• Centenaire de l’armistice : au lendemain de la guerre, la cause féministe recule - LCI
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    Entre 1914 et 1918, les femmes participent à l’effort de guerre prenant la place de leur mari ou de leurs fils partis au front. Si la mémoire collective retient l’idée d’une période particulièrement émancipatrice, le bilan de ces quatre années s’avère nettement moins positif. Bien au contraire.
    10 nov. 18:14 - Audrey LE GUELLEC

    Une femme aux cheveux courts abandonnant le corset et affirmant son indépendance. Si l’image de « la Garçonne » comme symbole d’une Grande Guerre émancipatrice pour les femmes est dans les esprits, la réalité est plus nuancée. A la veille de la Grande Guerre, la lutte pour l’obtention des droits politiques est prioritaire pour les organisations féministes. « Déjà à l’époque, on assistait à de nombreux congrès internationaux », explique Françoise Thébaud, spécialiste de l’histoire des femmes, soulignant que contrairement aux idées reçues, il existait bel et bien un féminisme organisé avant 1914. « Des militantes françaises, allemandes, britanniques, américaines ou hollandaises se réunissaient dans ces fameux congrès au cours desquels, elles ont affirmé leur pacifisme tout d’abord mais aussi qu’elles avaient des droits. » C’est le fameux mouvement de la première vague féministe qui court des années 1850 à 1945 en Europe et aux États-Unis.
    Mais à compter du 2 août 1914, la plupart des hommes en âge de travailler est mobilisée, laissant le pays aux mains des femmes. Alors qu’une société nouvelle s’organise, le féminisme perd de son élan. « La guerre est une rupture puisque dans chaque pays on arrête de revendiquer et de considérer les sœurs des pays alliés comme des sœurs de combat », explique l’historienne.

    Que se passe-t-il pendant la guerre ?

    En véritables combattantes de l’arrière, les femmes remplacent peu à peu les hommes partout, des champs aux usines en passant par le foyer. « Ce serait faux de dire que la guerre a mis les femmes au travail parce qu’elles représentaient déjà plus d’un tiers de la population active avant 1914. Néanmoins, dans le secteur industriel et commercial, il y a une forte croissance du travail féminin et il y a surtout un transfert du secteur à main d’œuvre féminine vers des secteurs plus mixtes comme la métallurgie, la mécanique, la chimie », souligne la spécialiste s’appuyant sur l’exemple des usines de guerre où la main d’œuvre est formée d’environ un quart de femmes surnommées les munitionnettes. Tandis que des secrétaires de mairie remplacent les maires mobilisés, des enseignantes remplacent leurs homologues masculins dans les classes de garçons.

    Dans les foyers, les femmes incarnent désormais les « chefs de famille » puisqu’elles sont chargées de pourvoir aux besoins et à l’éducation des enfants, grâce à une mesure temporaire permettant au juge de leur donner procuration. Parallèlement, la séparation massive des couples pendant la Grande Guerre suscite une importante correspondance, incitant maris et femmes à une sorte d’introspection. « Parler de soi, de ses sentiments et même de ses désirs sexuels », détaille l’historienne, évoquant une « écriture proche du journalisme ».

    Une seule revendication concrétisée après-guerre

    « Regardez ce que les femmes ont été capables de faire, elles méritent des droits », diront les militantes à la fin de la guerre dont on commémore le 100e anniversaire. La question du droit de vote des femmes revient dès la fin 1917.

    Pourtant, la seule avancée demeure un décret de 1924 qui invite les lycées de jeunes filles à ouvrir des classes de baccalauréat. Objectif ? Permettre la poursuite d’études, en entrant à l’université. « Ne pas devenir ce qu’était leur mère en somme », résume Françoise Thébaud. Et de détailler : « Qu’attend-on d’une jeune bourgeoise avant 14 ? Qu’elle se marie et qu’elle devienne une maîtresse de maison, une mère de famille et s’occupe éventuellement avec des œuvres charitables. » L’accès aux études peut, éventuellement, lui ouvrir d’autres horizons. Mais peu seront concernées.

    Le vœu pieux du droit de vote
    La guerre a plutôt été un frein, dans l’obtention de droits qui semblaient presque acquis parce qu’une société qui sort d’une guerre est une société en deuil, traumatisée.Françoise Thébaud, historienne

    Au lendemain de la première guerre mondiale, le droit à la contraception, déjà évoqué au début du siècle, fait son retour. Mais au plus mauvais moment. Cette revendication « va être stoppée net par la loi de 1920 qui interdit la contraception », souligne Sylvie Chaperon, spécialisée dans l’histoire du féminisme. Il faut repeupler la France. « Ce texte va permettre de persécuter le mouvement, d’arrêter les leaders et de censurer leur presse », détaille l’historienne.

    Deux autres revendications d’avant-guerre vont rester vaines. La première concerne la modification du code civil napoléonien qui fait de la femme mariée une mineure juridique soumise à son mari. Il faudra attendre 1938 pour que l’incapacité civile de la femme mariée soit supprimée. S’agissant du droit de suffrage des femmes, il faudra attendre 1944 pour que ce droit soit obtenu malgré une première loi française pour le droit de vote des femmes proposée en 1919, puis rejetée par le Sénat en 1922. « La France apparaît extrêmement réactionnaire ou en retard malgré les nombreux débats sur le sujet dans l’entre-deux guerres », souligne Françoise Thébaud. Selon elle, la guerre a « plutôt été un frein, dans l’obtention de droits qui leur semblaient presque acquis à la veille de la guerre parce qu’une société qui sort d’une guerre est une société en deuil, traumatisée. »

    A la fin de la guerre, les discours sont contradictoires. « On dit aux femmes ‘il faut rendre la place aux hommes qui reviennent du front, votre devoir c’est de repeupler le pays’. Mais en même temps il y a un réel besoin de main d’œuvre, » explique Françoise Thébaud. S’enclenche alors une féminisation du secteur tertiaire, de nombreuses femmes quittant des métiers traditionnellement féminins pour devenir factrices, conductrices de tramways ou encore employées de banque. « D’ailleurs, la figure de la femme au travail devient la femme du tertiaire, l’employée. C’est la première guerre mondiale qui permet ça », souligne l’historienne, avant d’ajouter. « Pour le milieu ‘petit Bourgeois’, c’est important aussi que le tertiaire se féminise parce qu’il est accepté socialement que ces filles deviennent des employés. Travailler comme employée de banque c’est plus respectable que comme ouvrière. »

    Des modifications s’opèrent également en dehors du monde du travail, dans la sphère privée. Une récente thèse qui s’intéresse au retour des soldats dans les foyers souligne notamment une augmentation des divorces. « Cela peut être considéré comme un rattrapage car il était difficile de divorcer pendant la guerre, mais ce qui est vraiment nouveau après-guerre c’est que les demandes émanent des hommes, qu’ils accusent leur femme d’adultère. » Ainsi, en 1918, 59% des divorces sont prononcés aux torts de la femme.

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