Arrêté le 19 octobre alors qu’il menait des recherches sociologiques à Tunis, le doctorant de 27 ans est revenu en France. Le motif de son interpellation n’a pas été officiellement communiqué.
Par Monia Ben Hamadi (Tunis) et Nissim Gasteli (Tunis)
Victor Dupont, doctorant à l’université Aix-Marseille détenu en Tunisie depuis le 19 octobre, a regagné la France vendredi 15 novembre, trois jours après avoir été libéré de prison sur ordre de la justice militaire tunisienne. Le motif de son arrestation n’a jusqu’ici pas été officiellement communiqué.
« Cette libération est un immense soulagement pour ses proches et l’ensemble de ses collègues, qui sont encore sous le coup de l’émotion », a réagi Vincent Geisser, directeur de l’Institut de recherches et d’études sur les mondes arabes et musulmans (Iremam), rattaché à l’université Aix-Marseille et au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Plus tôt dans la semaine, une de ses amies, une franco-tunisienne, qui avait été arrêtée peu après lui, a également été libérée et a pu rejoindre la
La détention du chercheur, âgé de 27 ans, par la justice militaire a déclenché une forte mobilisation de la communauté scientifique des deux pays. Un comité de soutien a été créé, aussitôt après leur arrestation, afin de demander « leur libération immédiate » auprès des autorités tunisiennes et françaises. Le Quai d’Orsay avait sobrement assuré « suivre de près la situation » et être « en contact étroit avec les autorités tunisiennes à ce sujet ».
« Une diplomatie de terrain efficace »
Depuis, le mot d’ordre est resté celui de la discrétion, malgré une « mobilisation diplomatique » saluée par les proches et collègues du chercheur. « La diplomatie française a travaillé réellement sans donner des leçons. Il s’agit d’une diplomatie de terrain plus efficace que ce qu’on a connu du temps de la dictature de Ben Ali [1987-2011] », se félicite M. Geisser.
« Malgré les demandes de discrétion, il nous semblait important de rappeler que Victor Dupont était en Tunisie dans le cadre de ses recherches scientifiques et de couper court aux thèses selon lesquelles il n’était pas réellement étudiant, ajoute le directeur de l’Iremam. Il s’agissait pour nous de défendre la liberté académique, que ce soit pour nos collègues français en Tunisie ou tunisiens en France, c’est la même chose ».
Samedi 19 octobre, le jeune homme, arrivé une dizaine de jours plus tôt dans le pays pour y mener des entretiens dans le cadre de ses travaux sociologiques sur les trajectoires de participants à la révolution tunisienne de 2011, souhaitait profiter du beau temps pour s’échapper un week-end de Tunis, avec trois amis en visite dans le pays. Doctorant à l’Iremam, rattaché à l’université d’Aix-Marseille et au CNRS, Victor Dupont est familier de la Tunisie pour y avoir suivi pendant une année des cours de langue arabe.
Mais lorsque ses amis sont arrivés devant l’appartement qu’il louait en banlieue nord de la capitale, ils ont découvert Victor Dupont « plaqué contre un mur par cinq personnes », raconte Edouard Matalon, libraire à Paris. « Il m’a hurlé d’appeler l’ambassade. J’ai à peine eu le temps de parler au téléphone qu’un homme m’a attrapé. »
Plus de 170 militants ou citoyens critiques emprisonnés
Tous les quatre – tous citoyens français – ont été interpellés par les forces de l’ordre, « une vingtaine d’agents en civil », précise M. Matalon, puis conduits à la brigade d’El-Gorjani, sans qu’il sache ce qui leur était reproché. A l’issue de plusieurs heures d’interrogatoire, trois d’entre eux ont été relâchés, mais Victor Dupont a été mis en garde à vue.
Déféré le lundi suivant devant le tribunal militaire du Kef, dans l’ouest du pays, il a été placé sous mandat de dépôt, puis transféré à la prison de Mornaguia, près de Tunis. Venue avec un avocat le voir au tribunal militaire du Kef, l’une de ses amies a été arrêtée, placée à son tour sous mandat de dépôt et incarcérée à la prison de Manouba. Elle a été libérée en début de semaine.
Depuis son élection en 2019, et surtout son coup de force du 25 juillet 2021, le président tunisien Kaïs Saïed s’arroge de plus en plus de pouvoirs. Réélu en octobre avec 90,7 % des voix, dans un contexte de faible participation et un processus électoral verrouillé, il accuse régulièrement ses opposants de complot contre la sûreté de l’Etat et d’intelligence avec des puissances étrangères, principalement occidentales. Plusieurs figures politiques ont été arrêtées sur ces bases, alors que Human Rights Watch dénombre plus de 170 militants de l’opposition ou citoyens critiques emprisonnés, alimentant les critiques sur une dérive autoritaire et un recul des libertés fondamentales dans le pays.