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  • Les irréductibles Bretons contre les chercheurs d’or
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/06/16/les-irreductibles-bretons-contre-les-chercheurs-d-or_6613480_4500055.html

    Habitants, élus locaux et associations s’inquiètent des conséquences environnementales du projet d’exploration minière de l’entreprise canadienne Aurania. L’Etat devrait donner, ou non, son accord d’ici à la fin de l’année.

    Il a fallu ajouter des chaises. La salle polyvalente des Fougerêts (Morbihan) – 948 âmes – déborde ce soir de juin. Dans l’assemblée de 150 personnes réunie à l’appel du collectif Stop Taranis opposé aux projets miniers d’une société canadienne, on chuchote, on s’alarme. « Est-ce qu’ils ont le droit de venir chez moi sans autorisation si je ne suis pas là ? », s’inquiète un participant. « Que peut-on faire face à eux, nous, simples habitants ? », s’interroge un autre. A l’initiative de la manifestation, les membres du collectif né en octobre 2024 cherchent la parade. « Même si les permis étaient accordés, la seule façon de bloquer l’exploration est d’empêcher collectivement les fouilles sur les terrains privés », avance l’une des figures de proue du mouvement, vareuse bleue et chino rouge, Jean Baranger, 63 ans.

    Cet habitant de Brain-sur-Vilaine, à l’est de Redon, coanime ce 4 juin sa septième réunion publique autour du même sujet : les trois demandes de permis exclusifs de recherches de mines (PERM) déposées entre 2023 et début 2024 par l’entreprise Breizh Ressources, basée à Lorient, filiale de l’entreprise canadienne Aurania, immatriculée aux Bermudes. Les trois permis – dénommés Epona, Bélénos et Taranis – concernent 42 communes et s’étendent sur 850 kilomètres carrés entre le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine, la Loire-Atlantique et le Maine-et-Loire.

    L’entreprise envisage de sonder les sous-sols le long du cisaillement sud-armoricain – zone qui abrita des mines de fer au XIXe siècle – en espérant cette fois y trouver des terres rares et des minerais, tels l’antimoine, le zinc ou l’étain. « Ces métaux sont nécessaires à notre économie, mais, du point de vue de leur approvisionnement, nous dépendons aujourd’hui de pays étrangers », justifie Guillaume Mamias, géologue et responsable environnement chez Breizh Ressources. « Quand on lit leur dossier, on comprend surtout que l’or est leur quête principale », assure Jean Baranger, qui a travaillé sur les matières premières dans le secteur du luxe, notamment chez Chanel.

    #paywall

  • The Heritage Foundation, les missionnaires du trumpisme à l’assaut de l’Europe
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/06/18/the-heritage-foundation-les-missionnaires-du-trumpisme-a-l-assaut-de-l-europ


    Kevin Roberts et Donald Trump dans un jet en vol pour la conférence annuelle de la Heritage Foundation, en avril 2022. THE WASHINGTON POST

    Derrière les épais rideaux de velours du Cercle de l’union interalliée, somptueux club parisien de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, une réception très politique se tient à un jet de pierre de l’Elysée. Cravate de rigueur pour les invités venus, ce 26 mai au soir, s’abreuver de « l’avenir du conservatisme en France et en Occident », comme le promet le carton d’invitation. L’hôte est américain, inconnu du public français, et tient dans ses mains un morceau du destin des Etats-Unis. Kevin Roberts préside la puissante Heritage Foundation, le think tank conservateur le plus influent de la galaxie MAGA (« Make America Great Again »), qui a pavé le retour au pouvoir de Donald Trump en lui fournissant le très radical Projet 2025, feuille de route officieuse de son mandat.

    Crâne lisse, petite cloche symbolisant la Liberty Bell américaine épinglée au col de la veste (le logo de la Heritage Foundation), Kevin Roberts, 50 ans, affiche l’aisance des professeurs d’université. Ce natif du sud de la Louisiane est l’un des plus fervents idéologues de la seconde présidence Trump, déterminé à tout « brûler » – il affectionne les métaphores radicales – pour remodeler l’Amérique dans une version nationaliste et réactionnaire. A la tête depuis 2021 de la Heritage Foundation et de ses 350 salariés, l’historien de formation gagne à ce poste près de 1 million de dollars par an. Il est familier de Mar-a-Lago, villa du président Trump, et cultive une réelle amitié avec J. D. Vance, le vice-président des Etats-Unis de 40 ans à l’idéologie nationaliste-catholique, adulé par l’extrême droite de part et d’autre de l’Atlantique.

    Kevin Roberts est surtout l’un des VRP officieux d’un grand dessein de Trump 2 : tisser la toile avec les « alliés civilisationnels en Europe », comme le formule le département d’Etat américain dans une note stratégique publiée le 27 mai. On y lit la volonté des hommes de Trump de promouvoir leur conception d’un « héritage occidental civilisationnel commun », de Paris à Varsovie. Fin mai, donc, Kevin Roberts est en France pour la première fois, dans ce but.

    Une tournée discrète

    La réception est organisée par un couple qui compte dans le petit milieu libéral-conservateur : Alexandre Pesey, directeur de l’Institut de formation politique (IFP), pépinière du courant national-catholique de l’ex-La Manif pour tous, et son épouse américaine, Kate Pesey. Cette ancienne membre de Republicans Overseas (l’antenne du Parti républicain à l’étranger) dirige La Bourse Tocqueville, qui envoie de jeunes identitaires à Washington. Ils comptent sur le soutien du Français Pierre-Edouard Stérin, le milliardaire catholique qui, depuis la Belgique où il s’est exilé, a imaginé pour la France un projet réactionnaire fondé sur l’alliance entre la droite conservatrice et l’extrême droite. Dans cette galaxie en quête de recettes pour conquérir la majorité, Kevin Roberts est accueilli comme un deus ex machina. Un rapprochement qui coïncide avec la nouvelle ambition de la Heritage Foundation : exporter la vision du monde du tandem Trump-Vance en Europe.

    .... « Je dirige le pays et le monde », clame au bout de cent jours Donald Trump au magazine The Atlantic. ....

    attention, nombreuses photos de fachos en plein jours heureux
    https://archive.ph/ZTpiU

    #extrême_droite #capitalisme_tardif

  • L’impossible printemps des Afghanes exilées à Lille
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/04/21/l-impossible-printemps-des-afghanes-exilees-a-lille_6598390_4500055.html

    L’impossible printemps des Afghanes exilées à Lille
    Par Ghazal Golshiri
    Célébré le premier jour du printemps en Afghanistan, Norouz, le Nouvel An perse, est par essence porteur d’espoir. Mais, depuis septembre 2021, Maryam, Sakineh, Atiyeh et Jamila le fêtent loin de leur terre. Les quatre femmes ont fui le pays peu après la chute de Kaboul. En France, elles tentent de se reconstruire et assistent impuissantes au sort de leurs compatriotes, restées captives des talibans. Maryam Gholamali a disposé des plantes partout dans son appartement : dans la salle de bains, sur sa bibliothèque, au bord des fenêtres, sur sa table, et même à l’extérieur, devant sa porte d’entrée. « A Kaboul aussi, j’en avais plein. Elles ressuscitent en moi la joie de la vie », confie l’Afghane de 34 ans, exilée à Lille depuis la prise de pouvoir des talibans, en août 2021. Son studio, installé dans un ancien hôpital reconverti par la mairie en hébergements pour demandeurs d’asile, dans le quartier du Grand Palais, est baigné de lumière. « Je me suis battue pour avoir le logement le plus lumineux possible », glisse-t-elle. (....)

    #Covid-19#migration#migrant#france#afghanistan#asile#sante#santementale#genre#violence

  • Avec « Cassandre », anatomie d’un inceste
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/03/30/avec-cassandre-anatomie-d-un-inceste_6588488_4500055.html


    Hélène Merlin, à Paris, le 19 mars. LOUISA BEN POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

    L’histoire est celle d’une adolescente prise dans les mailles d’une famille dysfonctionnelle, abusée par son frère, et qui trouve refuge auprès des chevaux et d’un moniteur d’équitation tendre et compréhensif. « Mon “expertise” me rend légitime pour parler de l’inceste adelphique [entre frère et sœur] comme je le veux, d’une façon qui ne répond pas forcément aux idées toutes faites sur la personnalité d’un violeur ou sur ce qu’est une victime. Je voulais montrer la complexité des mécanismes. » Pour arriver à raconter cela avec précision, décence et grâce, le chemin a été long.

    Alors qu’il est terminé en 2018, il faudra cinq ans au scénario de Cassandre pour parvenir à réunir les financements. Cinq années au cours desquelles les paroles de Camille Kouchner (La Familia grande, Seuil, 2021) et de Judith Godrèche (qui témoigne contre Benoît Jacquot), et la vague de MeTooInceste libèrent progressivement l’écoute sur certaines violences longtemps restées inaudibles. En 2023, quand elle a recommencé, avec une nouvelle productrice, à chercher de l’argent pour mener à bien son projet, « l’accueil a été très différent », note Hélène Merlin.

    https://archive.ph/GdJEE

    intéressé, je met la bande-annonce, sa piscine privée de grosse maison où on se baigne nu en toile de fond. énième "critique" du "relâchement des moeurs" dû à 68 que c’est une bourgeoisie qui manque de decency ? pas sûr puisqu’on a notre touche de diversitay post-mod où la personnage principale a une amie colorée - la "Persanne" du récit ? - et même un vulgaire moniteur d’équitation, autant dire un domestique, qui ne compte pas pour des prunes. je me fourvoie sans doute mais ce qui m’apparaît être la grammaire du film érode ma curiosité. c’est difficile, la consommation culturelle.

    #réalisatrice #inceste #inceste_adelphique #cinéma_français #ficelles #sexe #race #classes

  • Fin de soirées pour le Dock des Suds, lieu mythique de la nuit à Marseille
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/03/29/a-marseille-fin-de-soirees-pour-le-dock-des-suds_6587445_4500055.html


    Le Dock des Suds, à Marseille, le 6 mars 2025. GEOFFROY MATHIEU POUR M LE MAGAZINE DU MONDE

    Cet espace de concerts, d’expositions, de soirées sans fin et de bringues débridées fermera ses portes le 31 mars sur une ultime fête, improvisée dans l’urgence.

    Roi des terrains vagues dans les années 1990, le Dock semble aujourd’hui minuscule à l’ombre de la tour de la compagnie d’affrètement #CMA_CGM de Rodolphe Saadé. Des résidences aux façades banales ont poussé alentour ; sur le trottoir d’en face, la cité scolaire internationale Jacques-Chirac, toute neuve, accueille près de 700 élèves. Pour #Euromeditérranée, le Dock des Suds est désormais « un bunker » inadapté à son environnement. L’aménageur espérait y installer la Cité du cinéma, mais le conseil régional a lâché le projet, préférant financer les Jeux olympiques d’hiver 2030.
    « La carte culturelle a été un outil de marketing territorial utilisé par de nombreuses villes, avant qu’elles se tournent vers un modèle plus rentable. Euroméditerranée a profité de cette image de movida marseillaise. Aujourd’hui, elle passe à l’étape suivante », analyse le sociologue Nicolas Maisetti, maître de conférences à Paris-VIII. Une étape qui, pour une partie de #Marseille, marque aussi la fin d’une époque.

    https://archive.ph/tU8cd

    #culture #espace_interstitiel (c’est-à-dire provisoire) #Mairie_de_Marseille #restructuration_urbaine

    • L’Union Européenne, l’Etat, la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Département des Bouches-du-Rhône, la Métropole Aix-Marseille Provence et la Ville de Marseille confient à l’Etablissement Public un budget lui permettant de réaliser les études, d’acheter les terrains, d’engager les travaux. Cet investissement public est mobilisé pour engager les transformations et les aménagements nécessaires à l’attraction d’investissements privés. #Euroméditerranée bénéficie du soutien de l’Union Européenne (Fonds FEDER).

      https://www.euromediterranee.fr/partenaires

  • Denver, ville sanctuaire pour les migrants, résiste au plan d’expulsion de masse prévu par le gouvernement des Etats-Unis
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/03/02/denver-ville-sanctuaire-pour-les-migrants-dans-le-viseur-de-trump-je-ne-vais

