• Président #Trump, an IV : l’heure de la terre brûlée

    #fin_d_empire

    https://www.lemonde.fr/chroniques-de-la-presidence-trump/article/2020/11/22/president-trump-an-iv-l-heure-de-la-terre-brulee_6060678_5077160.html

    Gilles Paris dépité :) Mais bien.

    Depuis le 3 novembre, la présidence Trump hésite entre le drame et la bouffonnerie. Le battu diffuse courriels sur courriels qui disent que l’heure est grave avec des accents churchilliens. Il y dénonce, tout en demandant de l’argent à ses fidèles, la vilenie sans limites des démocrates dont on ne voit pas trop bien ce qu’on pourrait faire à part les embastiller tous, ou bien les torturer un petit peu pour l’exemple, puis il s’en va golfer.

    Ce qui lui reste d’avocats claironne matin et soir qu’un complot de dimension historique est sur le point d’être mis au jour. Qu’une fraude électorale transitant par le Venezuela, la Chine, Cuba, l’Espagne et l’Allemagne (on déplore personnellement l’absence de la Corée du Nord), a privé le président de sa victoire. Que les démocrates sont incapables de démontrer qu’ils n’ont pas triché, comme si la charge de la preuve leur revenait.
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    Donald Trump ne gouverne plus, ou presque. Son agenda officiel est vide un jour sur deux. Il a brièvement participé au sommet virtuel du G20, samedi 21 novembre, pour dire tout le bien qu’il pensait du président des Etats-Unis, puis il est parti en grand équipage vers les greens de Virginie pendant que ses pairs débattaient d’une bricole, la pandémie de Covid-19.

    Il n’a plus la tête aux affaires de l’Etat, après bientôt quatre années de temps partiel, parce qu’il est rongé par une défaite qu’il veut pouvoir repousser en la niant. Abandonnée à elle-même, son administration fait exécuter quelques condamnés à mort, au mépris de la trêve habituellement respectée par temps de transition, parce que cela plaît au président. Elle accélère la cadence pour lancer des forages pétroliers dans un sanctuaire naturel en Alaska parce qu’il y tient aussi. Et elle annonce, au grand dam de la Réserve fédérale, l’interruption de programmes de soutien à l’économie, pour que son successeur débute son mandat dans les pires conditions.
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    Rien d’une démocratie

    C’est l’heure où l’on brûle ce qui peut être brûlé et piège ce qui s’y prête. On ne sera pas surpris si, le 20 janvier au matin, le président fait la tournée des bureaux de la West Wing pour arracher les prises et défoncer à coups de club de golf le standard téléphonique avant de répandre de l’huile de vidange sur le carrelage du vestibule.

    La défaite ne révèle rien de plus que la présidence n’a pas fait affleurer. Donald Trump ne mentionnait guère la démocratie dans ses discours parce qu’il n’aime pas ses principes ni ses lois. Lorsqu’il avait été battu par le sénateur du Texas Ted Cruz dans l’Iowa, lors de la première étape des primaires républicaines, en février 2016, il avait rapidement dénoncé une tricherie. Puis il avait assuré des mois durant que son adversaire démocrate, Hillary Clinton, ne pourrait triompher que de cette manière, tout comme Joe Biden quatre ans plus tard.

    Donald Trump n’a que faire de l’effet corrosif de ses accusations de fraude utilisées pour salir les autres, entonnées mécaniquement par des fidèles entretenus des années durant dans l’illusion des faits alternatifs. Ces derniers sont imperméables au caractère grotesque de l’avocat du président, Rudy Giuliani, devenu le vieil oncle embarrassant d’un Parti républicain tétanisé. Le maquillage de l’ancien maire de New York a symboliquement fait naufrage en deux coulées sombres, de part et d’autre de son visage, le 19 novembre, alors qu’il énonçait des théories du complot avec une jubilation gênante au cours d’une mémorable conférence de presse.

    C’est à cet instant que la bouffonnerie cède la place au drame. Celui d’un pays qui découvre qu’il est aisé de ne pas respecter les règles d’un contrat social plus que bicentenaire. Que les Pères fondateurs n’ont pas prévu qu’un butor sans égal puisse piétiner le jardin institutionnel laissé en héritage. Et qu’une molle dictature de la veulerie défie une République soudainement intranquille.

