• Violences sexuels dans la communauté mennonite de Manitoba, Bolivie
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_dans_la_communaut%C3%A9_mennonite_de_Manitoba,_Bolivie

    Les Abus sexuels dans la communauté mennonite de Manitoba, Bolivie est une affaire judiciaire mettant en cause huit hommes de confession mennonite et membres d’une communauté mennonite indépendante fondamentaliste à Manitoba, Bolivie. Ils sont accusés d’avoir agressé sexuellement plus de 150 femmes entre 2005 et 2009 et condamnés en 2011 à des peines de prison.
    Historique

    De 2005 à 2009, des familles d’une communauté mennonite indépendante fondamentaliste à Manitoba sont droguées pendant leur sommeil, dans leur maison, à l’aide d’un sédatif destiné aux bêtes. Une fois l’ensemble des membres de la famille inconscients, des hommes de la communauté pénètrent dans les maisons et violent les femmes et les jeunes filles. Les victimes sont âgées de 3 à 65 ans. Celles-ci se réveillent le matin dans un état comateux sans se souvenir de ce qu’il s’est passé la nuit, mais elles ont le corps meurtri, parfois couvert de bleus et en sang. En 2009, des hommes de la communauté sont surpris dans ces viols et arrêtés. Avant cette découverte, les agressions étaient attribués au sein de la communauté à un fantôme ou à un démon1,2,3.

    En 2009, huit hommes, tous de confession mennonite, sept de la communauté du Manitoba et un d’une communauté voisine sont mis en cause. Les agresseurs sont livrés à la police bolivienne par les responsables de la communauté4. En août 2011, les huit accusés sont jugés coupables des accusations de viol. Sept sont condamnés à 25 ans de prison. Le vétérinaire Weiber, qui a fourni le sédatif, est condamné à 12 ans. Les avocats des agresseurs envisagent de faire appel. Un neuvième homme accusé de viols est toujours en fuite5.

    Une enquête de 2013 a révélé une continuité de cas similaires d’agressions sexuelles, bien que les hommes condamnés en 2011 soient en prison6.
    Fiction

    En 2018, l’écrivaine Miriam Toews publie le roman Women Talking, traduit en 2019 en français par Ce Qu’elles disent . L’auteure s’est inspirée de ces évènements d’agressions sexuelles dans la colonie mennonite de Manitoba fondamentaliste7. Pour Miriam Toews : « Il s’agit là d’un type de communauté très isolée et régie par l’autoritarisme, où la misogynie vient d’une interprétation fondamentaliste des Écritures. Les femmes sont illettrées, et elles ne peuvent pas s’exprimer »8.

    Women Talking est un film dramatique américain écrit et réalisé par Sarah Polley, et basé sur le roman de Miriam Toews9.


    La fiche wikipédia abuse du mot abus, alors qu’il s’agit de viols comme le dit la fiche elle même par la suite.

    25 ans de prison pour les 7 violeurs et 12 ans de prison pour le vétérinaire qui a fourni le sédatif.

    #abus #viol #culture_du_viol

    • En fait il y a bcp d’articles intutulés « abus sexuels sur... » sur wikipédia. Par exemple : « Abus sexuel sur mineur »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuel_sur_mineur

      Un abus sexuel sur mineur est une action à caractère sexuel exercée à l’encontre d’un enfant ou d’un adolescent. Si l’âge du consentement varie selon les pays, il est communément admis qu’en dessous de cette limite, en raison du manque de discernement du mineur et de l’autorité de l’adulte, toute relation sexuelle entre ce dernier et un adulte est abusive .

      L’abus sexuel comporte souvent un contact corporel, mais pas toujours (exhibition ou pédopornographie). Il entraîne de multiples conséquences traumatiques à court et à long terme, comme le stress post-traumatique. L’agresseur peut être extérieur à l’entourage du mineur mais est souvent quelqu’un de familier voire de proche, comme le montrent les cas d’inceste. Des dynamiques institutionnelles peuvent étendre la fréquence de ces relations abusives.

      Cette définition est vraiment mauvaise. elle comporte le mot « abusif » ce qui est pas une bonne manière de définir ce qu’est un « abus ». Définir l’abus par une action abusive ca me définit rien. Et est ce que l’abus n’est qu’une action sexuelle !? Une agression sexuelle ok mais pas une action sexuelle.

      Il y a une section « terminologie » qui evoque le soucis d’utiliser le mot abus sans en tenir compte

      Bien que ce soit le terme utilisé par la directive européenne2, l’expression d’« abus sexuel sur mineur » est parfois contestée, pour des raisons différentes, dans son usage et dans sa forme. Certains pédopsychiatres3 lui reprochent de suggérer, par la notion d’« abus », qu’« un usage modéré pourrait être licite et que seul l’excès serait traumatisant pour l’enfant et répréhensible »4.

      on a aussi « Abus sexuels sur mineurs dans l’Église catholique »
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_mineurs_dans_l%27%C3%89glise_catholique

      L’Église catholique fait face depuis la fin du XXe siècle à la révélation de nombreuses affaires d’abus sexuels sur mineurs commis par des prêtres, des religieux ou des laïcs en mission ecclésiale sur différents continents.

      Les abus sur mineurs sont des abus sur mineurs...
      –—

      Abus sexuels sur les femmes dans l’Église catholique
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_sexuels_sur_les_femmes_dans_l%27%C3%89glise_catholique

      Les abus sexuels sur les femmes dans l’Église catholique désignent des agressions sexuelles de femmes, principalement des religieuses, commises au sein de l’Église catholique par certains de ses clercs et agents pastoraux.

      Et là on apprend que les abus sont des agressions et on se demande bien pourquoi on appel pas les agressions des agressions.

      Car pour les abus on trouve aussi ceci
      Abus de biens sociaux
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_de_biens_sociaux

      En France, l’abus de biens sociaux ou ABS est un délit qui consiste, pour un dirigeant de société commerciale, à utiliser en connaissance de cause les biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix de la société à des fins personnelles, directes ou indirectes.

      Alors là deja contrairement aux abus sexuels dont on sais pas si c’est du crime ou un délit ou de la simple contravention, là on sais tout de suite qu’il s’agit d’un délit. En plus on t’explique le délit sans utiliser le mot abusif dans la phrase... incroyable.

      On fait des abus de confiance, des abus de langage, des abus de procedures, des abus de faiblesse, abus de marché, abus d’alcool, mais pas des abus d’enfants ni de femmes. Pour la bonne raison que les femmes et les enfants ne sont pas des objets ni des notions abstraites.

    • Les médias et la justice ont peut-être “abusé” du substantif “abuse” de la langue anglaise. Cependant :
      Abuse is the improper usage or treatment of a thing, often to unfairly or improperly gain benefit. Abuse can come in many forms, such as: physical or verbal maltreatment, injury, assault, violation, rape, unjust practices, crimes, or other types of aggression. To these descriptions, one can also add the Kantian notion of the wrongness of using another human being as means to an end rather than as ends in themselves.[2] Some sources describe abuse as “socially constructed”, which means there may be more or less recognition of the suffering of a victim at different times and societies. ...
      https://en.wikipedia.org/wiki/Abuse

      Pour moi, il serait indispensable de qualifier de viol toute atteinte à l’intimité sur le corps d’une personne qui ne consent pas à la relation ou qui n’est pas à même d’évaluer avec pertinence la nature de la relation (enfants, personne mineure, personne déficiente, etc).

  • Ce que Marx dirait des gilets jaunes - Didier LAPEYRONNIE, Sociologue - 27 décembre 2018
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/27/ce-que-marx-dirait-des-gilets-jaunes_1699758

    Les gilets jaunes s’inscrivent dans une longue tradition de #mouvements_populaires, tels qu’on les connaît depuis le People Party, les Narodniki ou les paysans parcellaires du XIXe siècle. Des « moments du peuple » qui n’annoncent rien mais exacerbent l’urgence à retrouver les chemins de la #lutte_des_classes.