    Denver, ville sanctuaire pour les migrants, résiste au plan d’expulsion de masse prévu par le gouvernement des Etats-Unis
    Par Corine Lesnes (Denver (Colorado), envoyée spéciale )
    Le plan d’expulsion de masse de l’administration Trump se heurte à la résistance des villes sanctuaires, qui, comme la capitale du Colorado, refusent de prêter main-forte à la police fédérale de
    Jeanette Vizguerra est toujours là. Elle n’a pas quitté le pays et, quoi qu’en pensent Donald Trump et ses fidèles, elle ne partira pas, du moins pas sans combat. En 2017, après l’investiture de l’homme qui avait fait des Mexicains ses cibles de prédilection, la mère de famille était « entrée en sanctuaire » – son expression – comme on entre dans les ordres. Réfugiée au sous-sol d’une église de Denver (Colorado), elle était devenue le visage des sans-papiers, établis depuis des années aux Etats-Unis mais pourchassés par la police de l’immigration. Le magazine Time en avait fait l’une des cent personnalités de l’année 2017. La comédienne America Ferrera avait pris la plume pour saluer cette mère courage devenue l’icône du mouvement sanctuaire, ce rassemblement d’églises, de villes et de citoyens qui refusent de collaborer à l’arrestation de leurs voisins.
    Huit ans ont passé. Jeanette Vizguerra a réussi à rester aux Etats-Unis grâce à une dérogation temporaire, renouvelée d’année en année, mais elle est toujours sous le coup d’une mesure d’expulsion. A ce stade de la campagne d’« expulsions de masse » lancée dès son retour au pouvoir par Donald Trump, elle préfère ne pas donner son adresse par téléphone. On la rejoint dans un pavillon de la banlieue ouest de Denver, dans un quartier en surplomb de l’autoroute qui file vers les montagnes Rocheuses. Quartier ami, à en juger par les fresques murales de la Vierge de Guadalupe.
    Les enfants de Jeanette ont grandi. Nés aux Etats-Unis, ils ont un passeport américain, en vertu de ce droit du sol que Donald Trump veut extraire de la Constitution. Luna, 20 ans, se prépare à entrer dans l’armée américaine. Roberto, 19 ans, a fini le lycée. A 10 ans, les enfants savaient déjà comment se comporter si la police essayait d’arrêter leur mère. Les deux grands filmeraient l’interpellation sur leur portable et appelleraient son avocat, pendant que Zury, la petite, irait se réfugier dans la chambre de ses parents. Aujourd’hui, c’est la consigne que Jeanette diffuse sur la page Facebook où elle enseigne aux sans-papiers à réagir aux opérations policières. Préparer les enfants. Leur donner un rôle, au lieu de les laisser assister impuissants à la séparation forcée d’avec leurs parents.
    Jeanette Vizguerra ne cache pas que les temps sont devenus difficiles. L’administration Trump 2 est « beaucoup plus agressive », constate-t-elle dans un anglais aussi rugueux que son profil. « Elle essaie de faire le plus de dégâts possible dans nos communautés. » La porte-voix des sans-papiers n’a plus de nouvelles d’America Ferrera. Mais elle dit que les migrants ne peuvent pas laisser le gouvernement « semer la terreur » dans leur esprit. Jeanette a travaillé plus de vingt-sept ans dans le Colorado comme femme de ménage. Elle a écopé d’une mesure d’expulsion en 2009 pour avoir été en possession d’une fausse carte de Sécurité sociale, le sésame qui permet de trouver un emploi. En 2013, elle a été arrêtée à la frontière, alors qu’elle revenait clandestinement du Mexique – où elle avait pris le risque de retourner pour voir une dernière fois sa mère, hospitalisée. A 54 ans, elle s’estime en droit de rester aux Etats-Unis. « Je ne vais pas les laisser me séparer de ma famille sans me battre », défie-t-elle.
    Le mouvement sanctuaire est apparu dans les années 1980, quand les églises américaines offraient refuge aux Salvadoriens fuyant la guerre civile. Il n’a pas de définition juridique universelle, mais désigne les Etats ou les villes qui ont décidé de limiter leur coopération avec la police de l’immigration, l’Immigration and Customs Enforcement (ICE). Pendant le premier mandat de Donald Trump, de 2017 à 2021, près d’une dizaine d’Etats démocrates (Californie, Colorado, Connecticut, Illinois, Massachusetts, New Jersey, New York, Oregon, Washington) et une centaine de villes se sont déclarés sanctuaires : ils ont adopté des lois interdisant à leurs polices locales d’aider la police fédérale à arrêter des clandestins. Beaucoup ont aussi interdit à la police de l’immigration de saisir des détenus dans les prisons locales sans un mandat délivré par un juge fédéral.
    Nombre d’Etats républicains (Alabama, Géorgie, Floride, Iowa, Tennessee, Texas, Virginie-Occidentale) ont contre-attaqué en adoptant des mesures inverses, obligeant les forces de l’ordre locales à coopérer avec les autorités fédérales. Le terme « sanctuaire » est devenu le symbole des divisions de la société américaine sur un sujet qui a pesé lourd dans la victoire de Donald Trump lors de l’élection de novembre 2024.
    Denver, la capitale du Colorado, Etat républicain jusqu’en 2008 et désormais solidement bleu, est l’une de ces villes sanctuaires que l’administration Trump essaie de mettre au pas mais qui n’ont pas l’intention de plier face aux injonctions présidentielles, quitte à se porter en justice. Aux Etats-Unis, l’immigration est du seul ressort de l’Etat fédéral. Rien n’oblige les polices locales à vérifier les permis de séjour des résidents. « Nous avons un principe très clair de séparation des pouvoirs, explique Violeta Chapin, professeure de droit et spécialiste de l’immigration à l’université du Colorado, à Boulder. Le gouvernement fédéral ne peut pas forcer les Etats à faire son travail. Il peut le leur demander, les encourager, mais il ne peut pas les y contraindre. »
    A peine installé dans le bureau Ovale, Donald Trump a frappé fort. Arrestations à grand spectacle, migrants menottés et renvoyés dans leur pays sous l’œil des caméras, annulation du statut temporaire accordé depuis 2023 aux Vénézuéliens, gel des subventions aux ONG de défense des migrants… Dans les deux jours qui ont suivi l’investiture du 20 janvier, l’association Rocky Mountain Immigrant Advocacy Network (Rmian), un réseau d’avocats spécialisés dans l’immigration, s’est vu signifier l’interdiction de fournir des conseils juridiques au centre de détention d’Aurora, dans la banlieue de Denver, l’un des plus grands du pays, où quelque 1 530 migrants, qui pour la plupart parlent à peine anglais, attendent de comparaître devant un juge. « C’est tellement cruel », note Mekela Goehring, la directrice de Rmian. Après s’être pourvue en justice, l’association, qui a formé une centaine d’avocats bénévoles, a retrouvé son accès aux migrants, mais elle s’attend d’un jour à l’autre à perdre 25 % de ses subventions.
    La confusion – le « chaos », disent les avocats – règne sur le statut des migrants. Ceux qui avaient saisi les opportunités de régularisation offertes au fil des années par les autorités américaines comprennent qu’ils ont construit sur du sable, que tout est susceptible d’être remis en question. Les demandeurs d’asile, les jeunes dreamers – amenés par leurs parents et protégés depuis 2010 par un statut temporaire (le programme Deferred Action for Childhood Arrivals, ou DACA) –, les parents d’enfants américains en attente d’une annulation de leur injonction à quitter le territoire : tous sont désormais susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’« expulsion accélérée ». Et, comme ils ont fourni leurs coordonnées dans leur dossier, la police n’a plus qu’à les cueillir. « Plus personne n’est à l’abri », s’alarme l’étudiant en droit Hunter Parnell après avoir rendu visite, au centre de rétention, à un homme installé depuis plus de vingt ans aux États-Unis mais qui a eu le tort de se trouver « au mauvais moment au mauvais endroit ».
    La peur est intermittente, diffuse. « C’est une sorte de guerre psychologique », explique Kayla Choun, avocate au sein du cabinet Elevation Law, spécialisée dans la défense des migrants. Mais, malgré le départ en fanfare de sa campagne, l’administration Trump se heurte aux réalités. Selon le département de la sécurité intérieure, 37 660 personnes ont été expulsées en un mois, soit moins que sous Joe Biden (57 000 expulsions mensuelles en moyenne en 2024). Déçu par les premiers résultats, Donald Trump s’impatiente. Pour aider la police de l’immigration, débordée, il veut forcer les collectivités locales à arrêter les sans-papiers et à les détenir, quitte à menacer de couper les fonds aux villes démocrates qui protègent les migrants.
    Au cœur du concept de sanctuaire existe l’idée que certaines zones dites « sensibles » doivent être épargnées. Les parents doivent pouvoir déposer leurs enfants à l’école ou se rendre à l’hôpital sans risquer d’être arrêtés. Pour les responsables des collectivités sanctuaires, la sécurité de l’ensemble de la population est compromise si les migrants hésitent à s’adresser à la police de peur d’être arrêtés. Depuis 2011, une directive fédérale empêchait l’ICE de cibler les églises, les écoles et les hôpitaux. Donald Trump l’a révoquée dès le 20 janvier. « Les villes sanctuaires sont un sanctuaire pour les criminels, un point c’est tout, a asséné Tom Homan, l’architecte de la campagne d’expulsions massives, sur Fox News. Fini de jouer. »
    La remise en cause de ces protections a semé la consternation à Denver. Dans les écoles, les cliniques, les centres d’accueil pour étrangers, le personnel a dû suivre une formation. « Si la police se présente pour arrêter un patient, on doit demander à voir le mandat, résume le pédiatre Mohamed Kuziez, qui exerce au Children’s Hospital du Colorado. On peut refuser l’accès, mais on s’expose à être poursuivi pour obstruction à un agent de la force publique. »
    Sur le campus universitaire d’Auraria, dans le centre de la ville, où plus d’un quart des 42 000 étudiants est hispanique, les jeunes Latinos sont persuadés qu’ils sont surveillés par des agents en civil. « Ça rappelle les années 1930, quand Herbert Hoover a fait expulser 2 millions de Mexicains, dont plus de la moitié étaient des citoyens américains », affirme un étudiant en histoire, en référence à la campagne dite de « rapatriement mexicain » menée après la crise de 1929 par le gouvernement américain. Le 12 février, le district scolaire des écoles publiques de Denver, qui représente 207 établissements et 93 000 élèves de la maternelle à la terminale, a été le premier du pays à porter plainte pour rétablir l’interdiction des descentes de police dans les zones sensibles. Dans les écoles, la peur de la « migra », la police de l’immigration, est « dévastatrice », a souligné le responsable du district scolaire, Alex Marrero.
    A une altitude de 1 600 mètres, ce qui lui vaut son surnom de « Mile High City » (1 mile = 1 609 mètres), Denver s’enorgueillit de son capitole au toit recouvert de feuilles d’or 24 carats. Malgré la neige, plusieurs milliers de manifestants se sont rassemblés devant le bâtiment le 17 février, lors du Presidents’Day, jour de la traditionnelle célébration des présidents américains, pour protester contre la dérive « monarchique » de Donald Trump et d’Elon Musk. Aucun migrant n’avait osé se mêler au défilé.
    A deux pas de là, sur Grant Street, la First Baptist Church, tout en brique rouge, est l’une des 800 églises sanctuaires du pays (elles n’étaient que 250 en 2014). Dans le couloir, une affiche communique le numéro de téléphone à appeler pour alerter sur la présence de véhicules de l’ICE. C’est là que Jeanette Vizguerra s’était réfugiée, en 2017, dans une pièce aménagée dans le sous-sol. Fin janvier, l’église a fait installer un dispositif de sécurité. Si les agents de l’ICE veulent entrer, ils trouveront les portes fermées. La congrégation a décidé de « rester accueillante », indique Kurt Kaufman, l’assistant du pasteur. Elle se portera discrètement au secours des migrants en situation d’urgence. « Mais, si la police vient avec un mandat, il n’y a pas grand-chose que nous pourrons faire », soupire le jeune diacre.
    Les Etats et villes sanctuaires n’en sont pas à leurs premières attaques de la part du camp républicain. Début 2024, le très droitier gouverneur du Texas, Greg Abbott, avait expédié par bus à Denver des milliers de demandeurs d’asile, principalement des Vénézuéliens. La ville avait été débordée par l’arrivée de quelque 40 000 migrants en six mois, mais elle s’était mobilisée pour les loger puis les orienter vers d’autres localités. Le 3 mars, le maire, Mike Johnston (qui n’a pas répondu à notre demande d’entretien), est convoqué à la Chambre des représentants, en compagnie de ses collègues démocrates de Boston et de Chicago. La commission de surveillance et de réforme du gouvernement leur reproche de « compromettre la sécurité des Américains » en « entravant la capacité des agents fédéraux » à procéder à l’arrestation de criminels par leurs politiques « obstructionnistes ».
    L’offensive des républicains ne s’arrête pas là. La nouvelle ministre de la justice, Pam Bondi, a ordonné le gel des crédits qui, sous l’administration Biden, étaient octroyés aux villes sanctuaires pour compenser les dépenses occasionnées par l’arrivée des demandeurs d’asile (350 millions de dollars dans le cas de Denver). Ancienne procureure générale de Floride, grande alliée de Trump, elle envisage de poursuivre, au nom de l’Immigration and Nationality Act, les responsables locaux qui font obstacle à la transmission d’informations aux autorités fédérales. « Cette loi ne dit rien sur l’obligation de recueillir ces informations, rétorque la professeure Violeta Chapin. Personne n’a ordonné à Denver de ne pas partager d’informations avec le gouvernement fédéral. Le principe des villes sanctuaires, c’est qu’elles ne collectent tout simplement pas ces informations. »
    (...)L’« opération Aurora » a eu lieu le 5 février. Plusieurs complexes résidentiels des quartiers longeant East Colfax ont vu le débarquement de commandos avec des gilets pare-balles marqués ICE, soutenus par des transport de troupes blindés et des fumigènes. Arrivés au complexe d’appartements Edge of Lowry, un ensemble d’une soixantaine de logements mal entretenus, où les résidents se plaignaient depuis des années non pas des gangs mais des marchands de sommeil exploitant leur situation précaire, ils ont frappé aux portes sans ménagement. « Policia ! »
    Les ONG n’ont pas été surprises. V. Reeves, 29 ans, une diplômée en neurosciences qui a fondé le réseau d’aide aux sans-abri Housekeys Action Network Denver, dormait sur place depuis déjà une semaine. Elle a d’abord entendu le bruit des bottes. Les agents portaient des béliers, prêts à enfoncer les portes alors que la loi ne leur en donne pas le droit, sauf à présenter un mandat d’arrestation. « De la pure terreur », dit l’activiste (qui, non binaire, se fait appeler par le prénom V, en écho au V de la victoire). La veille, V. avait encore fait le tour des résidents pour leur rappeler de ne pas ouvrir leur porte, quoi qu’il arrive. Personne n’a ouvert. « Je suis tellement fier, exulte V. Pas un résident d’Edge of Lowry n’a ouvert. Personne n’a été arrêté ! »
    Dans le reste de l’agglomération, le bilan de l’opération, menée simultanément dans une demi-douzaine de résidences, n’a pas été plus impressionnant. Une quarantaine d’interpellations mais un seul suspect ayant un casier judiciaire, alors que la police avait annoncé cibler une centaine de membres de Tren de Aragua. Tom Homan, le « Tsar de la frontière », comme le surnomme Donald Trump, a blâmé des « fuites » émanant des médias pour expliquer le coup de filet raté. (...).

