• Les Gilets jaunes et la question démocratique | Samuel Hayat - Science politique - Mouvement ouvrier, démocratie, socialisme
    https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/24/les-gilets-jaunes-et-la-question-democratique

    Face à ce mouvement citoyenniste, qui ira défendre la vieille politique, celle des partis et des élu.e.s ? A part ceux qui sont payés pour, gageons qu’il y aura peu de monde. C’est que la #politique_partisane se trouve déjà fortement affaiblie, et ce de longue date. D’abord, le conflit partisan s’est émoussé : vu du dehors du monde des professionnel.le.s, il n’y a plus, depuis longtemps, de différence significative entre la #droite et la #gauche, qu’il s’agisse de l’origine sociale des candidat.e.s ou de la nature des politiques menées. Partout, avec quelques nuances indéchiffrables pour le plus grand nombre, on trouve la même marchandisation des services publics, les mêmes manœuvres de séduction adressées aux capitalistes pour attirer leurs précieux investissements, le même zèle à limiter les #libertés_publiques, surarmer les forces de l’ordre, enfermer les #pauvres et expulser les #étranger.e.s. A cette neutralisation du conflit politique s’ajoute le dépérissement des partis comme moyens d’inclusion de la masse des citoyen.ne.s dans la politique partisane : le nombre d’adhérent.e.s des partis ne cesse de chuter, comme celui des syndicats ou de tous les outils habituels (comme la presse militante) de socialisation à la politique partisane. Dans ces conditions, qu’est-ce qui pourrait s’opposer à la démonétisation de cette conception de la politique ? Les tenants mêmes du pouvoir, les professionnel.le.s de la politique, semblent ne plus croire aux possibilités de l’action politique, et répètent avec diverses modulations qu’il n’y a pas d’alternative au néolibéralisme. Pourquoi alors défendre leur jeu, si de leur propre aveu, il n’a plus d’enjeu ? Cette perte de sens de la politique partisane a permis à un simple conseiller économique, un technicien ignorant des usages de la politique partisane, Emmanuel Macron, de devenir ministre puis président, en répétant à l’envi transcender les clivages et en refusant de s’appuyer sur les partis existants – il préfère en créer un, portant ses initiales, un artifice marketing bouffon qui aurait dû immédiatement lui enlever tout crédit si le système partisan avait gardé un tant soit peu de sens de sa dignité. Comment Emmanuel Macron pourrait-il, lui qui s’enorgueillissait hier d’avoir mis à genoux l’ancien système, le vieux monde, en appeler aujourd’hui à la mobilisation pour sauver ce même système et ses affrontements désormais vides de sens ? D’où son silence, la position impossible dans laquelle il est, et l’usage disproportionné de la répression face à un mouvement qui lui doit tant et qui, par bien des aspects, en est comme le reflet inversé[8].

     

    #Citoyennisme et #néolibéralisme

    Car c’est bien là qu’est le problème : la politique citoyenniste puise sa force dans le mécontentement justifié vis-à-vis de la politique partisane et dans une longue histoire de l’aspiration démocratique, mais aussi dans la montée en puissance des cadres de pensée du #gouvernement_des_expert.e.s, de tous ceux qui veulent remplacer la politique (politics) par une série de mesures techniques (policies), néolibéraux en tête. Le mouvement des #Gilets_jaunes s’oppose aux technocrates, mais il en reprend largement la conception péjorative de la politique partisane et la manière de penser l’action publique. Le #référendum est le pendant démocratique du macronisme qui nous disent tous les deux qu’il faut en finir avec les idéologies : l’un comme l’autre réduisent la politique à une suite de problèmes à résoudre, de questions auxquelles répondre. Certes, il n’est pas équivalent de dire que ces questions doivent être résolues par des experts ou par les citoyens ; le citoyennisme propose bien une démocratisation, mais c’est la démocratisation d’une conception de la politique qu’il partage avec les néolibéraux. Le monde des citoyennistes est un monde homogène, peuplé d’individus qui ressemblent à s’y méprendre à ceux des économistes néoclassiques : on les imagine aller lors des référendums exprimer leurs préférences politiques comme les économistes imaginent les consommateurs aller sur le marché exprimer leurs préférences, sans considération pour les rapports de pouvoir dans lesquels ils sont pris, les antagonismes sociaux qui les façonnent.