    Tribune. Les gilets jaunes sont un objet non identifié. Leur mouvement n’a pas de précédent récent. S’il est original en France, il est d’une grande banalité dans la période actuelle et s’inscrit dans une tradition vieille de plus de deux siècles de mouvements qui surgissent dans des conjonctures mêlant des changements économiques brutaux à l’effondrement du système politique.

    Le mouvement uni deux symboles. Le gilet jaune, tenue de ceux qui sont au bord de la route, les perdants de l’#économie globalisée. Immobilisés, ils bloquent les ronds-points et détruisent les accès payants. Les invisibles deviennent visibles. Le drapeau français ensuite, qui flotte sur les ronds-points, est brandi dans les manifestations, porté sur le gilet, auquel s’ajoute la Marseillaise, chantée sans arrêt, y compris devant les cordons de police. Le gilet et le drapeau symbolisent les six caractéristiques du mouvement.

    1. Ils définissent le « #peuple » auquel se réfèrent les manifestants, peuple très divers mais uni par une même expérience des difficultés sociales.

    2. Face à l’#injustice, l’indignation est moins sociale que morale. Elle fabrique un peuple « en colère » comme beaucoup l’écrivent sur leur gilet : leur situation est due à la trahison des élites « corrompues » qui se « gavent » et sont prêtes à « vendre » le pays. Le « peuple » veut procéder à l’exclusion de l’#élite et la punir.

    3. Le rejet moral débouche sur l’appel à une souveraineté populaire directe qui se fait entendre de plus en plus fort au fur et à mesure que le mouvement dure, se traduisant par une hostilité aux corps intermédiaires et aux #médias et surtout aux parlementaires. Ni de droite, ni de gauche, l’essentiel est le face-à-face direct avec le Président dont on appelle à la démission.

    4. Le mouvement est incapable de se structurer, de se donner des porte-parole ou d’accepter une négociation : ce serait trahison et corruption. Entre l’injustice ressentie et l’appel au peuple, il n’y a pas de cadre politique permettant de s’organiser ou de construire des #revendications agrégeant les multiples demandes. Peu substantiel, le mouvement est facilement manipulable par des #idéologies plus consistantes, ouvert aux rumeurs et sensible aux théories « complotistes ».

    5. L’ensemble prend la forme d’une volonté de revenir dans le passé, non dans une logique réactionnaire, mais pour y retrouver les équilibres sociaux et politiques assurant un avenir plus juste pour les « petits », leur permettant de reprendre la route.

    6. Entre l’appel au peuple et les demandes diverses, il n’y a rien d’autre que des sentiments de la colère et un immense ressentiment. La violence en est l’aboutissement : elle maintient l’intégrité du mouvement. Elle est un court-circuit : elle fait entrer au cœur du système ceux qui sont #dehors. Elle est la seule #stratégie politique possible « pour se faire entendre ».

    Les gilets jaunes s’inscrivent dans la longue tradition des mouvements populaires, tels qu’on les connaît depuis le People Party ou les Narodniki au XIXe siècle jusqu’au Tea Party. Ils en sont un avatar presque ordinaire. Ils diffèrent sur une dimension : ces mouvements ont été teintés d’une forte #xénophobie, parfois de #racisme, mêlés à l’hostilité aux #pauvres qui bénéficient d’#aides_sociales. Ces thèmes ont été présents, mais ils sont restés mineurs.

    La crise de la représentation

    Marx a fait l’analyse la plus solide de ces mouvements, les expliquant par l’association des changements économiques, des difficultés sociales et de la crise de la représentation. Il n’y a presque rien à changer à son analyse. En 1848, les paysans parcellaires étaient confrontés à de profonds changements économiques mettant en cause leur existence. Comme les gilets jaunes manifestant dans Paris en petits groupes dispersés, leur #isolement ne leur permettait pas de se constituer comme une catégorie unie apte à se défendre. Leurs intérêts les opposaient aux autres groupes sociaux, mais les conditions de leur existence les séparaient les uns des autres. Il n’existait pas de #liens entre eux, aucune organisation, aucune #identité. Incapables de se représenter, ils devaient être représentés, écrit Marx, et ils attendaient des représentants et de l’Etat qu’ils les protègent contre les autres classes et surtout contre les changements, afin de leur redonner leur « splendeur d’antan ». Leur influence trouvait son expression dans la « subordination de la société au pouvoir exécutif », au politique. Marx était violemment hostile à ce type de mouvement, rejetant son #économie_morale et la volonté de « retour en arrière » comme l’appel au peuple et la #philosophie_de_la_misère.

    Il y voyait le vecteur de la prise de pouvoir de Bonaparte, le principal soutien d’un #régime_autoritaire et fort et une forme de révolte « primitive », marquant la fin d’un monde tout en faisant obstacle à une nouvelle lutte de classes. Comme les paysans parcellaires, les gilets jaunes sont le produit de la désintégration sociale et de l’injustice brutale produites par des changements économiques qui les laissent à l’écart et du vide dans lequel l’effondrement du système politique les a placés, en particulier la disparition de la Gauche dont il ne subsiste plus que des fragments caricaturaux. Ils sont le produit d’un « moment », moment du « peuple », inauguré lors de la dernière élection présidentielle, et qui peut durer de longues décennies comme nous le rappellent les paysans parcellaires dont la participation au #plébiscite a précipité l’effondrement de la démocratie : il a fallu attendre près d’un demi-siècle pour que les luttes des classes s’affirment par la construction d’un mouvement ouvrier et d’une Gauche politique. Les gilets jaunes n’annoncent rien mais leur mouvement populaire exacerbe l’urgence qu’il y a aujourd’hui de sortir de ce « moment du peuple » en refondant la démocratie représentative en retrouvant les chemins de la lutte des classes.

    Que les #précaires puissent guère tabler sur la grande usine comme lieu d’agrégation n’en fait pas pour autant des paysans parcellaires. Le sociologue enrégimente Marx pour mieux s’autoriser de « leçons de l’histoire ».

    #histoire #analyse #débat

  • « La figure du domestique vivant chez ses maîtres a été remplacée par celle de la salariée intervenant dans différents domiciles »

    https://medias.liberation.fr/photo/1180775-femmes-de-menage.jpg?modified_at=1544980910&width=960
    "La moitié la plus modeste de la population a bénéficié en 2012 de seulement 6,6 % du total des crédits d’impôt, alors que le décile le plus aisé a bénéficié de plus de 43,5 % de la subvention fiscale totale. Concernant cette dépense fiscale, la part captée par les ménages progresse fortement avec le niveau de vie. En résumé, la majorité des services ne sont ni de l’aide à domicile ni de la garde d’enfants, et la répartition des avantages fiscaux est très, très concentrée sur les foyers les plus riches."

    –-> https://www.liberation.fr/debats/2018/12/16/la-figure-du-domestique-vivant-chez-ses-maitres-a-ete-remplacee-par-celle

    A lire aussi « Ces emplois trouvent leurs racines dans le travail féminin gratuit et bénévole » par la sociologue Francesca Scrinzi —> https://www.liberation.fr/debats/2018/12/16/les-emplois-domestiques-trouvent-leurs-racines-dans-le-travail-feminin-gr

  • La traversée de #Paris des #gilets_jaunes, par Grégoire #Bouillier - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/20/la-traversee-de-paris-des-gilets-jaunes-par-gregoire-bouillier_1698562

    L’#Arc_de_triomphe ? 