    #Covid-19#migrant#migration#etatsunis#denver#villesanctuaire#expulsion#politiquemigratoire#sante#droit#santementale

  • https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/19/pierre-ferracci-president-du-paris-fc-et-homme-d-affaires-tout-terrain_65048

    #Pierre_Ferracci, président du Paris FC et homme d’#affaires tout-terrain
    Par #Yann_Bouchez

    PORTRAIT Le président du modeste #club_de_football sera-t-il le premier dirigeant à pouvoir rivaliser avec le #PSG dans la capitale ? L’accord conclu à l’automne avec la #famille_Arnault lui donne trois ans pour y travailler. Un joli coup pour cet homme de #réseaux qui s’apprêterait, à 72 ans, à passer les rênes du #groupe_Alpha, le #cabinet_de_conseil spécialisé dans les #relations_sociales qu’il a fondé.

    Présider un club de #Ligue_2, l’antichambre de l’#élite du football professionnel, n’est pas toujours une sinécure. Ce samedi 7 décembre au soir, il pleut à verse sur #Ajaccio. Dans les tribunes du stade Michel-Moretti, un millier de courageux, guère plus, est venu assister au match opposant l’#AC_Ajaccio au #Paris_FC (PFC). Entre deux chants corses couvrant le bruit de la pluie, des supporteurs locaux lancent, de temps à autre, des noms d’oiseaux visant les « Français » de l’équipe parisienne.

    A 72 ans, Pierre Ferracci en a vu d’autres. Veste grise sur jeans foncé, cheveux clairsemés, le patron du Paris Football Club, lui-même né à Ajaccio, suit la rencontre en tribunes. Il s’est assis entre son fils François, directeur sportif du PFC, et un ex-dirigeant de l’AC Ajaccio. Le voilà presque comme un spectateur lambda ; ce soir-là, il a ignoré la loge dévolue aux dirigeants du club visiteur, trop excentrée.

    Le plateau de coppa, lonzu et fromages corses est resté intact, tout comme la bouteille de champagne. Malgré tout, Pierre Ferracci, s’est régalé. Au coup de sifflet final, scellant une victoire des Parisiens sur deux buts gaguesques, il s’invite sur la pelouse. Sous la pluie battante, il serre des mains, tout sourire. A ses joueurs comme aux adversaires.

    Changement de dimension

    Pierre Ferracci est un patron de club heureux. Les récentes défaites n’y changeront rien. D’ailleurs, le PFC, actuel troisième du classement, peut toujours viser la montée en Ligue 1 en fin de saison. « Je suis heureux parce que j’ai l’impression d’avoir mis le club sur de bons rails », avançait-il, satisfait, avant le match face à Ajaccio. « De bons rails », l’expression frise la coquetterie. Car le septuagénaire, fondateur et dirigeant du groupe Alpha, spécialiste et leader du conseil en ressources humaines, vient sans doute de réussir l’un des plus beaux deals de sa carrière. Le plus retentissant, à coup sûr.

    L’information a d’abord fuité dans le quotidien sportif L’Equipe, le 9 octobre. Une semaine plus tard, confirmation officielle : le Paris FC, modeste club de Ligue 2, jusque-là aux mains de Pierre Ferracci, accompagné d’un pack d’actionnaires, est en passe d’être racheté par la famille Arnault. Promesse, avec ces milliardaires, d’un changement de dimension. Et si émergeait enfin un « deuxième club de la capitale » capable, qui sait, de rivaliser un jour avec le richissime Paris Saint-Germain, sous pavillon qatari ?

    Le 20 novembre, foin de bling-bling, c’est dans la cantine du centre de formation du PFC, à Orly (Val-de-Marne) que Pierre Ferracci et Antoine Arnault, patron de deux fleurons du groupe de luxe LVMH, le maroquinier Berluti et le spécialiste du cachemire de très grand luxe, commentent l’union. Face à eux, des dizaines de caméras et une centaine de journalistes. L’affluence, pour une conférence de presse du PFC, est inédite. L’aîné de la fratrie Arnault, 47 ans, fan de foot et… du PSG, prend des accents philanthropiques : « L’idée est de rendre à la société, à Paris, à notre pays, ce qui nous a été donné. » Une manière adroite, peut-être aussi, de faire oublier les dribbles du patriarche avec le fisc.

    Un carnet d’adresses bien fourni

    Pierre Ferracci savoure le moment. Avec gourmandise, il évoque les coulisses de l’opération, en se gardant de tout dévoiler. La décision prise « avec [ses] deux fils, à l’été 2023 », de « s’associer à des forces économiques plus puissantes que les [leurs] » pour viser la Ligue 1. La satisfaction d’avoir trouvé, ensuite, par le biais de la banque Rothschild, un investisseur français « alors qu’aujourd’hui les deux tiers des clubs de L1 et de L2 sont contrôlés par des capitaux étrangers ». « Un enjeu de souveraineté nationale », ose-t-il, tout en reconnaissant que ces dernières années, il avait réuni au capital du Paris FC, « à titre minoritaire » certes, des actionnaires venus de Bahreïn, des Etats-Unis, d’Arménie et du Sri Lanka.

    Du montant du rachat, il ne dit rien ou presque. Il conservera 30 % des parts jusqu’en 2027, date prévue de son départ de la présidence du club. Agache Sport, la holding des Arnault, possédera alors 85 % du PFC, contre 15 % pour Red Bull – sous réserve que BRI Sports Holding, l’actionnaire anglo-sri-lankais, le seul qui résiste, accepte de vendre ses parts (7 %).

    Jongler avec les sujets économiques, politiques et sportifs, voilà la marque de fabrique de cet homme de réseaux. Autoproclamé « de gauche » et « homme de compromis », ce patron tout-terrain évolue au carrefour de plusieurs mondes. L’entrepreneur, aujourd’hui à la tête d’un groupe fort d’un millier de collaborateurs et d’un chiffre d’affaires annuel supérieur à 140 millions d’euros, côtoie depuis des décennies le gratin des grands patrons, des syndicalistes, comme des dirigeants sportifs. Il déteste l’expression « homme d’affaires », trop « péjorative » à ses yeux.

    Ses différentes activités lui ont permis de se constituer l’un des carnets d’adresses les plus fournis du Tout-Paris. Depuis vingt ans, il loue, au travers de sa société Alpha, une loge VIP au Stade de France – compter environ 200 000 euros à l’année. Il y invite les huiles du monde patronal et syndical. « Le foot, résume-t-il, c’est le sport le plus populaire de la planète. Il fédère beaucoup de personnes, d’états d’esprit différents. J’aime ça. »

    « Il était très militant »

    Le sport, pourtant, a d’abord occupé une place annexe dans sa vie. Car, avant tout, il y eut les affaires. Certes, dans les années 1960, gamin à Ajaccio, Pierre Ferracci allait voir les matchs du Gazélec, le club de foot des gaziers et électriciens corses. S’il en est resté un « supporteur historique », cela relevait en partie, à l’époque, du tropisme héréditaire.

    Albert Ferracci, son père, instituteur et ancien résistant, fut une figure éminente en Corse du Parti communiste. Sa mère, Rose, également enseignante et syndicaliste, partageait les mêmes engagements. Le soutien au Gazélec s’est imposé comme une évidence. Mais, niveau loisirs, le petit Pierre préfère encore, durant ses vacances d’été, les parties de chasse sous-marine du côté de Suartone, un village dans le sud de l’île, près de Bonifacio, où habite la famille du côté paternel.

    Doué à l’école, Pierre Ferracci monte à la capitale et mène des études d’économie et d’expertise comptable à l’université Paris-Dauphine. L’un de ses profs s’appelle Jacques Attali – on y reviendra. Déjà, l’étudiant porte plusieurs casquettes. Il adhère aux Jeunesses communistes – il prendra vite ses distances avec le #PCF – et à l’#UNEF, syndicat étudiant marqué à gauche. « Il était très militant mais pas gauchiste du tout », se remémore Paul-Antoine Luciani, un ami de la famille, figure #communiste et ancien adjoint à la #mairie d’Ajaccio.

    Rapports cordiaux avec Vincent #Bolloré

    Le jeune homme tisse des liens avec la #CGT. La figure de son père, très respecté chez les communistes, est un atout qu’il n’est pas besoin d’inscrire sur son CV. Précieux pour lancer sa carrière. Au début des années 1980, il rejoint un petit cabinet d’expertise-comptable, Maréchal. Très vite, il grimpe les échelons, en prend la tête. Les #lois_Auroux, en 1982 et en 1983, favorisent les négociations salariales et élargissent le rôle des comités d’entreprise (CE). #Pierre_Ferracci flaire le bon filon.