     

    Mais comme chez les économistes, cette représentation de la citoyenneté est un mythe – agissant mais trompeur, agissant parce que trompeur. L’image du peuple décidant par référendum ou par le biais de délégué.e.s tiré.e.s au sort vient recouvrir l’aspect irréductiblement conflictuel de la politique, sa possibilité guerrière. Il n’y a rien ici de nouveau : l’historienne Nicole Loraux a déjà montré comment ce type de discours, dans l’Athènes démocratique, glorifiant l’unanimité du peuple et le caractère réglé de ses institutions, venait masquer l’autre aspect de la politique démocratique, le conflit (statis), faisant toujours courir le risque de la guerre civile et devant par là être oublié, refoulé[9]. Loin d’être une anomalie de la #démocratie, le conflit en était une possibilité toujours présente, et s’il apparaissait, il était obligatoire pour les citoyens de choisir un parti – l’abstention, signe de passivité et d’indifférence, valait retrait de ses droits politiques. En voulant se débarrasser des partis, au sens des organisations en compétition pour le pouvoir, le citoyennisme met aussi à mal la possibilité d’expression des divisions au sein de la cité. Or l’antagonisme politique, le conflit, est aussi nécessaire à la démocratie, même authentique et déprofessionnalisée, que ne l’est l’inclusion directe de tou.te.s les citoyen.ne.s.

    • Je republie ici un commentaire publié sur un fil FB en défense de ce texte et en réponse à une critique (visiblement d’orientation FI) qui y voyait une "cochonnerie" (sic) "social-démocrate".
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      Si Samuel Hayat ne s’avance sur le terrain de la définition d’un projet politique qu’indirectement (par référence notamment à 1848), c’est (indirectement donc mais sans équivoque) le projet et l’histoire socialistes qui forment l’arrière-plan (et la « culture » ou l’environnement de pensée) de son analyse.

      Sa critique d’une revendication « démocratique » (le #RIC) fondée sur une conception non-conflictuelle ou consensuelle de la « démocratie » est liée à l’idée selon laquelle il faudrait (et il est possible) d’assumer la conflictualité de classes qui existe bel et bien au sein du mouvement des #GiletsJaunes — conflictualité que « Chouard et ses amis », mais aussi une partie de FI, entendent évacuer.

      La position social-démocrate, du moins telle qu’elle se redéfinit après la fin des Trente Glorieuses, est fondée sur l’abandon de la classe ouvrière, qui s’apprête à partir du milieu des années 80 à recevoir de plein fouet le choc de la réorganisation du travail, de la modernisation de l’appareil de production et de la mondialisation des échanges. Cet abandon est aussi celui des générations qui suivront, marquées par le chômage de masse et la relégation urbaine (et, pour les enfants de l’immigration d’après-guerre et les descendants de l’histoire coloniale, par la discrimination et les violences policières). De cet abandon, la montée régulière du FN depuis 1983 est la principale traduction politique. (Du côté social-démocrate, cet abandon prend la forme idéologique de la surenchère droitière sur les questions d’immigration et sur la gestion policière des habitant.e.s de banlieues ; sur le plan économique, par le rôle-clef joué par les formations social-démocrates dans l’application des plans d’austérité.)

      Le type d’alliances de classes promu aujourd’hui sous l’appellation de « populisme » est notamment fondé sur l’alliance entre classes populaires « nationales » (imaginairement intégrées à l’Etat-Nation) et parties de la classe moyenne, de la petite bourgeoisie, de la petite entreprise menacées par la mondialisation, pour des raisons rappelées notamment ici : https://carbureblog.com/2018/12/23/sur-le-fil-le-ric-la-gauche-et-les-gilets-jaunes.