    Son anagramme est « #Charlot_déprime ».

    Je n’invente rien. On peut vérifier. Je le découvre maintenant. En lisant en écrivant. En éprouvant un petit orgasme au-dessus de la ceinture. En me rappelant cette journée de samedi.

    En me revoyant Charlot déprime dans les lumières jaunes de la ville tigre.

    Charlot déprime place Charles de Gaulle, sur son carrefour le sien, cinquante ans après mai 68, salut à toi mon général, bon anniversaire, les veaux te saluent bien.

    Charlot déprime en ces temps foutrement modernes, pris dans les rouages, broyé par la machine, tout concorde à merveille, rien n’a changé depuis 1936. La même logique basse du front populaire n’a fait qu’empirer la situation.

    Une chose n’est jamais strictement identique à elle-même. Elle en contient toujours mille autres en son sein, en puissance. Chaque mot recèle ses propres mystères. Rien n’est chargé à blanc. Même s’il l’ignore, tout Charlot qui déprime porte en lui un arc de triomphe.

    Je suis Charlot déprime.

    J’aimerais inscrire ça en grosses lettres jaunes sur mon tee-shirt. Taguer ces mots sous la statue de la liberté du pilier ouest de l’Arc de triomphe. Cela ferait joli. Cela résume mon état d’esprit à cet instant. Cela me fait marrer tout seul.

    Charlot #déprime_de_Noël.

    À hauteur du Fouquet’s (protégé par de grands panneaux de bois), Lolo m’a lâché pour aller là où ça chauffe le plus. Gaffe à toi, je lui ai dit. Je l’ai senti frétillant, intrépide. Car ça fritte plus haut.

  • Les gilets jaunes ou le retour de « l’économie morale » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/18/les-gilets-jaunes-ou-le-retour-de-l-economie-morale_1698590

    par Benjamin Coriat

    Les émeutiers du XVIIIe siècle, dont le mouvement a magnifiquement été étudié et analysé par le grand historien anglais Edward P. Thompson (voir son ouvrage les Usages de la coutume, éd. EHESS, 2018), défendaient une idée forte et essentielle. Marché ou pas marché, rien, jamais, ne doit contrevenir à un principe aussi simple que fondamental : celui du droit à l’existence. Rien, jamais, aucune règle, ne doit contrevenir aux droits de la personne à vivre dignement : se sustenter, se loger, se chauffer, se soigner, s’éduquer et éduquer ses enfants. Cet ensemble simple et basique - le droit à l’existence et le droit de le défendre -, c’est ce que Thompson a désigné sous le nom d’« économie morale », pour l’opposer aux dogmes de l’économie libérale de marché qui cherchait alors à s’imposer. Economie morale contre économie libérale de marché, l’affrontement fut long et récurrent. Jusqu’à ce que, appuyée chaque fois que nécessaire sur la loi martiale et le feu des carabines contre les manifestants, l’économie libérale de marché finisse par l’emporter et organiser nos sociétés.

    Nous voici deux siècles plus tard. Et la cause semble entendue. Au point que, au nom du marché, les discours les plus cyniques sont désormais tenus calmement par nos gouvernants. Ainsi la suppression de l’ISF (qui favorise surtout les 1 % les plus riches), la « flat tax » (qui concerne cette fois les 10 % les plus riches) : c’est pour le bien du peuple qu’on y procède nous est-il asséné sans rire, car telle est la loi de l’économie libérale de marché. Il faut gaver les riches pour que des miettes « ruissellent » sur le peuple.

    Mais voilà. Les choses sont allées si loin, le cynisme des possédants et de leurs mandants au sein de l’Etat a atteint de tels niveaux que, venue du fond des âges, l’économie morale, les principes de justice qui la fonde et le peuple qui la porte resurgissent et réoccupent le devant de la scène. Cette fois non sur les places de marché des villages, mais, le symbole est peut-être plus fort encore, à chaque rond-point ou presque. De nouveau, c’est le droit à l’existence tel qu’en lui-même qui se dresse. Au-delà de la taxe sur les carburants, tout revient : le droit de se chauffer, de se nourrir, d’éduquer et de vêtir ses enfants. La lutte pour le droit à l’existence, telle qu’en elle-même, est de retour…

    #Gilets_jaunes #Benjamin_Coriat #Economie_morale

    • Les gilets jaunes ou le retour de « l’économie morale »

      Par Benjamin Coriat, professeur des universités, membre du conseil d’administration du collectif des Economistes atterrés — 18 décembre 2018 à 17:06 (mis à jour à 19:12)

      Le cynisme des possédants et de leurs mandants au sein de l’Etat a atteint de tels niveaux qu’une revendication d’« économie morale » portée par les émeutiers du XVIIIe siècle resurgit. Cette fois non sur les places de marché des villages, mais à chaque rond-point ou presque.

      Les gilets jaunes ou le retour de « l’économie morale »

      Tribune.

      Plusieurs semaines après son irruption sur la scène publique, le mouvement des gilets jaunes, même s’ils étaient moins nombreux à Paris samedi 15 décembre, continue d’intriguer, d’interroger. Chacun sent bien qu’il vient de loin. « Sans-culottes » qui s’ignorent disent les uns, quand d’autres, soucieux avant tout de discréditer le mouvement, n’y lisent que du simple « poujadisme ».

      Je voudrais suggérer ici une autre lecture encore. En défendant l’idée que l’importance des gilets jaunes tient d’abord au fait que contre la dictature du « libre » marché, ils apparaissent comme porteurs, et ce n’est pas rien, de ce retour de « l’économie morale », qui animait les émeutiers du XVIIIe siècle, économie morale dont le sort semblait depuis longtemps scellé.

      Les émeutiers du XVIIIe siècle, dont le mouvement a magnifiquement été étudié et analysé par le grand historien anglais Edward P. Thompson (voir son ouvrage les Usages de la coutume, éd. EHESS, 2018), défendaient une idée forte et essentielle. Marché ou pas marché, rien, jamais, ne doit contrevenir à un principe aussi simple que fondamental : celui du droit à l’existence. Rien, jamais, aucune règle, ne doit contrevenir aux droits de la personne à vivre dignement : se sustenter, se loger, se chauffer, se soigner, s’éduquer et éduquer ses enfants. Cet ensemble simple et basique - le droit à l’existence et le droit de le défendre -, c’est ce que Thompson a désigné sous le nom d’« économie morale », pour l’opposer aux dogmes de l’économie libérale de marché qui cherchait alors à s’imposer. Economie morale contre économie libérale de marché, l’affrontement fut long et récurrent. Jusqu’à ce que, appuyée chaque fois que nécessaire sur la loi martiale et le feu des carabines contre les manifestants, l’économie libérale de marché finisse par l’emporter et organiser nos sociétés.

      Nous voici deux siècles plus tard. Et la cause semble entendue. Au point que, au nom du marché, les discours les plus cyniques sont désormais tenus calmement par nos gouvernants. Ainsi la suppression de l’ISF (qui favorise surtout les 1 % les plus riches), la « flat tax » (qui concerne cette fois les 10 % les plus riches) : c’est pour le bien du peuple qu’on y procède nous est-il asséné sans rire, car telle est la loi de l’économie libérale de marché. Il faut gaver les riches pour que des miettes « ruissellent » sur le peuple.