    Son groupe, #Alpha, qui voit le jour en 1983, d’abord avec le cabinet #Secafi, s’impose assez vite sur cette niche très rentable ; la CGT deviendra un de ses principaux clients, avec le syndicat des cadres #CFE-CGC plus récemment. Le cabinet de conseil travaille aujourd’hui pour environ 2 000 comités sociaux et économiques (#CSE). Le groupe s’est diversifié : il s’occupe aussi du reclassement des salariés, après un plan de licenciement. Un conflit d’intérêts, s’offusquent des concurrents du secteur qui reprochent à Alpha de jouer sur les deux tableaux, #syndical et #patronal. « La plupart du temps, on modifie à la marge les plans de licenciement. Donc l’accompagnement des salariés licenciés, c’est la suite logique », répond Pierre Ferracci.

    Grâce à son activité, il est l’un des #patrons les mieux informés de l’état de santé des grandes entreprises françaises. L’expert du #dialogue_social cultive une proximité avec un nombre incalculable de patrons. Il y a eu les #Corses, comme Jean-Cyril Spinetta, PDG d’Air France (1997-2008), ou Jean-Marie Colombani, directeur du Monde (1994-2007). Et puis des figures du #CAC_40 et capitaines d’industrie, parmi lesquels le spécialiste du textile Maurice Bidermann (mort en 2020), l’ancien sidérurgiste et ex-ministre Francis Mer ou encore Vincent Bolloré.

    Pierre Ferracci connaît le milliardaire conservateur breton « depuis longtemps ». « Dans les années 1990, j’ai même réussi à lui faire rencontrer, lors d’un repas, Louis Viannet, le secrétaire général de la CGT. » Et d’ajouter, facétieux : « C’était à l’époque où Vincent Bolloré avait une image un peu plus sociale qu’aujourd’hui. » Il a conservé des rapports cordiaux avec l’industriel : « Mais on parle plus de football et de #Canal que du #JDD et de #CNews, si c’est ça que vous voulez savoir. »

    Donateur du candidat d’En marche !

    Pierre Ferracci n’a cessé de tisser son réseau, tous azimuts. Son étiquette d’expert des questions sociales est un précieux sésame. En 2007, au début de la présidence Sarkozy, il accepte d’être membre de la commission #Attali sur la libération de la croissance. Beaucoup, à la CGT, tiquent. Peu lui importe. Le Corse aime le rappeler aux journalistes : c’est Emmanuel Macron, alors banquier chez #Rothschild et rapporteur général adjoint de la commission, qui a glissé son nom. « Manu », comme il l’appelle en privé, le tutoyant, est depuis vingt ans l’un des amis de son fils aîné, #Marc_ferracci, économiste devenu ministre sous les gouvernements Barnier puis Bayrou.

    Etudiants à Sciences Po, Marc Ferracci et Emmanuel Macron ont préparé l’#ENA ensemble. Les révisions s’organisaient parfois dans le chic appartement que loue aujourd’hui encore Pierre Ferracci près du jardin du Luxembourg, à Paris. En 2017, l’homme d’affaires sera d’ailleurs l’un des donateurs du candidat d’En marche !, ce qui ne l’a pas empêché, par la suite, de critiquer publiquement l’actuel chef de l’Etat, avec qui il conserve des relations « respectueuses et amicales ». Insaisissable Pierre Ferracci. Sous la présidence #Hollande, en 2014, il est nommé à la tête du Conseil national éducation économie, une structure visant à favoriser le dialogue entre le système éducatif et les entreprises. Il a également été membre du Conseil d’orientation pour l’emploi.

    « Pierre, c’est un pont entre plusieurs mondes, courtois, bon vivant », résume le consultant en stratégie sociale Antoine Foucher, qui a appris à le connaître lorsqu’il travaillait au Medef, vers 2012-2013. « Je ne suis jamais pour la politique de la chaise vide, justifie Pierre Ferracci. Là où il y a moyen de faire passer ses idées, j’y vais. » Son mantra : que les choix économiques n’écrasent pas les questions sociales. Ses détracteurs dénoncent des compromissions, lui vante les « compromis équilibrés ».

    Débuts catastrophiques au Paris FC

    C’est le football qui va lui permettre d’étoffer encore ses réseaux. Au début des années 2000, le conseil général de Seine-Saint-Denis et la ville de Saint-Ouen demandent à son groupe un audit du Red Star, avant de le sonder pour qu’il reprenne les rênes du club. L’affaire n’est pas conclue, mais elle lui donne des idées. En 2007, Guy Cotret, dirigeant du Crédit foncier, fait entrer Pierre Ferracci dans l’actionnariat du Paris FC, alors en National, le troisième échelon français.

    Le Corse sympathise avec des dirigeants et des personnalités du ballon rond, comme le mythique entraîneur Arsène Wenger ou le journaliste Didier Roustan. « Le football lui a permis d’élargir son carnet d’adresses avec des personnalités qui ne sont pas forcément celles qu’il rencontrait habituellement à travers son activité », résume Guy Cotret. Qui, en 2012, se fait évincer par Pierre Ferracci de la tête du club. « Il avait mis au pot plus que moi, 1 million d’euros environ, se remémore le président déchu et fâché à l’époque. Il voulait garder la main. C’est un chef d’entreprise, il y a une part d’autoritarisme qui n’est pas anormale. Mais l’affaire s’est conclue en bonne intelligence. »

    Les débuts de la présidence Ferracci au Paris FC sont catastrophiques. Le club est relégué. Les entraîneurs valsent les uns après les autres. La venue comme conseiller de son ami le journaliste Charles Villeneuve, ex-président du PSG rencontré par l’intermédiaire d’#Alain_Minc, est un échec. Le projet, avec Jean-Marc Guillou, un ancien joueur de l’équipe de France qui a entraîné par la suite la Côte d’Ivoire, de faire venir des jeunes joueurs africains, ne prend pas non plus. « Ça m’a vacciné d’entrée, ça c’est sûr », observe Pierre Ferracci avec le recul. Depuis plus de dix ans, il ne jure plus que par la formation locale et la richesse du bassin parisien. « Il croit à ce projet et a une vision claire de ce qu’il veut faire », salue Jean-François Martins, ancien adjoint aux sports à la mairie de Paris.

    Accord critiqué avec le #Bahreïn

    En douze ans de présidence, Pierre Ferracci a professionnalisé le PFC. Sans parvenir à lui faire goûter à la Ligue 1. Un centre d’entraînement et de formation a été inauguré à Orly en 2019. Le budget du club, l’un des plus gros de Ligue 2, se situe désormais autour de 30 millions d’euros. Pierre Dréossi, figure connue de la Ligue 1 et manageur général du PFC de 2015 à 2020, loue un patron de club qui a su « trouver des partenaires financiers ».

    En 2015, ce fut d’abord Vinci comme sponsor – un groupe que le cabinet Secafi connaissait bien. Puis le Bahreïn en 2020, à l’époque pour 25 millions d’euros et 20 % du capital du club – et 2 millions d’euros annuels pour être sponsor maillot. L’accord a suscité son lot de critiques, d’autant que le prince Nasser Ben Hamed Al Khalifa, à la tête du fonds bahreïni, est accusé par plusieurs ONG d’actes de torture. « Vous avez au Bahreïn une synagogue, une église catholique, une église orthodoxe et beaucoup plus de liberté pour les femmes qu’au Qatar, donc je n’avais pas de problème avec le Bahreïn », balaie cet athée revendiqué – « je suis très croyant : je crois que Dieu n’existe pas » –, qui apprécie peu de recevoir des leçons.

    Pierre Ferracci reconnaît d’ailleurs sans mal avoir essayé, « dans les années 2014-2015 », de recruter le géant russe #Gazprom comme sponsor : « En octobre 2015, j’ai même eu un rapide échange avec #François_Hollande, #Vladimir_Poutine et #Alexandre_Orlov [ambassadeur de la Russie à Paris] à ce sujet. » Aucun accord n’a été trouvé, mais la rencontre lui a rappelé l’époque où Alpha avait des bureaux à Saint-Pétersbourg et à Moscou.

    Ces dernières années, avant le rachat par #les_Arnault, il a réussi, grâce à son seul entregent, quelques « coups ». Comme faire de Raï, l’ex-star brésilienne du PSG, pas vraiment désireuse de travailler avec les Qataris, un ambassadeur du PFC. Ou de rendre gratuite la billetterie du stade Charléty, l’enceinte du Paris FC, aux tribunes souvent aux trois quarts vides – cela a un peu changé ces derniers mois. Fin novembre 2024, il a nommé son ami #Michel_Denisot au conseil d’administration du PFC. L’homme de télé, ex-président du PSG, est aussi un ancien de Canal+. Le dirigeant du PFC milite d’ailleurs pour qu’un jour la #chaîne_cryptée et le football français renouent leur longue alliance, interrompue ces dernières années. En vain pour l’instant.

    L’affaire de ses villas

    Au cours des dernières semaines, la BBC, le New York Times ou le Washington Post l’ont sollicité pour des interviews. Flatteur, même pour cet habitué de la presse. S’il est intarissable sur les mille et une nuances du monde syndical, les petites ou grandes histoires du football européen, il l’est beaucoup moins, en revanche, sur ce qu’il considère relever de son intimité. De son goût pour les bolides, il n’a jamais rien dit. Rien non plus sur ses revenus – un peu plus de 750 000 euros déclarés auprès du fisc pour l’année 2018, selon nos informations.

    L’affaire de ses deux villas et de sa piscine près de #Suartone, en Corse, qui lui ont valu une longue bataille judiciaire et 1 #million_d’euros d’amende pour un permis de construire non respecté, l’agace encore. S’il a pu conserver les #villas, il n’a pas digéré les nombreux articles écrits. « Une conséquence de ma relation avec Emmanuel Macron », estime-t-il à propos de cette #attention_médiatique. Mais, même sur ces polémiques, le verbe s’emporte rarement. « Il est assez insondable, Pierre, observe Jean-François Martins, l’ex-adjoint parisien, c’est assez déroutant. Il n’est pas surexpressif, même s’il dit ce qu’il pense. »

    Le ton affable et le goût revendiqué pour le dialogue social de Pierre Ferracci ne convainquent pas tout le monde. Plusieurs ex-salariés du groupe Alpha décrivent, sous couvert d’anonymat, un patron « autocrate » et « un management de la tension ». Simple aigreur de collaborateurs licenciés ? Pas sûr : l’inspection du travail s’est émue, à plusieurs reprises, au mitan des années 2010, du manque de dialogue chez Secafi-Alpha lors de plans de réorganisation, avec des #syndicats_internes informés « au compte-goutte ».

    En 2015, un fichier des ressources humaines listant des dizaines de salariés avec des remarques désobligeantes et parfois personnelles fuite. #Scandale dans le groupe. « Il y a eu des sanctions, ces pratiques n’existent plus », assure Pierre Ferracci. Et d’ajouter : « Le groupe Alpha n’est ni une entreprise parfaite ni, compte tenu du modèle social qu’elle a mis en place, un groupe qui doit être l’objet de toutes les critiques, tant s’en faut. »

    Des mystères demeurent
    Au sein du Paris FC, depuis ses débuts compliqués, tout le monde reconnaît l’implication de Pierre Ferracci. Il assiste à la plupart des matchs. Mais quelques mystères demeurent. Combien d’argent a-t-il mis dans le club depuis près de quinze ans ? « Beaucoup, beaucoup », sourit-il. Mais encore ? « Ça, je ne le dirai jamais. » Malgré nos relances, il ne précise pas, non plus, à quel prix le club a été racheté – « ça n’a pas grande importance ». D’une formule, il reconnaît tout de même : « C’est une très belle #valorisation. » Et ajoute qu’il est « ravi que tous les actionnaires qui [l]’ont suivi depuis le départ n’ont pas perdu d’argent mais en ont gagné » avec la reprise par les Arnault. Lui compris, évidemment.

    Au sujet des nouveaux propriétaires, Pierre Ferracci l’assure : il ne connaissait pas personnellement la #famille_Arnault avant le printemps, au début des négociations. Avec son groupe Alpha, il avait pourtant eu à gérer, dans les années 2000, deux dossiers sensibles liés à LVMH. D’abord, la fermeture contestée de la Samaritaine, où son cabinet Secafi avait été très critiqué par des salariés l’accusant d’avoir joué le jeu de la direction. Ensuite, le rachat (d)#Les_Echos par #Bernard_Arnault.