      Les résistances ou propositions alternatives à cette stratégie tiennent notamment au fait que la stratégie populiste repose sur / opère une fracture au sein même des classes populaires (entre blancs et racisés, nationaux et non-nationaux, voire selon des critères religieux : la charge de plus en plus agressive et exclusive de la thématique laïque en France au cours de ces dernières années est indicative de ce processus).

      Tout ce qui s’oppose à la stratégie populiste n’est pas forcément « social-démocrate ». D’autres alliances peuvent être promues et avancées, intégrant ces « segments de classe » qui ne peuvent être représentés par / se reconnaître dans les symboles nationaux, comme l’a prouvé l’initiative du Comité Adama. Cette dimension était aussi présente en Grèce avant 2015 (mais tend depuis, significativement, à céder le pas, ici comme ailleurs, à une logique nationale / nationaliste).

      Contrairement à ce que prétendent certains anarchistes grecs (notamment ici : https://agitationautonome.com/2018/12/15/gilets-jaunes-discussion-entre-la-grece-et-la-france, le mouvement des places en Grèce n’a pas été unifié / hégémonisé par un discours de type national-populiste mais par un discours social, ce qui explique que les discours d’extrême-droite aient été largement battus en brèche (jusqu’à disparaître presque complètement) au moment du référendum sur le « Non » (juillet 2015).

      Si l’auteur ne parle ici qu’indirectement de « socialisme » (comme si ce terme recouvrait plus un héritage et une toile de fond qu’un discours effectivement réactualisable, au moins sous sa forme classique : socialisation des moyens de production, dictature du prolétariat... — quelque chose pourtant qui, ne serait-ce qu’en toile de fond, demeure agissant et a une actualité propre), c’est probablement d’avoir conscience que les alliances de classes qui permettraient de résister au rouleau compresseur néo-libéral ne peuvent avoir un caractère purement ouvrier ou populaire (mais passent par une alliance avec cette classe moyenne menacée, présente dès le départ du mouvement des Gilets Jaunes et qui était aussi présente à Syntagma ; en atteste notamment le fait que des Gilets Jaunes qui appartiennent à cette classe moyenne précarisée et menacée s’expriment parfois comme s’ils étaient déjà passés de l’autre côté, comme s’ils avaient déjà décroché : « On crève »).

      Pour le dire autrement : impossible de faire l’économie d’une critique de l’UE et de contourner comme si de rien n’était la question du « retour » à une forme de redistribution garantie par l’Etat-nation.

      La situation actuelle en France montre bien que c’est d’une certaine façon dans le cadre même du processus populiste que nous sommes amené.e.s à redéfinir et à avancer des stratégies de résistance et d’alliances (et pas en extériorité à ce mouvement, comme a tenté de le faire la #CGT). Il ne s’agit pas de faire comme si la gauche n’avait pas perdu l’initiative.

      De ce point de vue, on peut peut-être dire que le moment, oui, est qu’on le veuille ou non « populiste », indéniablement marqué notamment par l’opposition « peuple » / « élites », mais que ça n’interdit pas (au contraire) de faire usage de la critique et d’ouvrir des pistes : orienter le mouvement dans un sens qui « nous » permette de « nous » y intégrer (« nous » minoritaire, notamment sur les orientations sexuelles ou religieuses, racisé, non-national) ; retraduire l’ensemble du processus en termes d’alliances de classe (contre la "simplification" de l’opposition des "99%" contre les "1%").

      La dualité des modes d’action qui caractérisent le mouvement des Gilets Jaunes (occupation des ronds-points en semaine, séquence émeutière le samedi) correspond peu ou prou (j’ai bien conscience de simplifier, mais il me semble qu’il y a quand même là "une part de vérité") à cette composition de classes et à cette alliance effective (entre prolétariat et "classe moyenne" précarisée ou en passe de l’être).

      On voit bien que l’impossibilité de contourner la question de l’Etat-Nation, par les traductions idéologiques quelle induit, se dresse aujourd’hui en face de ce « nous » comme un roc contre lequel « nous » risquons de nous fracasser. C’est pour cette raison que je parlais dans le texte que j’ai publié ces jours-ci (https://oulaviesauvage.blog/2018/12/23/on-vous-attend-notes-sur-les-gilets-jaunes) de « position défensive ». Cette position défensive n’induit pas nécessairement une position de repli (CGT) : elle peut trouver à s’exprimer politiquement par une sorte de contre-offensive au nom d’intérêts de classe communs (position du #Comité_Adama et de la Plateforme d’enquêtes militantes, parmi d’autres).

