L’OTAN, l’Ukraine et la Russie | Le Club
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Résumé géopolitique de 30 dernières années.
26/02/2022 - Bénédicte Monville
Écologiste, ex-conseillère régionale d’Île de France, conseillère municipale et communautaire de Melun
J’ai écrit ce texte les jours qui ont précédé et le jour même de l’entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine. Ce texte examine le rôle joué dans cette guerre par l’extension de l’OTAN à l’Est. Sans prétendre qu’il est le seul élément dont il faille tenir compte, j’y soutiens qu’une solution diplomatique passera nécessairement par l’assurance que l’Ukraine n’entrera pas dans l’OTAN.
Une solution diplomatique à la guerre de la Russie contre l’Ukraine passera nécessairement par le refus de la poursuite de l’élargissement de l’OTAN à l’Est et l’affirmation sans ambiguïté du fait que l’Ukraine n’intègrera pas l’OTAN.
La dramatique entrée en guerre de la Russie contre l’Ukraine montre à quel point les chancelleries européennes occidentales se sont trompées en pensant que le combat pour la paix et la démocratie en Europe pouvait passer par l’élargissement de l’OTAN à l’Est. À partir de 1991, leur alignement et le maintien d’une organisation défensive de la guerre-froide dont la seule raison d’existence, la menace soviétique, a disparu, consacre le leadership américain plutôt que d’inventer des formes d’intégration à l’Europe qui ne se confondent pas avec la défense des intérêts américains. Pire, les dirigeants européens occidentaux ont laissé l’OTAN se transformer en une organisation offensive et accompagné son extension à l’Est malgré l’accord de 1997 entre l’OTAN et la Russie sur le non déploiement par les US de nouvelles infrastructures militaires à l’Est.
Dès 1999, l’OTAN intègre la Hongrie, la Pologne et la République Tchèque. Dans la foulée, l’organisation attaque la Yougoslavie sans mandat de l’ONU. Une guerre de 78 jours (qui devait en durer 3 d’après l’administration américaine) menée par la plus puissante alliance militaire du monde et déclenchée avec l’assentiment des populations occidentales convaincues par le massacre de Racak, village du Kosovo, dont on a jamais pu établir les conditions exactes. Avec la chute du communisme, les résurgences nationalistes en Europe de l’Est et dans les Balkans eurent ainsi raison de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, non alignée et un des pays les plus grands, les plus développés économiquement et les plus divers des Balkans.
Cette première expansion de l’OTAN à l’Est, sa transformation en alliance offensive et son intervention en Yougoslavie sans mandat international et au mépris du conseil de sécurité où la Russie dispose d’un droit de véto, reviennent à traiter la Russie en vaincue. Un signe particulièrement ressenti par ses élites qui avaient pourtant souhaité l’effondrement de l’Union Soviétique et qui déplorent l’incapacité de l’administration américaine à sortir des carcans idéologiques de la guerre froide et le retour de la vieille politique du cordon sanitaire. Un sentiment conforté en 2001 quand, dans le cadre de leur projet de bouclier anti-missile et de protection de leur territoire, des États-Unis remettent unilatéralement en cause le premier traité bilatéral pour freiner le surarmement signé en 1972 par le président américain Richard Nixon et le secrétaire général du PC Leonid Brejnev.
En 2003, le non alignement de la France et de l’Allemagne sur les positions américaines au moment de l’invasion de l’Irak, là encore sans mandat international et sous le fallacieux prétexte de la possession par Sadam Hussein d’armes de destruction massive, est mal vécu par les américains qui redoutent un rapprochement entre ces puissances régionales européennes et la Russie. L’année suivante, en 2004, l’OTAN poursuit son expansion aux pays baltes : l’Estonie, la Lettonie, la Bulgarie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et la Lituanie où l’OTAN installe une de ses bases. Moscou se retrouve de fait à portée directe des avions de combat des Occidentaux alors que les américains installent des éléments de leur bouclier anti-missile à l’Est. Dès 2008, après l’intégration des pays signataires du pacte de Varsovie et des anciennes républiques socialistes d’Europe centrale, les américains affirment la vocation de l’Ukraine à intégrer l’OTAN.
Pour Moscou, l’extension de l’Alliance atlantique jusque sa frontière est hors de question. Ces nouvelles prétentions américaines sont d’autant plus mal vécues qu’elles contreviennent aux engagements de l’OTAN vis à vis de la Russie. En 1990, en échange de ses initiatives pour mettre fin à la guerre froide et d’un accord sur la réunification de l’Allemagne, James Baker, le secrétaire d’État américain, et Helmut Kohl, le chancelier de la République fédérale d’Allemagne (RFA) assurent à Mikhaïl Gorbatchev que l’OTAN ne s’étendra pas vers l’Est. « Il va sans dire qu’un élargissement de la zone OTAN n’est pas acceptable. » déclare Gorbatchev, « Nous sommes d’accord avec cela », conclut M. Baker en visite à Moscou, le 9 février 1990 (cf. L’OTAN ne s’étendra pas d’un pouce vers l’Est). Avec l’intégration de l’Albanie et de la Croatie en 2009 et celle du Monténégro en 2017, l’Otan s’étend au Sud de l’Europe sur la quasi totalité de la côte adriatique et tout le littoral nord de la Méditerranée, de Gibraltar à la Syrie.
Si, depuis la chute de l’Union soviétique, la Russie n’a eu de cesse d’affirmer qu’elle refuserait toutes menaces à ses frontières, depuis 30 ans, la politique d’élargissement de l’Otan isole la Russie et les Etats-Unis livrent à la Russie, une guerre de positions qui n’est pas sans rappeler la guerre froide. L’Europe ne se contente pas seulement de suivre les Etats-Unis et le 19 septembre 2019, les eurodéputés adoptent une résolution « sur l’importance de la mémoire européenne pour l’avenir de l’Europe » qui place sur un pied d’égalité « les régimes communistes et nazi ». Cette résolution est très mal vécue par le pourvoir russe.
De son côté, Vladimir Poutine réagit en étendant sa domination sur les ex-Républiques soviétiques. Le président russe mène une politique impérialiste qui ne s’embarrasse pas des volontés populaires. Dans le cas de l’Ukraine, elle passe par la négation de la légitimité de l’Etat ukrainien qui serait né d’une faiblesse des bolcheviks et non pas de la lente affirmation d’une conscience nationale ukrainienne qui aboutit en 1990 à la proclamation de la souveraineté ukrainienne. En réalité il existe dès le 19ème siècle des velléités nationales ukrainiennes. D’ailleurs, La République socialiste soviétique d’Ukraine est bel et bien fondée en 1918 sur l’idée d’un peuple ukrainien même si la question de la souveraineté n’est pas posée à l’époque mais au contraire celle de la création de l’Union soviétique.