      Mais voilà. Les choses sont allées si loin, le cynisme des possédants et de leurs mandants au sein de l’Etat a atteint de tels niveaux que, venue du fond des âges, l’économie morale, les principes de justice qui la fonde et le peuple qui la porte resurgissent et réoccupent le devant de la scène. Cette fois non sur les places de marché des villages, mais, le symbole est peut-être plus fort encore, à chaque rond-point ou presque. De nouveau, c’est le droit à l’existence tel qu’en lui-même qui se dresse. Au-delà de la taxe sur les carburants, tout revient : le droit de se chauffer, de se nourrir, d’éduquer et de vêtir ses enfants. La lutte pour le droit à l’existence, telle qu’en elle-même, est de retour…

      Tout a changé bien depuis le XVIIIe siècle. Mais pas cela. Pas cette question essentielle. Comment et au nom de quels principes, quand la France regorge de richesse, quand 40 entreprises se partagent chaque année quelque 50 milliards de dividendes, et pour la plupart d’entre elles ne payent jamais qu’une petite partie de l’impôt qu’elles doivent… comment peut-on augmenter encore la taxation sur les pauvres, comment peut-on baisser l’aide au logement, attaquer les retraites et les retraités ? Et ce ne sont certes pas les miettes récemment concédées, pourvu que l’essentiel soit préservé, qui changent quoi que ce soit. Oui, plus que jamais l’économie morale, qui pas plus hier qu’aujourd’hui ne semble devoir être dupe des fausses bontés du souverain, doit être saluée. C’est notre chance. Saisissons-la. Avant que les vautours - il y en a toujours au-dessus des champs de bataille - ne fondent sur les plus fragiles.

      Le défi n’est pas mince. Car il ne s’agit plus seulement de rétablir la justice pour le peuple d’aujourd’hui. Il convient désormais de prendre en compte celui de demain. Il faut s’en souvenir : derrière cette affaire de taxation du fioul, il y a, sérieuse et grave la question de la transition énergétique et écologique. Une urgence dont le Président, affairé à sauver les siens, n’a pas dit un mot. Aussi, devant ses absences et défaillances, faut-il gérer et anticiper à la fois pour aujourd’hui et pour demain. Les choses sont ainsi faites qu’avec le triomphe de l’économie libérale de marché, ses opérateurs les plus puissants et les plus emblématiques, les firmes multinationales et les grandes banques ont pu systématiquement et pendant des décennies mettre à sac la planète et ses ressources. Et aujourd’hui encore, en toute impunité continuent de le faire. Une enquête récente vient de l’établir : les banques françaises (pour ne prendre que cet exemple) choisissent de dédier quelque 70 % de leurs financements aux énergies fossiles et aux hydrocarbures ! Ainsi, en 2018, le pillage et la prédation battent leur plein. Et que fait-on contre cela ? Rien. Ou au vrai, pas tout à fait rien. On les récompense les banques, elles-mêmes et les industriels qu’elles financent dans leurs activités de prédation des ressources fossiles, par un abaissement de l’impôt sur les sociétés, et leurs dirigeants par une suppression de l’impôt sur la fortune.

      Oui, il est plus que temps. En revenir aux principes qui animent l’économe morale et à travers eux à la défense du commun et du bien commun, travailler à la formulation d’un droit à l’existence repensé et refondé est non seulement une œuvre de salubrité publique pour les générations présentes, il s’agit aussi, rien de moins, de l’avenir de la planète elle-même, et de celui de nos enfants.

      Benjamin Coriat a codirigé l’ouvrage Vers une République des biens communs ? éd. les Liens qui libèrent, 2018.

      Benjamin Coriat professeur des universités, membre du conseil d’administration du collectif des Economistes atterrés

  • Mark Fisher, pop philosophe mélancolique
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/18/mark-fisher-pop-philosophe-melancolique_1698587

    C’est un petit livre, à peine plus épais qu’un opuscule, qui cache une forêt. Publié par Entremonde, éditeur genevois spécialisé dans les essais critiques et politiques, on aurait vite fait de laisser sa couverture noire et argent s’évanouir dans la pléthore éditoriale de l’automne. Certains, pourtant, attendent le Réalisme capitaliste, première traduction française du philosophe et critique Mark Fisher, depuis très longtemps. Ceux qui connaissaient la réputation de cette dissection habile du capitalisme tardif éditée en anglais en 2009, et louée par Slavoj Zizek et les philosophes accélérationnistes. Egalement ceux qui suivaient à la trace ses critiques musicales dans les magazines NME ou The Wire. Encore ceux qui étaient abonnés, dans les années 2000, au forum de discussion Dissensus, qu’il avait créé avec le blogueur journaliste Matt Ingram, et lisaient régulièrement son blog K-Punk pour découvrir au jour le jour les inventions théoriques qu’il y développait.

    #livres #édition #culture #musique #cinéma

    • Résultat de six ou sept années de recherches entamées à l’université et affinées sur Internet, Réalisme capitaliste n’est pas un livre sur l’art, ni sur la musique. Quelques musiciens comme Kurt Cobain y apparaissent, tout comme certains films et cinéastes (Wall-E, Blue Collar de Paul Schrader) mais c’est de loin son texte le moins référencé - il est ainsi moins ardu que le suivant, Ghosts of My Life (2014), qui développe nombre de ses idées par le prisme de la musique électronique, dont Fisher était un défenseur et un « pratiquant » fervent depuis l’ère des raves, au début des années 90. Vincent Chanson, qui travaille pour la maison d’édition Entremonde, précise : « Pour introduire Fisher aux lecteurs français, on a choisi de commencer par Réalisme capitaliste. L’entrée dans son œuvre par la musique est un peu rédhibitoire - les œuvres dont il parle sont peu connues hors des amateurs de jungle et de techno. »

      Comme son sous-titre l’indique (N’y a-t-il aucune alternative ?), le premier livre de Mark Fisher est plutôt un guide de survie dans un #capitalisme si englobant qu’il en circonscrit tous les possibles politiques. On connaît l’adage attribué à Zizek comme quoi « la fin du monde est plus facile à imaginer que la fin du capitalisme ». Le Slovène avait imaginé sa formule (ou l’avait emprunté au philosophe américain Fredric Jameson, personne n’en est bien sûr) pour expliquer la recrudescence des scènes de destruction massive dans l’#imaginaire hollywoodien. Lui-même lecteur attentif de Zizek et de Jameson et critique féru de cinéma de genre, Fisher débute son livre par un chapitre titré d’après la fameuse phrase du philosophe slovène et une analyse des Fils de l’homme d’Alfonso Cuarón (2006). Le philosophe l’estimait plus qu’aucun autre film d’anticipation pour sa manière de présenter « une dystopie qui soit spécifique au capitalisme tardif […], dans lequel l’ultra-autoritarisme et le capital ne sont nullement incompatibles : les camps d’internement y coexistent avec des coffee bars franchisés. » A travers ce film, qui se déroule au beau milieu d’une catastrophe dont les causes sont aussi impossibles à déterminer qu’une action qui viendrait l’arrêter, Fisher décrypte un temps où les sociétés auraient intégré que plus aucune rupture ne viendra mettre fin à un cycle infini de « réitération et repermutation ». Ce monde presque stérile, animé d’un « espoir messianique faible » et charriant la #dépression comme une épidémie, c’est bien sûr le nôtre, condamné depuis l’effondrement de l’URSS à survivre au sein d’un capitalisme sans alternative.

      Dans les années 2000 et 2010, d’où écrit Fisher, l’#art ne « peut plus qu’imiter des styles morts, parler avec des masques », et le capitalisme n’a plus besoin de « contenir et absorber les énergies venues du #dehors. A présent, c’est le problème contraire qui se pose à lui : n’étant que trop bien parvenu à assimiler l’extérieur, comment peut-il fonctionner sans un ailleurs qu’il peut coloniser et s’approprier ? » Le réalisme capitaliste est ainsi une tentative de description de ce qui reste quand « les croyances se sont effondrées, ramenées au niveau de l’élaboration rituelle ou symbolique ». C’est un capitalisme qu’on ne critique plus en soi mais dont on #critique les dérives de ceux qui profitent du système ; un réalisme qu’on ne peut plus contester sans se voir opposer un principe de réalité puisque l’idéologie qu’il incarne se présente comme un fait et non plus comme un argument (le fameux « il n’y a pas d’alternative » thatchérien).