  • Gilets Jaunes à Paris : compte-rendu à chaud du bouillonant 1er décembre
    https://paris-luttes.info/paris-gilets-jaunes-compte-rendu-a-11168

    Ce samedi 1er décembre, nous avons participé à la manifestation des gilets jaunes, troisième journée de mobilisation autour de revendications toujours aussi larges. Cette manifestation s’est transformée en l’une des plus grandes émeutes que la capitale ait connue depuis 30 ans. Un compte-rendu à plusieurs mains, forcément incomplet vu l’étendue des événements, qui n’arrivera néanmoins pas à tirer des lignes claires sur l’identité du mouvement...

    Violences à Paris : qui sont les 380 gardés à vue
    http://www.leparisien.fr/faits-divers/violences-a-paris-parmi-les-gardes-a-vue-une-majorite-de-gilets-jaunes-02

    Selon des sources concordantes, la plupart des personnes interpellées appartiennent bien au mouvement des Gilets jaunes. Des hommes jeunes, venus de province sans passé judiciaire qui appellent à la « résistance ». (...)

    Il semble que la majorité des 380 personnes placées en gardes à vue ne soient pas des professionnels politisés du désordre mais des manifestants Gilets jaunes. (...)

    Lors de leur audition en garde à vue, beaucoup estiment avoir fait « acte de résistance ». Comme en écho à ce discours, ces scènes qui se sont répétées samedi après-midi : des manifestants applaudissent aux exactions, aux vitrines vandalisées, aux voitures retournées et brûlées quand ils ne se risquent pas à venir au contact des policiers.

    un chef d’oeuvre du Parisien

    Pref hier :

    #manifestation #émeute #Gilets_Jaunes #répression

    • Définitivement la plus belle avenue du monde...
      https://a-louest.info/Definitivement-la-plus-belle-avenue-du-monde-617

      Retour absolument non exhaustif, sur les événements du samedi 1er décembre à Paris sur la place de l’Étoile et alentours.

      Ceux qui étaient présents dans les rues de Paris hier ont vécu un moment d’une rare intensité tant dans les #affrontements, qu’en terme d’émotion : de mémoire, il n’y a aucune manifestation en Europe sur ces 30 dernières années qui tienne la comparaison. Il faut peut-être remonter 50 ans en arrière, au moment de mai 1968, pour retrouver une situation comparable dans les rues de la capitale. Hier la police a clairement perdu la bataille, perdu le contrôle. Les gilets jaunes ont triomphé.

      Nous sommes arrivés place de l’étoile vers 13h30, la même place où, quatre mois auparavant, des milliers de personnes fêtaient la victoire de l’équipe de France. Cette fois, des milliers de gilets jaunes étaient bien présents, impossible de faire un décompte des personnes, la foule s’étalait dans les rues adjacentes et perpendiculaires à celles qui desservent la place de l’étoile. Jamais, d’ailleurs, on n’aurait pu imaginer une telle émeute, deux week-ends de suite, dans un endroit qui abrite les ambassades du monde entier, quartier dans lequel les marques de luxe se battent pour être présentes et lieu de la bourgeoisie parisienne depuis plusieurs siècles maintenant.

      Premier fait notable, l’énorme dispositif policier déployé : canon à eau, escadrons par centaine, surtout empêcher d’aller vers l’Elysée et de prendre les champs.
      A notre arrivée, l’arc avait déjà été tagué : « augmentation du RSA », « justice pour Adama », « les gilet jaunes triompheront » et plein d’autres.

      Et à ce moment-là, la préfecture de police prend une décision étonnante : envoyer une unité d’une vingtaine d’hommes pour protéger la tombe du soldat inconnu alors que personne ne s’était préoccupé de ce symbole. Volonté peut-être du gouvernement de faire une image de policiers protégeant une image symbolique.

