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    A Song For Diane Arbus

    La Vie est l’une des plus anciennes rubriques du Désordre. Et aussi celle qui a le plus souvent changé de forme et d’aspect. Dans un premier temps, il s’agissait d’un collage de 600 pixels de large et à l’époque, 2003, ça paraissait large. Deux ans plus tard je me permettais une de ces audaces, on passait à 800 pixels de large, de la folie furieuse ! avant de passer au stade avancé de la démence : 1000 pixels de large. C’était autrefois.

Il y a ensuite eu la période dite de l’avalanche (sans doute l’une des réalisations du Désordre, avec la collaboration indispensable d’@archiloque, que je préfère), mois après mois, les photos prises tous les jours s’affichaient suivant un principe de sélection, de taille, de placement dans la page et d’opacité aléatoires, tout un chacun avait le sentiment de voir plus ou moins la même chose alors que personne ne voyait la même chose, ce qui est devenu un des principes directeurs du Désordre, c’en est même à se demander si cela n’a pas atomisé sa communauté de visiteurs et visiteuses. 

En 2016, j’ai ralenti le rythme de mes prises de vue, bien obligé le matériel a lâché, au bout de 300000 prises de vue, il paraît que c’est inespéré, foutue obsolescence programmée, quand je pense que de temps en temps juste pour en entendre le son il m’arrive de déclencher mon vieux 6X6 et ça continue très bien de fonctionner.

    Et du coup il manquait de nombreuses images pour faire une avalanche.

    J’ai tenté une formule dont je ne peux pas dire qu’elle m’a donné beaucoup de satisfaction, avec la raréfaction des images j’ai imaginé un défilement et une lecture plus lentes, soutenues par une bande-son-collage à la bonne franquette.

    En 2017 là j’ai carrément arrêté de prendre des photographies. J’ai tenté de le refaire un peu avec une série d’images que j’ai intitulée les #moindres_gestes. Une centaine d’images en six mois.

    C’est devenu les #flux_detendus, je ne me servais même plus de mon appareil-photo mais, on aura tout vu, de mon téléphone de poche.

    Bref j’étais dans une certaine forme d’arrêt à la fois libérateur et inquiétant dans mon travail de plasticien. C’était même à se demander si ce truc de jeune primo-romancier à 52 ans ne m’avait pas un peu monté à la tête.

    Et puis j’ai rangé mon garage-atelier. Ce faisant je suis tombé sur une ancienne image que j’avais affichée sur une sorte de tableau magnétique et qui avait été recouverte par quantité d’autres images et autres documents, principalement des listes et des listes de listes. Cette image n’est pas anodine. Tant s’en faut. Il s’agit d’une image du mur du fond de l’atelier de Diane Arbus avant déménagement complet de son atelier à sa mort. Et potentiellement avant destruction. C’était au-dessus de son lit. Elle y collait toutes sortes d’images, des tirages, des épreuves refusés, des bouts d’essai, des articles de journaux, des images de presse, tout un monde curieux qu’elle faisait et défaisait tous les mois. A la recherche inconsciente de nouvelles voies. En 1971 elle souffrait particulièrement de ne pas parvenir après les images d’Halloween dans une institution d’accueil de personnes handicapées mentales, à renouveler son travail, de lui trouver des formes nouvelles, alors elle tentait de ces grands collages imaginant que dans l’entrechocs entre deux ou trois images, elle trouverait de nouveaux chemins.

    Les raisons de son suicide à la fin de 1971 lui appartiennent entièrement et il ne me viendrait pas à l’esprit de penser que cette désespérance artistique ait joué un rôle dans son terrible suicide. En revanche quand j’ai pris connaissance de ce mur dont il ne restait qu’une seule image, la dernière du dernier état de ce mur, je me suis dit fort tristement qu’elle avait eu sous les yeux, tous les jours, une solution tout à fait valable à ce blocage de créativité qui la faisant tant souffrir, à savoir un immense collage de la taille d’un mur, elle en produisait de la sorte un par mois, quel dommage qu’elle n’ait pas pensé en faire une œuvre à part entière, quel dommage qu’elle n’y ait pas pensé pour son propre bien-être et quel dommage qu’elle n’y ait pas pensé, nous privant de la sorte de ce qui aurait vraisemblablement été des œuvres majeures.

    Toutes proportions mal gardées, j’ai affiché cette image du dernier mur de Diane Arbus dans un coin du garage il y a des années sur le tableau magnétique des projets en cours, comme une exhortation personnelle à garder les yeux ouverts sur la totalité de mon environnement et de ne rien négliger comme nouvelle piste. Et puis cette image s’est retrouvée enfouie sous d’autres, elle a disparu de mon regard en même temps que son exhortation à justement garder les yeux ouverts. Et, naturellement, en rangeant le garage cet été, je suis presque immédiatement tombé dessus et cela m’a donné l’idée d’une sorte de collage mensuel de tout ce qui pouvait retenir mon regard. Pêle-mêle. Sans ordre. Advienne que pourra.

    A Song For Diane Arbus.