    Antoine Arnault confirme n’avoir, avant le printemps 2024, que « croisé » le président du PFC « dans différentes réceptions ou événements liés à nos vies professionnelles ». Mais, depuis le printemps, ils ont appris à se connaître et à s’apprécier. Le patron de Berluti salue des #négociations menées « avec une grande intelligence et une grande patience ». « Après, nuance le nouveau propriétaire du Paris FC, c’est quelqu’un qui a aussi ses idées et qui n’en démord pas, et va négocier de manière extrêmement déterminée. Ce n’est pas un enfant de chœur, Pierre Ferracci. » C’est dit comme un compliment.

    Le casse-tête du stade

    Ces dernières semaines, Antoine Arnault, habitué aux tribunes VIP du Parc des Princes, a assisté à des matchs de son nouveau club. Même si l’enceinte du Paris FC n’a pas de loges, il a pu y côtoyer du beau monde. « Pierre Ferracci est quelqu’un qui a une très grande intelligence des gens et qui arrive à se les mettre dans la poche, jauge-t-il. Quand je vais à Charléty et que je croise aussi bien Philippe Martinez que Pascal Obispo… Il réussit à réunir des gens d’univers très différents et à les faire dialoguer. Dieu merci, avec Martinez, ce n’est pour l’instant que pour parler foot ! »

    Cette année, Pierre Ferracci a promis de passer la main à la présidence du groupe Alpha. D’ici à l’automne, il souhaite créer un fonds de dotation pour soutenir des actions liées à « l’éducation des tout-petits », un sujet cher à ce fils d’instits. Sa casquette de président du Paris FC, pour trois ans encore, devrait bien l’occuper.

    Les #chantiers ne manquent pas. Il y a cette montée en Ligue 1, dont il rêve depuis des années. L’agrandissement du centre d’entraînement, à #Orly, qui paraît sous-dimensionné au vu des ambitions des nouveaux propriétaires. Et puis, surtout, le casse-tête du stade. #Charléty, avec sa piste d’athlétisme et ses tribunes ouvertes aux quatre vents, n’est pas l’écrin rêvé. Il faudrait le réaménager, si la Ville de Paris l’accepte. Afin de pouvoir accueillir les célébrités qui devraient se presser en tribunes, pour voir jouer le club alliant désormais le savoir-faire du président Ferracci à l’argent des Arnault.

    #Yann_Bouchez

  • En Calabre, la migration dans les veines Giovanni Manoccio
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/11/en-calabre-la-migration-dans-les-veines-giovanni-manoccio_6492175_4500055.ht

    En Calabre, la migration dans les veines Giovanni Manoccio
    Par Camille Buonanno
    Plus d’un an après la signature de l’accord controversé entre la présidente du conseil italien, Giorgia Meloni, et son homologue albanais, les 3 000 places des deux centres de rétention construits en Albanie pour les migrants illégaux restent vides. Les centres sont devenus opérationnels en octobre 2024, mais des juges italiens ont rejeté la détention des deux premiers groupes d’hommes qui y ont été transférés et qui ont ensuite été renvoyés dans la Péninsule.
    La Cour de justice de l’Union européenne doit maintenant réexaminer la question, mais dans l’intervalle, les transferts ont cessé. « Pour ceux qui travaillent dans ce domaine, il était évident que cet accord, c’était de la propagande, s’agace Giovanni Manoccio en se redressant sur son fauteuil en toile noire. Ce projet ne respecte ni la Cour constitutionnelle, ni le Parlement, ni les règles européennes. »
    Pull en maille vert à col rond, pantalon en velours côtelé, lunettes cerclées de noir, sous ses allures de grand-père, le retraité a conservé un esprit révolutionnaire. « J’étais le seul communiste dans une famille démocrate-chrétienne », raconte Giovanni Manoccio avec la fierté espiègle d’un adolescent rebelle. Un immense portrait d’Enrico Berlinguer, secrétaire du Parti communiste italien de 1972 à 1984, habille le mur de son bureau situé au deuxième étage d’un vieil immeuble d’Acquaformosa, en Calabre, dans le sud-ouest de l’Italie. Le village dont il a été le maire entre 2004 et 2014 est connu pour avoir accueilli et aidé des milliers de migrants grâce à l’association Don Vincenzo Matrangolo dont il a supervisé la création en 2010, avant d’en devenir le président, en 2019.
    Ici, parmi les 972 habitants du village, l’immense majorité est d’origine arbëresh. Les Arbëresh sont arrivés il y a cinq cents ans pour fuir l’invasion ottomane. Ces Italo-Albanais ont trouvé refuge dans les reliefs calabrais. Né à Acquaformosa comme ses parents, Giovanni Manoccio a hérité de ce long passé migratoire. « Je dis toujours qu’accueillir est dans notre ADN. On est simplement passé de peuple accueilli à peuple accueillant », résume-t-il.
    La construction de camps pour enfermer des migrants sur le sol albanais résonne forcément avec son histoire personnelle. Il déplore le manque de mobilisation contre le projet. « J’éprouve une colère incroyable envers les maires arbëresh qui se sont rendus à Tirana pour la fête de l’indépendance [le 28 novembre]. J’ai demandé à l’un d’entre eux d’organiser une protestation contre les centres, mais personne ne veut la faire », soupire-t-il.
    Depuis quatorze ans, son village a accueilli près de 4 000 personnes de 72 pays différents, avec des prises en charge différentes selon les profils : accompagnement pour obtenir le statut de réfugié, aide spécifique aux mineurs non accompagnés, cours d’italien… « J’ai toujours été très concerné par l’idée de droits universels. C’est une conviction profonde, à la fois culturelle, philosophique, humaine et religieuse. Accueillir des étrangers, c’était l’accomplissement de mes engagements politiques depuis ma jeunesse. »
    Le projet de l’association n’a pas tout de suite fait l’unanimité. « Il faut prendre en compte qu’Acquaformosa était un village fermé. Jusqu’aux années 1940-1950, on ne se mariait qu’entre Arbëresh, puis petit à petit avec des Italiens. Alors l’arrivée d’Africains, de réfugiés du monde entier, ça a été un peu difficile », se souvient Giovanni Manoccio. « Mais Giovanni est une personnalité charismatique, il a su démontrer aux habitants que l’arrivée d’étrangers était plein de ressources et non de contraintes », observe Simonetta Bonadias, psychologue au sein de l’association depuis 2014.
    « Cette initiative a apporté de réels bénéfices au village », affirme-t-elle en énumérant les retombées positives de cet apport de sang neuf, du sauvetage de l’école communale à la relance des commerces grâce à l’économie circulaire ou encore le mélange culturel quotidien. Dans ces villages dont la population est vieillissante, le modèle fonctionne et séduit. Huit communes alentour, dont sept à majorité arbëresh, ont depuis rejoint les programmes de l’association.
    Le sexagénaire a été condamné en octobre pour un préjudice financier lié à la gestion des centres d’accueil des migrants entre avril 2011 et décembre 2012, mais les juges ont tenu compte du fait qu’il n’y avait eu aucun enrichissement personnel. « De nombreuses associations ont aussi rencontré ces difficultés au début. Domenico [Lucano, ancien maire de Riace, en Calabre] a été condamné à une peine de quinze mois, pour des pratiques administratives jugées incorrectes. Mais il n’y a aucune intention malveillante, juste des erreurs. L’argent, on l’utilise toujours pour les familles qui arrivent », tient-il à préciser. Des familles qui se sont installées dans la durée. Depuis une décennie, des dizaines d’enfants de migrants sont nés dans le village. Six d’entre eux s’appellent Giovanni.

    #Covid-19#migrant#migration#italie#mediterranee#routemigaroire#migrationirreguliere#accueil#calabre#albanie#sante#droit

  • Dans le Nord, une parenthèse sur la route de l’exil des migrants
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2025/01/02/dans-le-nord-une-parenthese-sur-la-route-de-l-exil-des-migrants_6477502_4500

    Dans le Nord, une parenthèse sur la route de l’exil des migrants
    Par Simon Henry
    « Dans ce milieu, soit tu te mets à picoler, soit tu divorces, bref, tu as toutes les chances de mal finir. » Carré de cheveux gris, yeux rieurs et gros pull-over pour se préserver du froid mordant de cette mi-décembre, Sylvie Desjonquères sait la dureté du monde associatif : trop d’indignation, trop d’engagement peuvent finir par user. Mais du haut de ses vingt-cinq années de militantisme à défendre la cause des migrants le long du littoral du Nord-Pas-de-Calais, cette ancienne responsable d’Emmaüs Grande-Synthe a su, elle, transformer sa colère en énergie positive. Sous son air jovial, la sexagénaire, avec sa voix de stentor et sa gestuelle théâtrale, ­continue de dénoncer, avec la même force, les conditions de vie misérables de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants ayant tout perdu en quittant leur pays. C’est pour eux qu’elle a créé la Maison Sésame.
    Située au cœur d’Herzeele, un village du Nord de 1 600 habitants, à une vingtaine de kilomètres de Dunkerque, cette bâtisse est depuis cinq ans un lieu de répit pour les exilés en transit vers le Royaume-Uni. L’année 2024 aura connu une nouvelle poussée du nombre de traversées à bord de canots de fortune, 30 000 au 1er novembre, selon le ministère de l’intérieur britannique ; mais elle pourrait surtout s’avérer la plus meurtrière, avec encore un nouveau naufrage le 29 décembre. Au moins 76 personnes ont perdu la vie en tentant de rejoindre les côtes anglaises depuis le 1er janvier 2024. « Le jugement que l’on peut porter sur leurs raisons de s’exiler m’importe peu. La réalité, c’est qu’ils sont là. Il était impossible pour moi de les voir survivre dehors dans des conditions indignes », raconte Sylvie Desjonquères, pour expliquer la naissance de la Maison Sésame.
    Cet endroit, c’est d’abord le sien, celui où elle a grandi. En avril 2017, un incendie ravage le camp de la Linière, à Grande-Synthe, et ses 300 cabanons en bois ; un camp humanitaire qui abritait environ 1 500 migrants, et avait vu le jour un an plus tôt grâce à la ténacité du maire écologiste de l’époque, Damien Carême, « un grand monsieur », salue Sylvie Desjonquères, et le concours de Médecins sans frontières. La destruction du camp avait de nouveau éparpillé les exilés dans la nature.
    « En 1999, j’avais vu pour la première fois des gens dormir dans les bois, cette image ne m’a jamais quittée. » L’idée de créer un lieu accueillant germe dans son esprit. L’opportunité de la maison familiale, inhabitée depuis le décès de ses parents, se présente. Elle rachète ses parts à ses frères et sœurs, et met au service de ce projet son énergie et son réseau de militants. La Maison Sésame ouvre ses portes en 2019. « Au départ, on y est vraiment allés sur la pointe des pieds », dit en souriant la propriétaire, consciente que, dans ce territoire où le Rassemblement national est fortement implanté, le projet émerge dans un contexte politique hostile à l’accueil des réfugiés. « On a même eu des appels de la police, nous informant qu’on était sous surveillance. Les autorités cherchaient à connaître nos intentions et les profils des personnes accueillies ici. J’ai fini par les envoyer paître », s’esclaffe-t-elle avec son franc-parler.
    Financée par Emmaüs France et d’autres associations d’aide aux migrants, la Maison Sésame, qui a besoin de 75 000 euros par an pour fonctionner, a accueilli plus d’un millier d’exilés, dont la durée de séjour a varié d’une nuit à quatre mois. Ici, ils peuvent se laver, se nourrir, se vêtir et dormir dans un vrai lit avec des draps propres. Profiter aussi d’un lieu apaisant, loin de la violence des camps. Chaque pensionnaire paie son écot à la collectivité, en contribuant tour à tour aux tâches ménagères. La capacité d’accueil s’élève à 15 personnes. Celles-ci sont repérées sur le terrain par les associations, qui tentent en priorité de mettre à l’abri les plus vulnérables. « On accueille beaucoup de femmes avec enfants, d’autres isolées qui ont été violentées par leurs maris, ou encore des personnes LGBTQ +, explique Sylvie Desjonquères. Nous sommes aussi connus des hôpitaux, qui n’hésitent pas à nous contacter pour des familles qui ont reçu des soins et ont besoin de repos. »
    C’est le cas d’Hélénas, 8 ans. Lors d’une tentative de traversée il y a trois mois, la petite fille d’origine kurde a connu des problèmes respiratoires après que la police a fait usage de gaz lacrymogènes pour arraisonner l’embarcation sur laquelle elle se trouvait avec ses parents. Au milieu du salon, dont les murs sont tapissés de dessins et de photos des ­exilés passés par la Maison Sésame, elle a aujourd’hui retrouvé sa vigueur d’enfant après ce séjour salutaire.
    Qu’elle sait provisoire. « Je vais prendre le bateau pour aller en Angleterre », déclare-t-elle dans un anglais parfait. Ce que confirme son père, Sharam, 28 ans. « On va retenter la traversée, nous ne pouvons pas demander l’asile en France, et nous ne voulons pas être à nouveau confrontés à la dureté des camps. Quand on a connu la Maison Sésame, c’est un retour en arrière impossible. Ici, on se sent aussi bien que dans notre propre maison. »
    Redonner de la dignité à ces laissés-pour-compte, le temps de leur passage en France, telle est la philosophie des lieux portée par Sylvie Desjonquères. « Quand on voit que l’Etat dépense 500 millions d’euros par an pour sa politique de lutte contre l’immigration clandestine, inefficace sur le littoral, on pourrait ouvrir 6 000 maisons Sésame avec cet argent ! » Un enjeu de santé publique et de dignité humaine, estime-t-elle.