      Bien évidemment, mettre un escadron au centre d’une place entourée de milliers de gilets jaunes n’était pas la meilleure idée : la suite logique de cette situation a été l’attaque de ce petit escadron, sacrifié par l’Etat, jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus tenir leurs position et rentrent dans les rangs situés autour de la place de l’étoile. Scène incroyable, mais ce n’était que le début.

      Dans la foulée, des manifestants montent dans l’arc de triomphe, pillent le magasin de souvenirs de merde pour les touristes, montent sur le toit et brandissent des gilets jaunes accompagnés de drapeaux français. C’est le moment où la police a complètement perdu la place jusqu’au soir : il est 15h.

      Impossible de tout raconter, mais on ne peut pas faire l’impasse sur la présence de trop nombreux groupes d’#extrême_droite organisés, attaquant à 100 contre 40 un groupe d’antifascistes, dans la confusion générale d’une émeute généralisée.

    • 1er décembre 2018 : porter plus loin le désordre
      https://carbureblog.com/2018/12/03/1er-decembre-2018-porter-plus-loin-le-desordre

      Le samedi 1er décembre, le mouvement des Gilets jaunes a cessé de s’appartenir, il a cessé d’être le mouvement de la France blanche-d’en-bas qu’il était à ses débuts. Face au prévisible refus de l’Etat de satisfaire la moindre revendication (comme en atteste le refus ou l’incapacité des « #porte-paroles » du mouvement de rencontrer le Premier ministre), face aussi à l’aspect dérisoire que prend toute revendication au regard des existences insupportables qui sont les nôtres, et grâce à la convergence en milieu urbain de TOUTES les colères, le contenu révolutionnaire de la période actuelle a commencé à apparaître sous la croûte des discours et des idéologies, et ce contenu est le chaos. La question est désormais de savoir où ce qui a commencé va s’arrêter, ou plutôt jusqu’où ce qui a commencé ici pourra porter le désordre. Déjà, ceux qui sont à l’origine du mouvement font office d’arrière-garde poussive de ce qu’ils ont initié, en appellent à la raison et réclament dans le JDD le retour à l’ordre républicain. Ils sont l’incarnation du mouvement à ses débuts, et leur frilosité montre assez ce que ce mouvement n’est déjà plus. Ils se satisferaient d’un moratoire sur le prix du carburant, d’une hausse quelconque de quoi que ce soit ou de l’organisation d’un référendum sur la transition énergétique, là où se dessine un mouvement qui veut tout emporter sur son passage, et ne parvient plus à se cristalliser sur aucun discours ni aucune revendication, si ce n’est « Macron démission », répété comme une espèce de mantra en appelant au néant, à la disparition de tout ce qui représente ce monde. « Macron démission » c’est à la fois la limite politique de ce mouvement, et l’appel à la fin de toute politique.

      Face à ce qui s’est produit le samedi 1er décembre, il serait absurde de continuer à qualifier ce qui se passe de « mouvement contre la vie chère », de maquiller en revendication économique ce qui va de toute évidence bien plus loin. Samedi, les « cahiers de doléances » ont servi à allumer des incendies. Le mouvement des Gilets jaunes avait déjà dépassé ce stade de la revendication économique dès la première semaine, pour entrer dans sa phase politique populiste, pour exiger que l’Etat se retire devant le peuple ou que le peuple se fasse Etat. Nous avons critiqué cette phase et déterminé le contenu des revendications portées par la France blanche-d’en-bas dans sa médiation de classe, montré les limites de cet interclassisme, pointé le danger de l’union nationale populaire des uns contre les « autres ». A peine avions-nous fini de faire la critique de cette phase que nous n’en étions déjà plus là.

      Il manquait à ce mouvement une dose de nihilisme pour donner du sens à son « apolitisme » : la rencontre avec les « quartiers » lui a apporté ce qui lui manquait pour correspondre au « mouvement réel », qui n’est pas celui du progrès social mais celui de la destruction de la société, et pour joyeusement s’y reconnaître comme chez soi. (...)