La politique antiterroriste vue par les musulmans

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  • La politique antiterroriste vue par les musulmans
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/10/02/la-politique-antiterroriste-vue-par-les-musulmans_5363287_3224.html

    Une équipe de chercheurs universitaires a interrogé des musulmans sur le lien entre politique contre la radicalisation de l’islam et discriminations.

    La politique antiterroriste vue par les musulmans
    Une équipe de chercheurs universitaires a interrogé des musulmans sur le lien entre politique contre la radicalisation de l’islam et discriminations.

    Des associations militantes ont accusé, ces dernières années, la politique antiterroriste d’être porteuse de biais islamophobes. A leurs yeux, elle cible certains types de convictions et de pratiques religieuses, indûment retenus comme des indicateurs pertinents de dangerosité. En bref, ils accusent l’Etat d’être discriminatoire envers les musulmans dans sa conception et sa mise en œuvre de politiques antiterroristes, qu’elles soient répressives, préventives ou de renseignement.

    Une équipe d’universitaires a cherché à savoir si les musulmans eux-mêmes percevaient les choses de la sorte, et dans quelle mesure la politique antiterroriste et les discriminations étaient liées. La question leur semblait d’autant plus légitime que la France s’est tournée, après les assassinats commis par Mohammed Merah en 2012, puis plus encore après les attentats de 2015, vers une stratégie fondée sur la traque de la radicalisation. « A partir du moment où on a réfléchi en termes de radicalisation, on a mis l’accent sur une population considérée comme potentiellement radicalisable : les musulmans », résume Francesco Ragazzi, coordinateur de l’étude.

    Financé par l’Open Society Foundation de George Soros, ce travail a été conçu dans le cadre du Centre d’étude sur les conflits - Liberté et sécurité. Les universitaires se sont adjoint un « comité consultatif », où les associations militantes étaient bien représentées (Collectif contre l’islamophobie en France [CCIF], Stop le contrôle au faciès…), mais où était aussi présente la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Pour la première fois, leur étude fournit des données quantitatives sur l’impact des politiques antiterroristes sur la population musulmane.

    Les chercheurs se sont appuyés sur un sondage réalisé par téléphone du 5 février au 3 mars par l’IFOP. L’institut a extrait d’une population globale de 8 300 personnes un double échantillon. Le premier est composé de 426 personnes se disant musulmanes. Le second, de 501 individus sans relation avec la religion musulmane et représentatif de la population, sert de groupe témoin. Plusieurs séries de questions visaient à mesurer leur expérience personnelle et leur perception subjective de la discrimination, des politiques antiterroristes, leurs relations aux institutions ou encore leurs pratiques quotidiennes.

    Premier enseignement, pas forcément attendu : les musulmans se sentent individuellement exposés aux politiques antiterroristes (à travers le contact avec les forces de sécurité, mais aussi avec les travailleurs sociaux ou les éducateurs) dans les mêmes proportions que les non-musulmans. Ils indiquent même moins souvent avoir été en contact avec la police, dans ce cadre, que le reste de la population. Pourtant, un grand nombre d’entre eux (37,1 % contre 20,8 %) ont le sentiment d’être ciblés délibérément par les agents de cette politique, notamment les forces de police, et d’être moins bien traités par eux. Ils estiment le plus souvent être ciblés en raison de la couleur de leur peau (34,8 %) ou de leur origine (37 %) plus que de leur religion (15,2 %).

    Pourquoi l’hiatus qui se manifeste dans cette perception ? Parmi tous les facteurs étudiés par les chercheurs, l’un se révèle le plus efficace pour l’expliquer. Il s’agit de l’expérience passée de la discrimination. Le fait d’avoir été discriminé au cours des cinq dernières années abaisse systématiquement le niveau de confiance dans les institutions : plus une personne a été discriminée, moins elle a confiance dans les institutions. C’est aussi l’expérience de la discrimination au cours des cinq années passées qui explique le mieux un changement de comportement lorsqu’on est confronté à la politique antiterroriste (consultation des sites Internet, rapport aux médias, tenues vestimentaires, engagement politique et religieux…).

    Or les musulmans ont plus souvent (58,1 %) que les autres (26,9 %) le sentiment d’avoir été discriminés, que ce soit en cherchant un travail (29,8 % contre 13,6 % du groupe témoin), un logement (23,7 % contre 7,2 %), à l’école (17,6 % contre 5,4 %), lors d’un contrôle de police (24,4 % contre 4,8 %)… Ils n’attribuent pas majoritairement la discrimination dont ils ont été victimes à leur religion (citée par 23,5 %), mais d’abord à leur origine ou à la couleur de leur peau (58,3 %). Ces discriminations saperaient en quelque sorte la confiance dans les institutions et donc dans la légitimité de leur action, y compris antiterroriste.