      Incarnation d’un monde hanté
      Comment lutter ? Où planter les graines pour refonder un autre monde quand la gauche se partage entre les « immobilistes » et les « communistes libéraux, qui affirment que les excès immoraux du capitalisme doivent être contrebalancés par la charité », et que la croyance même à cet autre monde est présentée comme un fanatisme ? Avant de se lancer dans un sommaire préambule de réponse, Fisher, dans Réalisme capitaliste, décrit, analyse, fouille où il peut, dans les objets culturels notamment, qui sont ses biais critiques de choix. Et une grande part de son inquiétude provient des symptômes qu’il décèle dans les œuvres d’art elles-mêmes. D’une part, elles sont l’incarnation d’un monde hanté par son incapacité à se renouveler réellement, qu’il désignera plus tard par le mot-valise, emprunté à Derrida dans Spectres de Marx, d’« #hantologie ». De l’autre, elles se retrouvent emblématiques d’une incapacité à subvertir la culture capitaliste puisque cette dernière est désormais capable de les « précorporer », c’est-à-dire « formater et façonner de manière préventive les désirs, les aspirations et les espoirs » qu’ils expriment.

      #désir

  • « La figure du domestique vivant chez ses maîtres a été remplacée par celle de la salariée intervenant dans différents domiciles » - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/16/la-figure-du-domestique-vivant-chez-ses-maitres-a-ete-remplacee-par-celle

    On ne les appelle plus « domestiques ». Mais leurs emplois, précaires et mal rémunérés, participent à l’augmentation des inégalités sociales. En France, les services à la personne représentent 1,23 million d’emplois, plus de 5 % de l’emploi total. Le terme englobe l’ensemble des services effectués au domicile d’un particulier : ménage, garde d’enfants ou de personnes âgées, jardinage, cours particuliers… Des services dont la demande a explosé, notamment à cause du vieillissement de la population et de la féminisation du marché du travail. Pour pallier ces besoins et tenter de résorber le chômage, la France subventionne le secteur des services à la personne depuis les années 90. Déduction fiscale ou crédit d’impôt, ces dispositifs coûtent cher et sont peu efficaces.

    Nathalie Morel et Clément Carbonnier sont directeurs de l’axe « politiques socio-fiscales » du Laboratoire interdisciplinaire d’évaluations des politiques publiques (Liepp, Sciences-Po). Dans le Retour des domestiques, ils analysent l’impact de ces mesures de soutien aux services à la personne en France. Argumentée et critique, leur étude dénonce des cadeaux fiscaux déguisés en dépenses sociales. Des sommes que l’Etat pourrait investir dans des services publics sociaux en déshérence au lieu de viser à tout prix la réduction du coût du travail, suggèrent les auteurs.
    La conclusion de votre livre est alarmante. Vous écrivez qu’en France, « la politique de soutien aux services à la personne marque un inquiétant retour à la domesticité » . Pourquoi ?

    Clément Carbonnier : Depuis les années 90, on constate un retour de l’emploi domestique, en particulier en France où cette évolution s’explique notamment par les politiques d’incitations fiscales mises en œuvre dès la fin des années 80, et plus particulièrement à partir de 1991. Certes, ces emplois « domestiques », c’est-à-dire le travail effectué par des salariés pour le compte de particuliers à leur domicile, diffèrent de la domesticité des siècles passés. La figure du domestique vivant chez ses maîtres a été remplacée par celle de la salariée intervenant dans différents domiciles pour accomplir des tâches de ménage, de repassage, de garde d’enfants ou de soins à des personnes âgées. Mais la dimension subalterne de ces emplois « au service de » demeure : par la relation interpersonnelle et fortement asymétrique qui s’y noue et par les conditions de travail dégradées que subissent ces employées, dépendantes de leurs employeurs.
    Pourquoi cette nouvelle domesticité a-t-elle été « créée » par des choix politiques ?

    Nathalie Morel : Au début des années 90, un certain nombre de travaux semblent montrer que la France avait un déficit d’emplois dans le secteur des services. Le pays connaît alors déjà un taux de chômage élevé, notamment par rapport aux Etats-Unis, et certains économistes avancent qu’il est dû à un coût du travail trop important. En France, du fait des protections sociales et des carences sur le marché de l’emploi, la demande spontanée que connaissent les Etats-Unis ne peut pas se mettre en place : on essaie donc de la créer.

    C.C. : On tente alors de résoudre une forme de « trilemme » : répondre à cette demande, résorber le chômage, particulièrement l’inactivité et le sous-emploi chez les moins qualifiés, tout en maîtrisant le budget public. Mais cette politique de subventions n’a atteint aucun de ses objectifs. La création d’emplois est décevante au regard des sommes engagées, relativement importantes. Le dispositif pèse sur le budget public, et ces services sociaux posent des problèmes d’inégalité d’accès, à la fois dans les gardes d’enfants et dans la dépendance.

    N.M. : Et puis, une fois la politique mise en place, un certain nombre d’acteurs qui ont intérêt à ce que les dispositifs soient étendus et pérennisés émergent. Les grandes enseignes de cours à domicile ou de ménage effectuent un travail de lobbying très important. Il devient donc très compliqué de faire évoluer ces dispositifs, même si des gouvernements seraient enclins à le faire, car ces groupes de pression ont des entrées très directes.

    Les associations de particuliers employeurs sont également très actives. Eux-mêmes produisent leurs propres données statistiques en affirmant que de nombreux emplois vont disparaître si l’on abaisse les plafonds de déductibilité. In fine, la France est le premier pays à avoir mis un dispositif si généreux en place. Et la Commission européenne a encouragé les Etats membres à développer ces dispositifs sur le modèle français. Au discours autour du coût du travail trop élevé et de la résorption du chômage s’est ajouté l’argument de l’égalité des sexes. C’est hypocrite : on active de l’emploi précaire pour les femmes précaires, et on libère plus de temps dans des tâches productives pour les femmes qualifiées.
    Qu’est-ce qui explique la faible efficacité de ces mesures fiscales sur l’emploi ?
    (et pendant ce temps les hommes s’en mettent plein les poches car les magouilles fiscales et les entreprises de merde qui font du lobbying contre les femmes précaires sont à eux. Ils sont aussi dispensé du travail domestique et des soins à leurs progéniture et cela sans qu’on leur reproche quoi que ce soit puisque le travail domestique est ici montré comme un enjeux concurrentiel entre femmes diplômées et non diplômées)

    C.C. : Initialement, les plafonds de dépenses prises en compte pour la déduction d’impôt étaient relativement bas, de l’ordre de 4 000 euros par an, puis on est monté progressivement, avec quelques allers-retours, jusqu’à 12 000 euros (voire 15 000 euros dans certains cas) aujourd’hui. Au départ, le dispositif avait un réel effet sur l’emploi, même s’il était coûteux : de 30 000 à 40 000 euros par an et par emploi créé. En revanche, depuis, les augmentations de plafond elles-mêmes en ont créé très peu, avec un coût supérieur à 160 000 euros par an et par emploi créé.
    Mais alors, pourquoi les plafonds des dépenses prises en compte pour la réduction d’impôt ont augmenté de façon quasi constante depuis la première introduction du dispositif en 1991 ?