    #Covid-19#migrant#migration#france#littoral#pasdecalais#accueil#humaitaire#sante

  • Contre l’oubli, des chercheurs français dressent un inventaire du patrimoine de Gaza

    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/11/29/contre-l-oubli-des-chercheurs-francais-dressent-un-inventaire-du-patrimoine-

    Contre l’oubli, des chercheurs français dressent un inventaire du patrimoine de Gaza

    Sous la conduite de l’historien Fabrice Virgili, une trentaine d’universitaires documentent l’état du patrimoine de l’enclave, alors que les deux tiers des bâtiments ont déjà été détruits par l’armée israélienne.

    Par Victoire Radenne

    L’idée est née pendant une nuit de février 2024, alors que la guerre à Gaza perturbait une fois encore le sommeil de Fabrice Virgili, historien et directeur de recherche au CNRS, spécialiste des territoires de guerre. « A mesure que les bombardements israéliens font disparaître Gaza de la carte et que notre sentiment d’impuissance grandit, que pouvons-nous faire en tant que chercheurs ? », s’interroge-t-il. Dresser un inventaire du patrimoine bombardé à Gaza et suivre, pour chaque site mentionné par l’Unesco, l’état de sa destruction lui apparaît alors comme une option à la portée du monde académique ; scientifiquement irréfutable et symboliquement forte.

  • Liberté de la presse : Comment Emmanuel Macron a verrouillé violemment la presse au Canada - POLITIS
    https://www.politis.fr/articles/2024/09/politique-comment-macron-verrouille-violemment-la-presse

    Un message qui a provoqué la fureur d’Anastasia Colosimo, conseillère « communication internationale » de M. Macron, envers les journalistes accrédités, selon les informations de Politis. La politologue, recrutée par Emmanuel Macron il y a deux ans, s’est efforcée de faire retirer à l’APP son tweet, en vain. « Ça a bien tangué », souffle une journaliste, qui décrit « une gueulante » et plusieurs « coups de fil menaçants » de l’Élysée. « Elle est complètement tarée, elle menace les gens, c’est une dingue », souffle une autre consœur, qui décrit un « profil sulfureux », référence aux amitiés de la collaboratrice d’Emmanuel Macron avec Sarah Knafo, la conseillère et compagne d’Éric Zemmour et son travail de communication dans les pays du Golfe.

    Le président se trouvait le 27 septembre dans le vieux Montréal, le quartier historique de la ville, lors d’une déambulation après une conférence de presse commune avec le premier ministre canadien Justin Trudeau. « Il y avait un petit bain de foule mais la majorité des gens n’étaient pas hostiles. Et là, une jeune femme (palestinienne, N.D.L.R.) a commencé à hurler « Vous avez du sang sur les mains », et autre un homme a crié : « Honte à vous, Macron démission », relate un journaliste sur place.

  • Marguerite Abouet, créatrice de la bande dessinée « Aya de Yopougon », victime d’une campagne raciste
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/09/21/marguerite-abouet-creatrice-de-la-bande-dessinee-aya-de-yopougon-victime-d-u

    Le 17 juin, à Paris, Marguerite Abouet, la scénariste des célèbres bandes dessinées Aya de Yopougon et Akissi, ­recevait des mains de l’ancien ministre de l’éducation Pap Ndiaye la médaille de chevalier de l’ordre national du Mérite. Deux semaines plus tard, au soir du premier tour des élections législatives anticipées, la Franco-Ivoirienne de 53 ans est en Martinique. Invitée du festival Partir en livre, elle est accompagnée de son fils de 17 ans, fraîchement bachelier. Alors que l’ouragan Beryl menace l’archipel, le Rassemblement national arrive en tête, avec 33,35 % des suffrages exprimés. « Nous étions dans un restaurant, et les gens autour de nous étaient contents. J’ai pris un coup », admet-elle.

    Propulsée star de la bande ­dessinée jeunesse dans les années 2000 avec presque 1,3 million d’exemplaires vendus, Marguerite Abouet n’est pourtant pas du genre à se laisser abattre par la politique. « Moi, je crois en ma France », affirme-t-elle. Sur le moment, elle s’est attelée à rassurer son fils. Puis son été a continué, marqué par la préparation de la sortie de son prochain livre, le onzième volume des aventures d’Akissi. Pendant quatorze ans, avec le dessinateur Mathieu Sapin, elle a chroniqué les tribulations de cette petite Ivoirienne qui lui ressemble beaucoup, dans le quartier de Yopougon, à Abidjan.

    Mais l’histoire de la fillette prend, en cette rentrée, un tour nouveau : comme Marguerite Abouet avant elle, à 12 ans, Akissi quitte son pays pour la France. Pour le lancement du tome 1 de ce nouveau cycle, baptisé Akissi de Paris, Gallimard Jeunesse a mis les petits plats dans les grands, avec un tirage initial de douze mille exemplaires. Le 21 août, l’éditeur en dévoile la couverture sur Facebook, par un post « sponsorisé », une pratique courante par laquelle la plate-forme, contre rémunération, accroît la circulation d’une publication. Celle-ci peut ainsi toucher un public bien plus large, et pas nécessairement le premier visé. Le message annonce : « Akissi débarque à Paris ! Akissi vient de quitter la Côte d’Ivoire et fait sa rentrée dans un collège parisien. Mais l’intégration n’est pas facile : ­nouveau pays, nouveaux codes, nouveaux amis… A peine arrivée, Akissi est déjà au bout de sa vie ! »

  • En Hongrie, les tartufferies d’un curé homophobe éclatent au grand jour
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/09/22/en-hongrie-les-tartufferies-d-un-cure-homophobe-eclatent-au-grand-jour_63275

    En Hongrie, Gergő Bese était de ces curés catholiques qui servent matin, midi et soir la propagande du pouvoir nationaliste de Viktor Orbán, à commencer par ses messages aux relents homophobes contre « l’idéologie LGBT ».

    […]

    A peine un mois plus tard, le vendredi 6 septembre, le même curé aux cheveux blonds d’une petite ville de quatre mille habitants située à 60 kilomètres au sud de Budapest et aux discours homophobes a été suspendu par son archevêché « avec effet immédiat de son service sacerdotal ». La décision soudaine a suivi les révélations gênantes du site d’information indépendant Válasz Online, selon lesquelles circulaient depuis des mois dans les cercles du pouvoir des informations compromettantes à son encontre. Et notamment des « vidéos et des enregistrements sonores » disponibles sur des « sites porno gay » qui montreraient Gergő Bese « s’adonner à des fêtes homosexuelles ». La chaîne de télévision RTL, qui a eu accès aux vidéos, a même évoqué par la suite des scènes de sexe collectives filmées de la propre main du prêtre, reconnaissable aux bracelets qu’il a l’habitude de porter.

  • Le drame discret des migrants à Wimereux, le « Deauville de la Côte d’Opale »
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/09/19/le-drame-discret-des-migrants-a-wimereux-le-deauville-de-la-cote-d-opale_632

