• Le soutien du « Wall Street Journal » à Bolsonaro au Brésil s’inscrit dans la tradition du quotidien
    https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2018/10/16/le-soutien-du-wsj-a-jair-bolsonaro-s-inscrit-dans-une-tradition-ultradroitie

    Un éditorial assure que le candidat d’extrême droite ne représente pas une menace. Le journal économique avait défendu avant lui Pinochet.

    La tradition veut qu’un éditorial soit emblématique d’une prise de position graduelle du journal dans lequel il est publié. Celui du 10 octobre paru dans l’auguste quotidien économique et très conservateur Wall Street Journal ne semble pas déroger à la règle.

    Dans ce texte intitulé « Brazilian swamp drainer », que l’on pourrait traduire en français par « le Brésilien qui assèche le marécage », sous-entendu le marécage politicien, le comité éditorial du journal new-yorkais a ouvertement soutenu le candidat d’extrême droite à la présidentielle, Jair Bolsonaro.

    Rédigées dans un style direct, dru, ne répugnant ni aux raccourcis ni aux grosses ficelles, ces quelques lignes ont déclenché depuis une semaine moult remous sur les réseaux sociaux, avec certaines saillies du type : « Marine Le Pen le trouve toxique », en référence à la récente prise de distance de la présidente du Rassemblement national, « pas le WSJ ».

    Dans son éditorial, le quotidien assure que le capitaine parachutiste de réserve, « un populiste conservateur » selon le WSJ, ne représente pas une menace pour le Brésil, quatrième plus grande démocratie au monde. Il ne dit mot en revanche sur le fait que le candidat a défendu la dictature militaire (1964-1985), nommé un général à la retraite à ses côtés ayant évoqué l’éventualité d’un coup d’Etat militaire moderne et promis de donner carte blanche à l’armée et à la police pour tirer à vue sur des criminels. Rien non plus sur ses outrances répétées à l’égard des femmes, des homosexuels et des Noirs.

    Le programme de Haddad comparé aux mesures de Chavez

    « Après des années de corruption et de récession, peut-on lire, des millions de Brésiliens semblent penser qu’un outsider est exactement ce dont le pays a besoin. Peut-être qu’ils en savent plus que les réprobations internationales. » Une façon de rappeler, à sa manière, le score écrasant du candidat Bolsonaro au premier tour de la présidentielle, le 7 octobre, avec 47 % des voix contre 29 % à Fernando Haddad, son adversaire du Parti des travailleurs.

    Ce dernier, toujours selon le quotidien, aurait pour but de réécrire la Constitution afin d’y inclure la possibilité de recourir à une Assemblée constituante « sur le modèle vénézuélien ». Le candidat désigné par l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, aujourd’hui incarcéré, souhaiterait aussi, d’après l’éditorial, réformer les règles de promotions militaires en donnant plus de pouvoir au président. Autant de propositions, s’alarme le WSJ, sorties tout droit de « l’agenda de Hugo Chavez », l’éternelle bête noire du quotidien.

    A contrario, le nouveau poulain brésilien du journal ne « propose pas de changer la Constitution » mais promet de restaurer la présence des policiers dans les centres urbains et ruraux, « où la loi ne règne plus ». Surtout, assure le quotidien financier, le conseiller économique et bras droit de Bolsonaro, Paulo Guedes – que le journal curieusement ne mentionne pas nommément – affirme vouloir, une fois au pouvoir, « vendre des parts du géant pétrolier public Petrobras, déréguler au maximum l’économie et réduire la dépense publique ». La messe est dite. Le choix assumé.

    Des odes à Pinochet, Fujimori et Videla

    Chose étrange, cet éditorial en faveur de l’actuel homme fort du Brésil a un air de déjà-vu. On se souvient d’un texte de 1980, resurgi dans les réseaux sociaux ces derniers jours et intitulé « Les Chiliens votent l’extension du pouvoir de Pinochet, assurant la continuation de la libre entreprise ». Le dictateur chilien venait de remporter un référendum sur la Constitution lui permettant de prolonger son mandat de huit ans. Mais une plongée rapide dans les archives du journal renvoie à un goût prononcé pour toute sorte de politiciens autoritaires d’une certaine droite dure et d’extrême droite, surtout d’Amérique latine.

    Dans une liste éclairante, réalisée par le Huffington Post, on retrouve non seulement les articles du WSJ regrettant la mort de l’ancien dictateur chilien en 2006 (« Il a pris le pouvoir lors d’un coup d’Etat en 1973, mais il a finalement créé un environnement propice aux institutions démocratiques » ou « Il est responsable des morts et des tortures qui ont eu lieu sous son égide, mais si Salvador Allende avait réussi à transformer le Chili en un autre Cuba, beaucoup plus auraient pu mourir ») mais aussi ceux, bienveillants, sur le Péruvien Alberto Fujimori et le dictateur argentin Jorge Rafael Videla.

    Pour Fujimori, on apprend du WSJ que « le style autoritaire » pourrait être excusé, car « on peut affirmer que sous sa direction, le pays s’est en fait frayé un chemin vers la modernité ». Pour l’Argentin, le journal avait qualifié la guérilla opposée au dictateur de « terroristes », un terme utilisé par la junte. La liste n’est pas exhaustive.