    C.C. : Les particuliers employeurs et les entreprises du secteur demandent l’augmentation des plafonds en mettant en avant le coût très élevé des gardes d’enfants ou des services d’aide à la dépendance pour les familles. Or la majorité des dépenses des ménages dans les emplois aidés, et donc la majorité des subventions publiques, est en réalité consacrée à d’autres types de service, comme le ménage ou le jardinage, qu’on appelle les « services de confort ». L’aide à domicile pour les personnes dépendantes est une part importante, mais pas majoritaire, et la garde d’enfants est une part très minoritaire. Non seulement les dispositifs fiscaux ne répondent pas en priorité à ces deux vrais services sociaux, mais ils n’y répondent que très partiellement : même avec des aides, les gardes d’enfants ou les services aux personnes âgées restent trop chers pour des foyers modestes.
    Ce qui signifie que ces mesures ne bénéficient pas à ceux qui en ont le plus besoin ?

    C.C. : Exactement. La consommation de ces services augmente fortement avec le niveau de revenus. Les ménages les plus modestes consomment très rarement et seulement en très petites quantités. Les ménages aisés y ont recours bien plus fréquemment et pour des montants annuels bien plus importants. La moitié la plus modeste de la population a bénéficié en 2012 de seulement 6,6 % du total des crédits d’impôt, alors que le décile le plus aisé a bénéficié de plus de 43,5 % de la subvention fiscale totale. Concernant cette dépense fiscale, la part captée par les ménages progresse fortement avec le niveau de vie. En résumé, la majorité des services ne sont ni de l’aide à domicile ni de la garde d’enfants, et la répartition des avantages fiscaux est très, très concentrée sur les foyers les plus riches.
    Vous soulignez le lien entre les conditions de travail dégradées de ce secteur et la façon dont les politiques publiques l’ont construit…

    N.M. : Lors de la mise en place du dispositif, c’est l’emploi direct de salariées par les ménages qui a été privilégié au détriment de la structuration et de la professionnalisation du secteur. Le modèle du « particulier employeur » continue d’être prédominant, même si les entreprises prestataires qui emploient et vendent le service sont en croissance. Cela engendre une fragmentation de l’offre de main-d’œuvre qui, couplée à l’absence de lieu de travail commun, limite fortement la constitution de collectifs de travail. La représentation syndicale est pratiquement nulle et l’information sur les droits peu disponible, ce qui limite l’efficacité des conventions collectives qui existent pourtant. La réglementation sur les conditions de travail et leur conformité aux règlements d’hygiène et de sécurité est particulièrement difficile à faire appliquer, notamment du fait que l’inspection du travail n’est pas habilitée à intervenir au domicile de particuliers. Ce secteur est d’ailleurs caractérisé par un taux d’accident du travail élevé.

    De plus, si les salaires horaires officiels respectent le salaire minimum, les salaires mensuels sont très faibles, non seulement du fait de temps très partiels et très fragmentés (temps de transport élevé par rapport au temps de travail rémunéré), mais également parce qu’un certain nombre d’heures au domicile du client ne sont pas comptées pour des heures pleines. La situation est légèrement plus favorable pour les salariées travaillant par le biais d’organismes prestataires du fait d’un meilleur accès à la formation et la possibilité de travailler un nombre d’heures plus élevé, mais les salaires restent faibles.
    Selon vous, l’argent consacré aux réductions d’impôt ou aux allégements de cotisations pourrait en partie servir à créer des emplois publics dans les secteurs de la petite enfance et de l’aide aux personnes âgées

    N.M. : Oui. Il y a un grand nombre de services utiles qui n’existent ni dans le privé ni dans le public. Si l’on réorientait la partie la moins efficace de la dépense fiscale vers ces services, cela ne nuirait pas à l’emploi. Et cela permettrait même d’en créer de meilleure qualité dans le secteur. Alors oui, les utilisateurs de ces nouveaux services sociaux ne seraient pas forcément ceux qui bénéficient aujourd’hui de la niche fiscale. Mais cette réallocation amplifierait l’effet redistributeur du système d’impôts et de transferts français.
    Léa Mormin-Chauvac

    #femmes #travail #précarité #care #domestiques

  • En furie contre la censure du Net
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/13/en-furie-contre-la-censure-du-net_1697407

    La photographe Romy Alizée a vu son compte Instagram fermé après la publication d’une photo. Elle s’insurge contre la politique de contrôle des plateformes qui vise avant tout le corps des femmes. Le 24 novembre 2018 à 10 heures, je me suis connectée à Instagram pour partager l’une de mes dernières images, un autoportrait où je pose avec une amie, et un long double gode. J’avais pris soin de penser cette photo sans nudité. Pas par crainte de la voir signalée, mais par simple choix artistique. Cette (...)

    #Facebook #Instagram #algorithme #domination #censure #pornographie

  • Instruction obligatoire à 3 ans : un cadeau pour l’école maternelle privée - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/14/instruction-obligatoire-a-3-ans-un-cadeau-pour-l-ecole-maternelle-privee_

    En décidant, sous couvert d’« égalité », la scolarisation obligatoire à 3 ans, le président de la République et son ministre de l’Education introduisent subrepticement l’obligation de financement des maternelles privées par les communes : c’est un bien mauvais coup porté à l’école maternelle publique et aux collectivités locales.

  • Excellente analyse de Samuel Hayat sur le mouvement en cours, qui offre des points de comparaison historiques et des instruments précieux (au premier rang desquels le concept d’"économie morale", emprunté à E. P. Thompson) pour penser son caractère inédit, son unité ("surprenante", écrit l’auteur, au regard de son horizontalité avérée), ses dangers, ses possibles. Mobiliser le concept d’’économie morale" me paraît d’autant plus pertinent que ce terme éclaire les stratégies discursives et la grille de lecture (économie domestique, bon sens, « bons comptes » faisant les « bons amis »...) appliquées par l’élite européenne en place (totalement inféodée par ailleurs aux règles de l’économie financiarisée) à la gestion de la crise grecque - et qui lui ont permis d’imposer au Sud de l’Europe des plans d’austérité sévère avec le consentement d’une part conséquente de leurs opinions publiques. Le hiatus entre cette « économie morale » et l’économie financiarisée (radicalement a-morale et destructrice de solidarités) est bien au coeur de notre époque, et le stratagème développé par ces élites pour rendre la crise grecque intelligible (et les plans d’austérité acceptables) est bien le signe que les principes de fonctionnement de l’économie financiarisée ne « font pas discours » (ni société) - ne peuvent inspirer et nourrir aucun discours proprement politique (sinon évidemment le discours de la prédation et de la guerre des possédants contre ceux qui ont peu ou n’ont rien : mais ce sont précisément des choses « qu’on ne dit pas », des choses « qui ne peuvent pas se dire »). A travers le mouvement des « gilets jaunes », cette même « économie morale » (qui apparaît beaucoup plus comme une idéologie relativement indéfinie que comme un modèle économique) se retourne aujourd’hui contre ceux qui étaient parvenus avec succès à en mobiliser les termes (qu’on se souvienne des « proverbes campagnards » sur la dette cités aussi bien par Hollande que Schäuble, Sarkozy ou Merkel pour justifier les mémorandums). Un enjeu majeur de la période, concernant la participation d’une part croissante de militant.e.s de gauche à ce mouvement (voir le texte de Tristan Petident publié hier sur son profil FB), serait probalement de saisir dans quel sens et par quels biais il est aujourd’hui possible d’orienter cette « économie morale » largement indéfinie dans le sens d’une économie sociale, écologique, non-fondée sur la division entre « nationaux » et « étrangers ». Ma conviction est que cette compréhension et ce travail ne pourront émerger que dans la pratique et la participation, et non dans le retrait et l’observation en surplomb.