    Le drame discret des migrants à Wimereux, le « Deauville de la Côte d’Opale » Par Julia Pascual
    Au sud de Calais, la petite ville sert de plus en plus de point de départ aux candidats à l’exil, déterminés à rejoindre l’Angleterre. Les récents drames qui ont endeuillé les environs ne laissent pas les habitants indifférents. Napoléon Bonaparte avait installé une armée d’officiers sur la côte boulonnaise (Pas-de-Calais) pour s’emparer de l’Angleterre. De la présence de ce camp militaire entre Le Portel et Wimereux, de 1803 à 1805, il ne reste presque aucune trace. A Wimereux, seul subsiste l’obélisque érigé en hommage aux soldats de l’Empire.
    L’Angleterre n’a pas été conquise et Wimereux est devenue une station balnéaire cossue. Le charme des villas colorées du début du XXe siècle, qui ont survécu aux bombardements de la seconde guerre mondiale, fait la joie des touristes français ou belges. L’été, la population de la ville passe de 8 000 à 25 000 habitants. En ce samedi ensoleillé de septembre, des promeneurs parcourent la digue, sur la plage, les enfants jouent à marée basse, les chiens s’ébrouent. Depuis quelque temps, aux heures les moins fréquentées, un autre genre de visiteurs débarquent dans ce « Deauville de la Côte d’Opale ». Eux aussi veulent gagner l’Angleterre, dont on aperçoit les falaises crayeuses par temps clair. Ils viennent de Syrie, du Vietnam, d’Irak, d’Iran ou de la Corne de l’Afrique, ils fuient la guerre, les persécutions, la misère. Et leurs vaisseaux sont des radeaux. Depuis trois ans, de plus en plus de bateaux de migrants partent du sud du Pas-de-Calais, quand les départs se concentraient auparavant autour de Dunkerque et de Calais.
    Dans la nuit du 14 au 15 septembre, c’est ­d’Ambleteuse – un village voisin de Wimereux – qu’un groupe d’une cinquantaine de personnes a entrepris une traversée de la Manche. Très vite, leur canot surchargé se serait abîmé sur les rochers. Huit hommes sont morts. Le 3 septembre, c’est de la grande plage des dunes de la Slack, sur la commune de Wimereux, qu’un groupe composé en majorité d’Erythréens avait pris la mer peu avant 8 heures. Le canot pneumatique a chaviré en fin de matinée. Douze personnes se sont noyées, des femmes en majorité. Deux corps n’ont pas été retrouvés. L’année 2024 est d’ores et déjà la plus meurtrière depuis l’apparition, en 2018, des traversées en small boat, ces canots de moins de dix mètres sur lesquels s’entassent jusqu’à soixante voire quatre-vingts personnes.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les naufrages de migrants se succèdent dans la Manche
    Alors que les flâneurs arrivent un à un sur la digue de Wimereux en cette fin de matinée de septembre, un camion-benne de la municipalité se presse de ramasser les affaires laissées à l’aube par les migrants en partance, comme pour effacer toute trace d’eux. Ces histoires, ces drames, les Wimereusiens les connaissent pourtant.
    Pierre-Louis Couvelard, moniteur de surf et fondateur de Wimereux Surf School, le 14 septembre 2024.« On est aux premières loges », remarque Pierre-Louis Couvelard, 28 ans, qui tient depuis trois ans la première école de surf du coin. Le 23 avril, il se souvient avoir dû annuler un cours après que plusieurs personnes sont mortes étouffées dans un canot, dont une petite fille de 7 ans, originaire d’Irak. « C’était pile-poil en face de l’école. On n’allait pas passer devant le SAMU et les draps blancs », justifie Pierre-Louis Couvelard, dont la « plus grande peur est de retrouver un corps qui flotte ». « Ces gens vont à l’abattoir, souffle-t-il, souvent sans gilet de sauvetage. »
    S’il en vendait, Christophe Omnes est sûr qu’il ferait fortune. Des migrants lui en demandent « tous les jours », assure cet homme de 60 ans qui attend le client, enfoncé dans un transat devant son petit commerce d’articles de plage. « Je n’ai pas envie de m’enrichir sur la misère du monde. » Avec son téléphone, il lui arrive de prendre en photo les interventions des secours en mer. Au large de Wimereux, on aperçoit en permanence les bateaux affrétés par l’Etat pour surveiller le détroit du pas de Calais.
    « Quand on distingue les côtes anglaises, on peut croire que c’est simple de tenter la traversée, même pas besoin de boussole et on a de belles rampes de mise à l’eau », commente André Darcourt. Ce marin-pêcheur de 78 ans promène tous les matins le chien de sa fille sur le front de mer. Il n’hésite pas à entamer la conversation avec les policiers qui patrouillent près des dunes, comme avec les migrants qui rentrent bredouilles d’une tentative ratée. Il connaît les parkings où ils se cachent pour gonfler les embarcations, et ramasse parfois les bandes fluorescentes des gilets de sauvetage abandonnés. « Je les mets sur mes filets de pêche, ça me permet de les repérer la nuit à la lampe frontale », justifie ce retraité.
    Ce 14 septembre, dans une des rues de la ville, André Darcourt a retrouvé deux couvertures et un sac vide au pied d’un parcmètre qu’un groupe de touristes flamands tentait de faire fonctionner, sans prêter attention à ce discret vestige. Dans la commune, il y a bien quelques personnes qui « rouspètent », de crainte que le cours de ­l’immobilier ne soit affecté par la présence de migrants, rapporte-t-il. Mais les habitants naviguent surtout entre ignorance et empathie.
    « Ça fait mal au cœur », commente ainsi Xavier Guerville, un médecin de 53 ans croisé à sa fenêtre tandis qu’il repeint « en bleu Hawaii » les huisseries de sa coquette villa. « La présence des migrants s’est amplifiée depuis un an mais on n’a jamais eu de problème d’insécurité, ils se cachent dans des forêts », dit-il. « Ce sont des malheureux, ils ne nous embêtent pas », confirment à quelques pas un groupe de ­retraitées qui, chaque jour depuis des années, posent leurs chaises de camping et s’assoient avec leurs bichons maltais devant les cabines de plage de la ville, pour tailler une bavette.
    « Ce n’est pas comme à Calais, où ça fait vingt-cinq ans qu’ils vivent ça, remarque une habitante. Ici, la population n’est pas particulièrement vindicative. » A l’exception peut-être de Jean-Luc Dubaële, le maire (sans étiquette), qui a refusé de répondre à nos sollicitations et qui, dans une interview sur France Info le 3 septembre, disait sa colère : « On a de plus en plus de problèmes sur ma commune. On a des camps qui s’installent dans les forêts, derrière notre camping. (…) On essaye de démanteler les camps régulièrement. Les associations ne nous aident pas de ce côté-là, qui les alimentent en tentes et en tout ce qu’il faut pour les faire venir sur le secteur. » « Mais vous ­voulez qu’ils aillent où, du coup ? » l’interroge la journaliste. « Il y a quand même des lieux d’accueil sur Calais », bredouille-t-il.
    « On a l’impression que les exilés, ça fait tache dans le décor », ironise Sylvie Baudelet, une psychomotricienne à la retraite. Avec son mari, Eric, elle fait partie d’un groupe d’une vingtaine d’habitants, interpellés par la présence nouvelle de campements, qui ont formé en août le collectif Alors on aide. Ils offrent aux personnes la possibilité de se doucher ou encore de recharger leur téléphone. Sylvie et Eric Baudelet ont également hébergé quelques jours des Syriens, dont cette femme qui n’avait pas réussi à monter sur un bateau et qui ne quittait plus son gilet de sauvetage qu’elle avait surnommé son « sucre d’orge ».
    Le 14 septembre, des membres de ce collectif se retrouvent dans un parc à la sortie de Wimereux pour ramasser les restes d’un campement abandonné. Une façon de « contribuer à la paix sociale », font-ils valoir, afin de ne pas laisser les déchets alimenter le mécontentement de la population. A quelques kilomètres de là, caché dans un petit bois, un groupe attend sa chance. Il y a là une dizaine de Vietnamiens, un Somalien, une poignée de Kurdes d’Irak et d’Iran… « Cette nuit, nous passerons », espère Abbas, un homme de 44 ans qui arbore un tatouage de Che Guevara sur le torse et un du YPG (l’organisation politico-militaire kurde, les Unités de protection du peuple) dans le cou. Il espère rejoindre sa femme et ses deux enfants, qui ont accosté en Angleterre le mois dernier. A quelques mètres de là, en lisière du bois, indifférente au spectacle des préparatifs de départ, une famille de Wimereusiens cueille les dernières mûres de la saison.

    #Covid-19#migrant#migration#france#calais#wimereux#routemigratoire#manche#migrationirreguliere#smallboat#mortalite#sante

  • L’entrepreneur Abbas Jaber, nouvel actionnaire de référence de Corsair
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/09/13/l-entrepreneur-abbas-jaber-nouvel-actionnaire-de-reference-de-corsair_631628

    C’est un nom inattendu dans le feuilleton de la recapitalisation de Corsair, qui secoue la compagnie aérienne depuis des mois. A l’occasion d’un tour de table visant à renflouer les comptes de l’entreprise française, fin 2023, c’est d’abord la République du Congo, Etat pétrolier d’Afrique centrale, qui devait voler à son secours, en entrant à son capital. En juillet, cependant, Corsair a finalement annoncé le renoncement de Brazzaville, remplacé par un investisseur privé, dont le groupe avait jusqu’alors gardé l’identité secrète. La compagnie spécialisée dans les liaisons vers l’outre-mer a révélé, lundi 9 septembre, l’entrée d’Abbas Jaber à hauteur de 15 millions d’euros, pour 40 % du capital.

    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Corsair sommé par la concurrence à davantage de transparence sur ses comptes

    Ce nom est peu connu du grand public, du moins en France. L’entrepreneur, à la triple nationalité (française, libanaise et sénégalaise), possède plusieurs activités en Afrique de l’Ouest. Agé de 66 ans, M. Jaber a commencé sa carrière en 1988 dans le négoce alimentaire au Sénégal, où il est né et a grandi au sein d’une famille libanaise de sept enfants, présente dans le commerce et l’immobilier.

    Au cours des années 2000, il se lance dans l’industrie, en rachetant un huilier (la Sonacos), puis un groupe cotonnier (Dagris, devenu Geocoton, implanté également au Mali, au Burkina Faso et au Cameroun, notamment). « Il a été et reste l’un des plus grands employeurs du Sénégal », loue son ami, l’homme d’affaires Youssef Omaïs, saluant des activités qui contribuent « au développement de l’Afrique ».

    Abbas Jaber réside depuis plus de quarante ans en France, où il a investi dans la meunerie, se développant par ailleurs dans les solutions d’assurance et les équipements solaires à destination des cultivateurs. Son groupe agro-industriel de tête, baptisé « Advens » et qu’il détient presque exclusivement, revendique 2 700 collaborateurs et 227 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022 (le résultat net n’est pas divulgué).

    « Désir de redressement »
    Cependant, le parcours de l’entrepreneur a aussi été jalonné de paris, qui ont parfois tourné court, notent certains observateurs. « C’est un commerçant, quelqu’un qui sent les coups, mais qui n’est pas vraiment un industriel », cingle une source en France, évoquant notamment la revente des Grands Moulins de Strasbourg et la fin agitée d’une concession sur le chemin de fer Dakar-Bamako.

    Chez Corsair non plus, Abbas Jaber n’est pas un inconnu. Il « connaît parfaitement » la compagnie, selon le PDG, Pascal de Izaguirre, pour en être devenu actionnaire (à 4 %) et membre du conseil de surveillance en 2020, alors que le transporteur était déjà recapitalisé pour faire face à des difficultés. L’entrepreneur a revendu ses parts en 2022, « quand [il a] considéré qu’on avait plus besoin de [lui] et parce qu’[il n’avait] pas vocation à être actionnaire minoritaire », précise-t-il au Monde par téléphone.

    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés La Commission européenne doute de la viabilité de Corsair

    L’entreprise le recontacte en 2024, mais, cette fois, pour devenir l’actionnaire principal – le reste du capital étant détenu à 52 % par un consortium d’entrepreneurs, principalement ultramarins, et à 8 % par une société d’économie mixte du département de la Guadeloupe. Cette nouvelle configuration est cependant subordonnée à une décision de la Commission européenne, qui mène une enquête approfondie sur le plan de restructuration modifié de la compagnie, sortie très endettée de la pandémie de Covid-19. M. Jaber se dit confiant quant à cette décision, attendue d’ici la fin de 2024 : « Nous avons un très bon dossier. » Le groupe vise, pour l’exercice en cours, un retour à l’équilibre, voire un bénéfice, après avoir perdu 37 millions d’euros sur 2022-2023.

    « Je suis venu au secours de Corsair parce que c’est une compagnie que j’aime. Il y a un excellent esprit parmi les actionnaires, et tous ont le désir d’un redressement », affirme-t-il, interrogé sur les motivations de son investissement. Il insiste de surcroît sur le fait d’y voir un potentiel « énorme ». « Et ce potentiel énorme, il est en Afrique », ajoute-t-il, mentionnant l’ouverture déjà prévue de dessertes supplémentaires sur le continent, dont le Congo-Brazzaville, le Cameroun et le Gabon. Et de mentionner un motif plus personnel : « Je suis passionné d’aviation, pilote d’avion et d’hélicoptère. J’ai fait cinq fois le rallye de l’Aéropostale, de Toulouse à Saint-Louis du Sénégal. »

    #Liban #diaspora

    • rien à voir, sans doute, mais hier, Le Monde consacrait un article à Omar Harfouch, autre richissime businessman libanais, plus ancré au Liban lui, mais opérant largement en France. Article plein de sous-entendus, entre d’une part le mépris pour un nouveau riche qui fait son show, et d’autre part l’opacité (non élucidée par l’article) des affaires du monsieur
      https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/09/12/l-etrange-partition-d-omar-harfouch-riche-homme-d-affaires-libanais_6314286_
      L’étrange partition d’Omar Harfouch, homme d’affaires libanais à la fortune mystérieuse

      Ce businessman va se produire au piano au Théâtre des Champs-Elysées, à Paris, pour son « Concerto pour la paix » dont il a financé la campagne de promotion, mais pour lequel aucun billet n’est proposé à la vente. Proche du maire de Béziers, Robert Ménard, et de l’eurodéputé RN, Thierry Mariani, son carnet d’adresses s’étend de Kiev à Moscou en passant par la Libye et la Syrie.

  • Aide sociale à l’enfance : la scolarité heurtée et l’insertion professionnelle précoce des mineurs accompagnés
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/09/10/aide-sociale-a-l-enfance-la-scolarite-heurtee-et-l-insertion-professionnelle

    Parmi les résultats marquants figure le taux de redoublement particulièrement élevé, en primaire, des enfants sous protection de l’enfance : 40 %, contre 16 % pour l’ensemble des jeunes. Cela reste cependant plus faible que pour ceux vivant dans des familles « inactives » (sans emploi), souligne l’étude. A la fin du collège, seulement 43 % des jeunes placés arrivent en classe de 3e sans aucun retard, contre 71,5 % pour l’ensemble des jeunes.