  • Président Trump, an II : la banalisation plus forte que l’indignation
    https://www.lemonde.fr/chroniques-de-la-presidence-trump/article/2018/10/21/president-trump-an-ii-la-banalisation-plus-forte-que-l-indignation_5372460_5

    Après dix-neuf mois de présidence non-conventionnelle, deux épisodes de la semaine écoulée ont mis en lumière l’habituation aux saillies du locataire de la Maison Blanche.

    Michael Cohen était prêt « à prendre une balle » pour Donald Trump. Mais c’était avant. Depuis qu’il a officialisé sa rupture avec son ancien client en plaidant coupable de diverses forfaitures commises à son service, l’ex-avocat-nettoyeur du magnat de l’immobilier a radicalement changé d’avis à son égard.

    Croisé dans la rue par une journaliste de CNN, vendredi 19 octobre, il a lancé un appel au peuple démocrate : « Prenez votre famille, prenez vos amis, prenez vos voisins et rendez-vous aux urnes, car sinon, vous allez avoir encore deux ou six autres années de cette dinguerie. »

    Après dix-neuf mois de présidence non-conventionnelle, une description sur laquelle tout le monde pourra s’accorder, deux épisodes de la semaine écoulée ont témoigné du terrain gagné, jour après jour, par la banalisation du trumpisme présidentiel.

    Les bréviaires de la communication politique comme ceux du bon sens ne conseilleraient pas, après une victoire mineure dans une longue guérilla judiciaire contre une ancienne actrice pornographique, sur fond de possible liaison extraconjugale, de clamer ce succès urbi et orbi sur son compte Twitter. Qui plus est en traitant l’intéressée de « face de cheval ».

    Cette sortie, le 16 octobre, a bien suscité quelques réactions accablées, y compris dans les rangs républicains, mais elles ont été au final assez comptées. Sans doute parce qu’il y a déjà eu déjà bien pire et qu’il est difficile de s’indigner tous les jours. D’autant que l’on n’était encore que mardi et que l’agenda du président de la première puissance mondiale était rigoureusement vide ce jour-là. Propice, donc, à un feu d’artifice manifestement indexé sur les programmes télévisés qui occupaient alors Donald Trump.

    Bruit permanent

    La normalisation a marqué un nouveau point deux jours plus tard, à l’occasion d’un meeting dans le Montana. Le président des Etats-Unis y a rendu un hommage appuyé à Greg Gianforte, l’unique représentant de cet Etat à la Chambre.

    Il l’avait emporté, en 2017, dans une élection partielle à l’occasion de laquelle il avait jeté à terre, brisant ses lunettes, un journaliste du Guardian qui l’interrogeait avec insistance sur des questions de santé. L’élu avait été condamné à six mois de prison avec sursis et à quarante heures de travaux d’intérêt public.

    « Ne vous mesurez jamais à lui, vous comprenez ? Jamais ! », a assuré le président devant un public hilare. « Un gars qui peut en jeter un autre à terre, c’est mon pote. Je ne devrais pas dire cela, mais en fait il n’y a pas de quoi être gêné. J’étais donc à Rome avec de nombreux dirigeants d’autres pays pour parler de toutes sortes de choses et j’ai entendu dire qu’il avait massacré un journaliste. On l’avait soutenu très tôt et Il était très haut [dans les intentions de vote]. Et j’ai dit : “oh, c’est terrible, il va perdre les élections.” Puis j’ai dit : “bon, attendez une minute, je connais assez bien le Montana. Je pense que cela pourrait l’aider.” Et ça l’a fait ! », a raconté le président des Etats-Unis, triomphal.

    L’éloge du bagarreur a indigné, mais les réactions qu’il a suscitées ont été elles aussi assourdies par le bruit permanent de cette présidence.

    Donald Trump peut vanter une agression contre un journaliste en pleine controverse sur l’assassinat d’un confrère saoudien dans un consulat. Célébrer la faute d’un repris de justice tout en dénonçant gravement « la loi de la rue » que voudraient imposer les démocrates. Plus rien n’est impossible.