    Les Gilets Jaunes, l’économie morale et le pouvoir

    Difficile de ne pas être saisi par le mouvement en cours. Tout y est déconcertant, y compris pour qui se fait profession de chercher et d’enseigner la science politique : ses acteurs et actrices, ses modes d’action, ses revendications. Certaines de nos croyances les mieux établies sont mises en cause, notamment celles qui tiennent aux conditions de possibilité et de félicité des mouvements sociaux. D’où sinon la nécessité, du moins l’envie, de mettre à plat quelques réflexions issues de la libre comparaison entre ce que l’on peut voir du mouvement et des connaissances portant sur de tout autres sujets. A côté des recherches sur le mouvement en cours, espérons que l’éclairage indirect que donne la confrontation à d’autres terrains pourra dire quelque chose de différent sur ce qui a lieu.

    https://samuelhayat.wordpress.com/2018/12/05/les-gilets-jaunes-leconomie-morale-et-le-pouvoir/amp/?__twitter_impression=true

    #giletsjaunes #gilets_jaunes #Thompson #économie_morale #finance #mobilisation #peuple #solidarités #sociabilités

    • Les gilets jaunes ou le retour de « l’économie morale », Benjamin Coriat, prof des universités, membre du C.A. du collectif des Economistes atterrés, 18 décembre 2018
      https://www.liberation.fr/debats/2018/12/18/les-gilets-jaunes-ou-le-retour-de-l-economie-morale_1698590

      Les gilets jaunes ou le retour de « l’économie morale »
      Tribune. Plusieurs semaines après son irruption sur la scène publique, le mouvement des gilets jaunes, même s’ils étaient moins nombreux à Paris samedi 15 décembre, continue d’intriguer, d’interroger. Chacun sent bien qu’il vient de loin. « Sans-culottes » qui s’ignorent disent les uns, quand d’autres, soucieux avant tout de discréditer le mouvement, n’y lisent que du simple « poujadisme ».

      Je voudrais suggérer ici une autre lecture encore. En défendant l’idée que l’importance des gilets jaunes tient d’abord au fait que contre la dictature du « libre » marché, ils apparaissent comme porteurs, et ce n’est pas rien, de ce retour de « l’économie morale », qui animait les émeutiers du XVIIIe siècle, économie morale dont le sort semblait depuis longtemps scellé.

      Les #émeutiers du XVIIIe siècle, dont le mouvement a magnifiquement été étudié et analysé par le grand historien anglais Edward P. Thompson (voir son ouvrage les Usages de la #coutume, éd. EHESS, 2018), défendaient une idée forte et essentielle. Marché ou pas marché, rien, jamais, ne doit contrevenir à un principe aussi simple que fondamental : celui du #droit_à_l’existence. Rien, jamais, aucune règle, ne doit contrevenir aux droits de la personne à vivre dignement : se sustenter, se loger, se chauffer, se soigner, s’éduquer et éduquer ses enfants. Cet ensemble simple et basique - le droit à l’existence et le #droit de le #défendre -, c’est ce que Thompson a désigné sous le nom d’« économie morale », pour l’opposer aux dogmes de l’économie libérale de marché qui cherchait alors à s’imposer. Economie morale contre économie libérale de marché, l’affrontement fut long et récurrent. Jusqu’à ce que, appuyée chaque fois que nécessaire sur la loi martiale et le feu des carabines contre les manifestants, l’économie libérale de marché finisse par l’emporter et organiser nos sociétés.

      Nous voici deux siècles plus tard. Et la cause semble entendue. Au point que, au nom du marché, les discours les plus cyniques sont désormais tenus calmement par nos gouvernants. Ainsi la suppression de l’ISF (qui favorise surtout les 1 % les plus riches), la « flat tax » (qui concerne cette fois les 10 % les plus riches) : c’est pour le bien du peuple qu’on y procède nous est-il asséné sans rire, car telle est la loi de l’économie libérale de marché. Il faut gaver les riches pour que des miettes « ruissellent » sur le peuple.

      Mais voilà. Les choses sont allées si loin, le cynisme des possédants et de leurs mandants au sein de [sic] l’#Etat a atteint de tels niveaux que, venue du fond des âges, l’économie morale, les principes de #justice qui la fonde et le peuple qui la porte resurgissent et réoccupent le devant de la scène. Cette fois non sur les places de marché des villages, mais, le symbole est peut-être plus fort encore, à chaque #rond-point ou presque. De nouveau, c’est le droit à l’existence tel qu’en lui-même qui se dresse. Au-delà de la taxe sur les carburants, tout revient : le droit de se chauffer, de se nourrir, d’éduquer et de vêtir ses enfants. La lutte pour le droit à l’existence, telle qu’en elle-même, est de retour…[...]

  • « On voudrait une colère, mais polie, bien élevée »
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/06/on-voudrait-une-colere-mais-polie-bien-elevee_1696462

    Dans son dernier livre, Désobéir (Albin Michel, 2017), il cherchait les raisons de notre passivité face à un monde toujours plus inégalitaire. Aujourd’hui, une partie de la population s’insurge et Frédéric Gros, philosophe et professeur à Sciences-Po, analyse l’expression inédite de la colère des gilets jaunes.

    Salariés ou retraités, les gilets jaunes font parfois preuve de violence dans leurs propos ou dans leurs gestes. Comment l’expliquez-vous ?

    Déjà, il y a la part de violences émanant d’une minorité de casseurs ou de groupuscules venant pour « en découdre ». Elle est incontestable, mais il faut comprendre à quel point, en même temps, elle suscite un effroi émotionnel et un soulagement intellectuel. On demeure en terrain connu. Le vrai problème, c’est qu’elle est minoritaire. Elle est l’écume sombre d’une vague de colère transversale, immense et populaire. On ne cesse d’entendre de la part des « responsables » politiques le même discours : « La colère est légitime, nous l’entendons ; mais rien ne peut justifier la violence. » On voudrait une colère, mais polie, bien élevée, qui remette une liste des doléances, en remerciant bien bas que le monde politique veuille bien prendre le temps de la consulter. On voudrait une colère détachée de son expression. Il faut admettre l’existence d’un certain registre de violences qui ne procède plus d’un choix ni d’un calcul, auquel il est impossible même d’appliquer le critère légitime vs. illégitime parce qu’il est l’expression pure d’une exaspération. Cette révolte-là est celle du « trop, c’est trop », du ras-le-bol. Tout gouvernement a la violence qu’il mérite.

    Ce qui semble violent, n’est-ce pas aussi le fait que ce mouvement ne suive pas les formes de contestations habituelles ?

    Le caractère hétéroclite, disparate de la mobilisation produit un malaise : il rend impossible la stigmatisation d’un groupe et le confort d’un discours manichéen. Il a produit une sidération de la part des « élites » intellectuelles ou politiques. Non seulement elles n’y comprennent rien mais, surtout, elles se trouvent contestées dans leur capacité de représentation, dans la certitude confortable de leur légitimité. Leur seule porte de sortie, au lieu d’interroger leur responsabilité, consiste pour le moment à diaboliser ce mouvement, à dénoncer son crypto-fascisme. Cela leur permet de prendre la posture de défenseur de la démocratie en péril, de rempart contre la barbarie et de s’héroïser une nouvelle fois.

    Cette forme de désobéissance, cette violente remise en cause des corps intermédiaires et de la démocratie représentative constituent-elles un danger ?

    Les risques sont grands et ce spontanéisme représente un réel danger social et politique. Mais on ne va quand même pas rendre responsables de la crise de la représentation démocratique les perdants de politiques orientées toutes dans le même sens depuis trente ans. Nous payons la destruction systématique du commun durant ces « Trente Calamiteuses » : violence des plans sociaux, absence d’avenir pour les nouvelles générations, poursuite folle d’une « modernisation » qui s’est traduite par le déclassement des classes moyennes. La seule chose dont on puisse être malheureusement certain, c’est du fait que les victimes des débordements ou des retours de bâton seront les plus fragiles.