    Autre enseignement comparatif important : la part prépondérante de jeunes placés qui sont orientés dans les filières professionnelles. Seulement 12 % des jeunes de l’ASE obtiennent un baccalauréat général ou un diplôme de l’enseignement supérieur, c’est trois fois moins que pour l’ensemble des jeunes. Pour 30 % d’entre eux, le CAP ou le BEP est le diplôme le plus élevé, contre 13 % pour l’ensemble des jeunes. Là encore, ceux issus de familles inactives obtiennent les mêmes résultats que les enfants de l’ASE. En revanche, le taux de sortie sans aucun diplôme, qui s’élève à 17 % chez les jeunes placés – contre 8 % en population générale –, est semblable à celui des jeunes issus de familles d’ouvriers ou d’employés (17, 5 %) et bien inférieur à celui des enfants évoluant dans des familles inactives (30 %).

    https://justpaste.it/bnus9

    #enfance #ASE #chômeurs

  • A Strasbourg, l’anxiété décuplée des réfugiés
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/07/13/a-strasbourg-l-anxiete-decuplee-des-refugies_6249400_4500055.html

    A Strasbourg, l’anxiété décuplée des réfugiés
    Par Stéphanie Wenger (Strasbourg, correspondance)
    Ces dernières semaines, le climat politique houleux et la menace de l’arrivée du Rassemblement national (RN) au pouvoir sont entrés dans le cabinet de la psychiatre Myriam Cayemittes. Avec les patients étrangers qui redoutent le refus de leur demande d’asile ou d’hébergement. Avec ceux qui, installés depuis longtemps en France, craignent de perdre leur travail ou de devoir partir. Enfin, « la peur, aussi, d’une désinhibition de la parole et des actes racistes auxquels on est déjà confronté, comme si les résultats du premier tour avaient été une autorisation à dire et à faire. »
    Myriam Cayemittes préside aussi Parole sans frontière. Créée en 1991 à l’initiative de deux psychiatres strasbourgeois, cette association propose des consultations aux personnes migrantes « victimes de torture, de violence politique et de souffrances psychiques dues à l’exil », explique-t-elle. Trop souvent, la santé mentale des réfugiés est négligée et passe après les urgences matérielles et les questions juridiques.
    L’équipe d’une dizaine de personnes accueille aujourd’hui plus de cent patients (soixante-dix sont en liste d’attente). Les séances ont lieu avec des interprètes, les mêmes tout au long du suivi. Loin d’être des traducteurs ou des médiateurs culturels, ils « doivent laisser place à la subjectivité du patient », précise Myriam Cayemittes. Au premier étage d’un immeuble du centre-ville, dans la salle d’accueil de ­l’association, un portant chargé de vêtements et des boissons chaudes sont à disposition.
    Là, Sona Mkrtoumian est la première à être en contact avec les visiteurs. Dès l’annonce des bons scores du RN aux élections européennes, des personnes inquiètes se sont confiées à elle. Le parcours de la travailleuse sociale résonne avec le leur. Arménienne de Russie, elle est arrivée seule en France, à 16 ans. Bien qu’elle soit soulagée par les résultats du second tour, la jeune femme, issue d’une famille qui a fui le génocide en Turquie pour vivre en Russie, a été renvoyée, ces dernières semaines, à son passé douloureux.
    La perspective d’une majorité absolue du RN a secoué toute l’association, financée par des fonds publics (agence régionale de santé, ville, ministère de l’intérieur…). « La forte poussée de l’extrême droite a beaucoup occupé nos discussions, témoigne Myriam Cayemittes, qui décrit une équipe sous le choc. Ça a été difficile de contenir cette angoisse et d’être malgré tout soutenant pour les patients. Même si le RN ne parvient pas tout à fait à ses fins, il y a bien cette idée que la société française les rejette à 40 %. »Depuis quelques années, divers ateliers ont été mis en place : sophrologie – dont l’un est réservé aux femmes victimes de violences sexuelles – et arts plastiques, pour adultes et adolescents. Des activités à la fois récréatives et à visée thérapeutique. « Dans la conception occidentale, la parole est forcément libératrice, mais pour ceux dont le vécu est différent, ce n’est pas toujours le cas, elle peut créer de la souffrance… », explique Myriam Cayemittes. Elle souligne aussi les injonctions incessantes des institutions, qui attendent des récits « crédibles » et répétés pour l’obtention de l’asile ou n’importe quelle demande. « Il faut qu’on utilise d’autres moyens pour accéder à l’inconscient de certains patients, les soulager. »
    Dans la salle réservée aux ateliers, les œuvres des participants sont disposées sur une étagère ou accrochées aux murs. Sculptures en argile, aquarelles, dessins. Le jour de notre visite, les quatre personnes présentes réalisent des gravures. Après impression, la feuille révèle des dessins tracés en blanc sur fond de couleur vive : des montgolfières, des oiseaux, un visage de femme dont les cheveux se prolongent en grande fleur. Très loin des angoisses du quotidien et des débats politiques plombés.En fond sonore, Taylor Swift, à la demande de Hawa (qui n’a pas souhaité, comme les autres réfugiés cités, donner son nom de famille), 18 ans, qui sourit : « J’aime bien venir ici quand j’en ai l’énergie, j’oublie mes soucis. » Cette Tchadienne hébergée en foyer, suivie pour une grave infection de la moelle épinière, se déplace en fauteuil et est souvent hospitalisée. Le fait de peindre ou de dessiner lui offre une bulle de quiétude. Léa Fournier, l’animatrice formée à la HEAR (Haute école des arts du Rhin), confirme : « Penser à autre chose, c’est déjà énorme. Mais l’atelier permet aussi à des personnes très isolées de se retrouver, à des femmes de sortir de chez elles. On vient ou pas, pas besoin de se justifier. C’est un cadre fiable et rassurant. »
    Tout le mois de juin, Hawa a attendu une réponse pour savoir si elle pouvait intégrer une 2de professionnelle en comptabilité. Pour l’instant, c’est non. Cela prendra encore plus de temps pour son titre de séjour. Elle dit préférer ne pas se mêler de politique, mais « [s]on père, depuis le Tchad, a suivi les élections. Il [lui] en a parlé et [lui] a dit de faire attention ».Abdelmalik, réfugié afghan de 52 ans, est un habitué des ateliers artistiques et de sophrologie. « Les régimes totalitaires ont des conséquences très négatives sur l’état mental de la population », juge cet ancien militaire, qui a pu faire venir sa famille à Strasbourg et s’y sent en sécurité. Mais il raconte aussi les peines vécues par ceux qui fuient, les traumatismes causés par la guerre ou la violence, puis par l’exil et, enfin, par le racisme : « Pour ceux qui, après avoir vécu tout ça, arrivent en Europe avec l’espoir d’être accueillis, être rejeté, c’est une blessure. »

    #Covid-19#migrant#migration#france#extremedroite#immigration#sante#santementale#asile

  • En Normandie, les Afghans d’Argentan redoutent la vague brune
    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/06/28/en-normandie-les-afghans-d-argentan-redoutent-la-vague-brune_6244928_4500055

    En Normandie, les Afghans d’Argentan redoutent la vague brune
    Une soixantaine de réfugiés afghans vivent dans cette municipalité de l’Orne sans tensions avec les habitants. Mais, depuis le score de 35 % obtenu par le Rassemblement national dans la ville, la petite communauté craint pour son avenir en cas de victoire de l’extrême droite aux législatives.
    Par Paul Boyer
    Lorsque le coup de sifflet retentit, les onze joueurs de l’équipe de cricket d’Argentan (Orne) cavalent sur le terrain. Le lanceur prend son élan pour jeter la balle en cuir en direction du batteur. Un bruit sec résonne lorsqu’elle vient cogner la batte du joueur, sous les cris des supporteurs et de quelques curieux, alignés en bordure de la surface. Dans la commune, une soixantaine de réfugiés afghans sont arrivés progressivement depuis 2018.
    Après avoir longtemps voté à gauche, la petite ville de quatorze mille habitants a basculé en faveur du Rassemblement national (RN) lors des élections européennes du 9 juin, avec 35 % des voix. Frédéric Léveillé, le maire socialiste, a toujours été en faveur de l’immigration et mis en avant l’exemple de l’intégration des Afghans : « Nous les connaissons depuis leur arrivée, nous leur avons ouvert les portes du stade en leur aménageant des horaires. Je prône l’accueil de ces réfugiés, je suis ferme sur cette question », précise ce fervent soutien du Nouveau Front populaire (NFP) pour les législatives.
    Bandeau aux couleurs de l’ancienne République d’Afghanistan – noir, rouge et vert – autour de la tête, symbole fort d’opposition au nouveau régime, Ahmad Safi, le capitaine de l’équipe, ­distribue protections et casques à ses joueurs. A 21 ans, se concentrer sur son sport de cœur est une manière de mettre à distance un passé douloureux. « Jouer permet de guérir un peu nos traumatismes », lâche-t-il.Au début du match, Bénédicte Richez embrasse chaque membre de l’équipe. Cette habitante de la commune jongle avec son ­travail d’infirmière à l’hôpital et son poste de professeure bénévole, avec l’association qu’elle a créée, Les mots du bout du monde. Passionnée par l’Afghanistan, la soignante est engagée auprès des réfugiés depuis des années. Pendant son temps libre, elle multiplie les allers-retours à Dunkerque, à Boulogne-sur-Mer ou à Calais pour effectuer des maraudes.
    Très vite, elle accompagne Ahmad Safi dans la création du club. En février 2023, la mairie accepte de leur ouvrir le stade municipal une fois par semaine. « Comme ça, ils peuvent jouer légalement, sans que personne ne vienne les emmerder », précise Bénédicte Richez. L’équipe, aujourd’hui composée de vingt joueurs, s’est constituée petit à petit.
    En 2021, Ahmad Safi arrive dans le village après un court passage à Paris, près de la porte de la Chapelle. Là, une assistante sociale lui parle d’Argentan en lui promettant une place dans un logement social. Ahmad accepte. Des joueurs de l’équipe, il a été le premier à venir s’installer dans la commune. Trois ans auparavant, d’autres réfugiés afghans y avaient déjà déposé leurs bagages à la suite de grandes tensions entre la communauté et des habitants du quartier de Perseigne, à Alençon, à une cinquantaine de kilomètres.
    Le 1er août 2018, une bagarre éclate entre habitants et réfugiés afghans. Massoud, un Afghan de 29 ans, meurt. La rixe mortelle déclenche aussitôt l’exode d’une partie de la communauté afghane vers Argentan. Mais, aujourd’hui, le maire assure qu’il n’y a aucun problème de cohabitation. « Le résultat du vote RN est grave, mais il faut intégrer le taux d’abstention : 55 %. Ce vote n’est pas en lien avec les Afghans présents ici, je l’espère », affirme-t-il.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés A bord du « Belem », Zabih, réfugié afghan de 25 ans, prend conscience que la mer n’est pas que « le lieu où l’on peut mourir »
    Dès son arrivée, Ahmad Safi fait pourtant face au rejet de certains habitants. « Je sentais des regards lourds, j’ai eu des réflexions comme “pourquoi tu es parti ?” ou “il n’y a pas de travail ici” », soupire le grand gaillard du haut de son mètre quatre-vingt-dix pour 95 kilos. Aujourd’hui encore, certains résidents changent de trottoir au passage des joueurs. « Ils ne se mélangent pas, ils restent tout le temps entre eux », murmure Mélanie (qui ne souhaite pas donner son nom), une habitante d’Argentan.
    Dans l’équipe, l’approche des élections législatives engendre craintes et angoisses. « Ça me fait peur le RN, je sais qu’ils vont annuler l’immigration et peut-être me renvoyer dans mon pays. Je n’ai toujours pas de papiers en France, si le RN passe, je ne pourrai rien faire », s’inquiète Ezharullah Mubarez, arrivé à Argentan à la fin de l’année 2021.
    Au quatrième étage d’un HLM du centre-ville, Hamrad Muslim prépare du thé assis sur des toshaks (coussins de sol) tout en se remémorant les démarches kafkaïennes pour demander l’asile en France. « J’attends ma carte de séjour depuis neuf mois, je suis bloqué, je ne peux même plus travailler », soupire-t-il en ajustant son pakol (béret traditionnel pachtoune). Seule une dizaine sur les soixante présents dans la commune ont déjà reçu le précieux sésame.Un autre membre de la communauté, qui souhaite rester anonyme, confie être toujours choqué par les résultats des européennes, mais compte bien rester à Argentan quels que soient les résultats des 30 juin et 7 juillet. « Si le RN gagne aux législatives ? Je ne partirai pas, mais je raserai les murs, encore plus que d’habitude. De toute façon, nous restons déjà entre nous », indique le jeune homme de 23 ans.

    #Covid-19#migrant#migration#france#afghanistan#integration#politique#asile#cartedesejour#sante#extremedroite#xenophobie

  • Difficile à lire.
    Témoignage
    Isild Le Besco, rescapée de la violence : « Prisonnière de mes manques matériels et affectifs, j’étais le terrain parfait pour toutes les maltraitances »

    Après le témoignage de Judith Godrèche, l’actrice et réalisatrice dévoile à son tour ses blessures intimes et les mécanismes de la prédation dans un récit autobiographique, « Dire vrai », à paraître aujourd’hui.

    #viol #pédocriminalité #maltraitance_mineurs

    https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2024/05/01/isild-le-besco-rescapee-de-la-violence-prisonniere-de-mes-manques-materiels-