faux », expliquera en 2007 l’historien Jean-François Sirinelli73, pour qui les motivations des signataires sont très différentes de l’un à l’autre74.
Pour être clair, le débat demandant la fin de la discrimination sur l’âge du consentement pour les jeunes homosexuels est très marqué par la « Lettre ouverte à la commission de révision du code pénal sur la sexualité des grands mineurs » de 1977 :
►https://www.dolto.fr/fd-code-penal-crp.html
Or cette lettre contient des considérations plus générales sur le consentement des mineurs, dont je ne doute pas qu’ils ont renforcé l’opposition (ou servi d’alibi à l’homophobie) de la droite, considérations totalement indéfendables aujourd’hui :
Mais surtout, par delà le cas des accusés, l’affaire des Yvelines, jugée en audience publique, a posé le problème de savoir à quel âge des enfants ou adolescents peuvent être considérés comme capables de donner librement leur consentement à une relation sexuelle.
C’est là un problème de société. Il appartient à la Commission de Révision du Code Pénal d’y apporter la réponse de notre temps, puisque c’est elle qui est chargée de proposer au Gouvernement des textes rajeunis et actuels, qui devront ensuite être soumis au Parlement.
Les signataires de la présente lettre considèrent que l’entière liberté des partenaires d’une relation sexuelle est la condition nécessaire et suffisante de la licéité de cette relation.
[…]
Les signataires de la présente lettre dénoncent l’iniquité et le caractère discriminatoire de l’article 331 §3 du Code Pénal. Ils estiment que ce texte doit être abrogé, comme ont été heureusement abrogés les textes réprimant l’adultère, l’interruption de grossesse, et les pratiques anticonceptionnelles. Ils estiment, enfin, de façon plus générale, que les dispositions prétendant à une « protection » de l’enfance et de la jeunesse, comme l’article 334-1 concernant « l’incitation de mineurs à la débauche », qui peut permettre d’incluper toute personne « favorisant » ou « facilitant » des rapports sexuels entre mineurs, ou l’article 356 concernant le « détournement de mineurs », sont, de même que l’article 331, de plus en plus incompatibles avec l’évolution de notre société, justifiant des tracasseries et des contrôles purement policiers, et doivent être abrogés, ou profondément modifiés, dans le sens d’une reconnaissance du droit de l’enfant et de l’adolescent à entretenir des relations avec des personnes de son choix.
Ce dont on a déjà discuté ici :
►https://seenthis.net/messages/818757
►https://seenthis.net/messages/817814
Question qui a resurgit avec la plaque rendant hommage à Guy Hocquenghem. Par exemple l’éditorial de Frédéric Martel (septembre 2020) : Pourquoi la mairie de Paris n’aurait jamais dû rendre hommage au militant homosexuel Guy Hocquenghem
▻https://www.radiofrance.fr/franceculture/pourquoi-la-mairie-de-paris-n-aurait-jamais-du-rendre-hommage-au-militan
Il est vrai qu’entre 1974 et 1982, une injuste différence de majorité sexuelle suscitait la colère des activistes homosexuels : elle était fixée à 15 ans pour les hétérosexuels mais à 18 ans pour les homosexuels (article 331-2 du code pénal). Conformément à une promesse de campagne, François Mitterrand et son garde des Sceaux Robert Badinter ont abrogé cet article à l’été 1982, une seule majorité sexuelle étant désormais fixée pour tous à 15 ans.
Jusqu’en 1982, des intellectuels pouvaient donc légitimement pétitionner pour demander un abaissement de la majorité homosexuelle à 15 ans, ce qui fut le cas de Michel Foucault, Simone de Beauvoir, Roland Barthes et tant d’autres. Durant ces années, des militants « pro-pédophiles » (cela existait à l’époque, y compris avec des journaux et des guides spécialisés) se joignaient à eux. Activistes gays et militants « pro-pédophiles » (je pense ici encore à l’universitaire René Schérer ainsi qu’à Gabriel Matzneff, parmi d’autres) faisaient donc « pétition commune ». Après 1982-1983, cela ne fut plus possible. Les deux groupes se séparèrent : les militants gays cessant de défendre un abaissement de majorité sexuelle ; les autres, continuant leur combat en étant de plus en plus marginalisés. Gabriel Matzneff est évincé du journal Le Monde, Guy Hocquenghem l’a été un peu plus tôt de Libération.
Comme si on manquait d’éléments à charge parfaitement incontestables contre Barnier, pour aller chercher un truc approximatif que la droite va s’empresser de nous retourner dans la tronche avec des vieilles citations de Cohn-Bendit et se prévaloir d’une culture war dont elle sait parfaitement profiter (et cette fois sans même avoir à lancer le sujet).