    Vous avez travaillé sur la notion de sécurité (1), que pensez-vous de la réponse de l’Etat après les manifestations et les dégradations ?

    De la part, cette fois, des forces de l’ordre, on entend le même discours : « Cette violence est totalement inédite, on n’avait jamais vu ça, un tel déferlement, une telle brutalité. » Il ne faudrait pas que cette mise en avant de la « nouveauté » ne serve d’écran à une augmentation de la répression.
    Dans votre récent livre, Désobéir, vous analysiez les racines de notre « passivité ».

    Que s’est-il passé pour que les gilets jaunes sortent du « confort » du conformisme ?

    Notre obéissance politique se nourrit pour l’essentiel de la conviction de l’inutilité d’une révolte : « à quoi bon ? » Et puis vient le moment, imprévisible, incalculable, de la taxe « de trop », de la mesure inacceptable. Ces moments de sursaut sont trop profondément historiques pour pouvoir être prévisibles. Ce sont des moments de renversement des peurs. S’y inventent de nouvelles solidarités, s’y expérimentent des joies politiques dont on avait perdu le goût et la découverte qu’on peut désobéir ensemble. C’est une promesse fragile qui peut se retourner en son contraire. Mais on ne fait pas la leçon à celui qui, avec son corps, avec son temps, avec ses cris, proclame qu’une autre politique est possible.

    Sommes-nous dans un grand moment de désobéissance collective ?

    Oui, une désobéissance qui a comme repère sûr sa propre exaspération. On a tout fait depuis trente ans pour dépolitiser les masses, pour acheter les corps intermédiaires, pour décourager la réflexion critique, et on s’étonne aujourd’hui d’avoir un mouvement sans direction politique nette et qui refuse tout leadership. Cette désobéissance témoigne profondément de notre époque. Il faut en priorité en interroger les acteurs.

    (1) Le Principe sécurité, Gallimard, 2012.

    #gilets_jaunes

  • Justice sociale, justice climatique : c’est un changement de cap qu’il faut imposer - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/06/justice-sociale-justice-climatique-c-est-un-changement-de-cap-qu-il-faut-

    A l’initiative d’Attac et de la Fondation Copernic, syndicalistes, responsables associatifs et politiques, chercheur·es, universitaires ou artistes appellent à manifester pacifiquement dans la rue massivement le 8 décembre, journée de mobilisation internationale pour la justice climatique, en convergence avec la quatrième journée de mobilisation des gilets jaunes.

    J’ai signé cette tribune, et je m’y trouve en bonne compagnie...

    Tribune. Le mouvement des gilets jaunes met dans le débat public l’ensemble de la politique sociale du gouvernement. Plus largement ce sont les politiques néolibérales mises en œuvre par les gouvernements successifs depuis des décennies qui sont en cause. Fins de mois de plus en plus difficiles, précarisation toujours accrue du travail, injustice fiscale, conditions de vie qui se détériorent, telle est la situation subie par la majorité de la population. Ce qui touche en particulier les femmes, très nombreuses à se mobiliser dans ce mouvement. Dans le même temps, l’évasion fiscale n’a jamais été aussi importante et les plus riches se sont vu offrir de multiples allègements d’impôts : suppression de l’ISF, flat tax de 30 % pour les revenus du capital qui ne sont plus soumis à l’impôt progressif, baisse de l’impôt sur les sociétés… Dans ces conditions, l’augmentation des taxes sur les carburants est apparue comme « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase ».

    En dépit d’une tentative de mainmise de l’extrême droite sur le mouvement, celui-ci se caractérise par son auto-organisation horizontale et pose l’exigence d’une démocratie réelle contre une présidence autoritaire et méprisante. A l’heure où se déroule la COP 24 en Pologne et où la lutte contre le réchauffement climatique est urgente, ce mouvement met également en évidence le lien entre la question sociale et les impératifs écologiques : les plus grands pollueurs sont exonérés de tout effort, les principales causes du réchauffement climatique ne sont pas traitées, la casse des services publics et des commerces de proximité et l’étalement urbain se poursuivent, les alternatives en matière de transport en commun ne sont pas développées. Le modèle du logement social en France est en mis en péril par sa marchandisation au profit des grands groupes privés. Dans ces conditions, ce n’est certainement pas aux classes moyennes et populaires de payer la transition écologique.

    La politique du gouvernement ne répond ni à la colère sociale ni aux impératifs écologiques. Le gouvernement laisse les multinationales et les lobbys productivistes n’en faire qu’à leur tête en privilégiant toujours plus leur intérêt propre et celui de leurs actionnaires au détriment du plus grand nombre et de l’avenir de la planète. Pendant des jours, le gouvernement a campé sur une posture intransigeante, refusant le moindre geste et clamant qu’il maintenait le cap et ce, malgré le fait qu’une énorme majorité de la population soutenait ce mouvement. Cette attitude a entraîné une exaspération croissante qui a conduit à des actes de violence dont le gouvernement pouvait espérer tirer parti. Cela n’a pas été le cas et le soutien de la population est resté massif.

    Le gouvernement vient d’annoncer, entre autres, le gel, puis l’annulation de l’augmentation des taxes sur les carburants. C’est un premier recul mais c’est trop peu, trop tard, car c’est de toute la politique sociale et de ses conséquences économiques et écologiques qu’il faut discuter. Alors même que la jeunesse a décidé de se mettre en mouvement pour contester les choix éducatifs du pouvoir, c’est un changement de cap qu’il faut imposer. Pour commencer, il faut répondre aux revendications syndicales en augmentant le smic et en revenant sur le plafonnement de l’augmentation des retraites à 0,3 %, rétablir l’ISF et taxer les multinationales, dont Total, les Gafa et les banques qui financent les énergies fossiles pour investir massivement dans l’isolation thermique des bâtiments et les énergies renouvelables.

    C’est pourquoi, les soussigné·es, syndicalistes, responsables associatifs et politiques, chercheur·es, universitaires, artistes, etc., soutiennent les revendications de justice fiscale et sociale portées par le mouvement des gilets jaunes. Ils appellent la population à se mobiliser pour imposer une politique qui permette de mieux vivre, et à manifester pacifiquement dans la rue massivement le 8 décembre, journée de mobilisation internationale pour la justice climatique, en convergence avec la quatrième journée de mobilisation des gilets jaunes.

    #Gilets_jaunes #Ecologie_politique

  • (1) Gilets jaunes, verts, rouges, roses, convergeons ! - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/04/gilets-jaunes-verts-rouges-roses-convergeons_1695973
    https://medias.liberation.fr/photo/1177596-gilet-jaune-narbonne-aude-ul-myop-1005757jpg.jpg?modified_

    La hausse du prix du diesel était la goutte de trop dans l’océan des « emmerdes » et des violences du quotidien sur les chantiers, dans les usines, les Ehpad ou à Pôle Emploi. Les organisations de gauche et les inorganisés doivent se rencontrer pour fabriquer ensemble un plan Orsec d’urgence sociale.

    Gilets jaunes, verts, rouges, roses, convergeons !

    Par Jacques Bidet Philosophe Philippe Boursier Professeur de SES Patrick Chamoiseau Ecrivain Stéphanie Chevrier Editrice Laurence De Cock Historienne Annie Ernaux Ecrivaine
    Christine Delphy Féministe Mathilde Larrère Historienne
    Gérard Noiriel Historien Willy Pelletier Sociologue
    Barbara Romagnan Ex-députée

    Certains s’indignent de vitrines brisées, de voitures brûlées. Mais où est la violence, la vraie, dissimulée, perpétuelle, qui sans cesse ruine les vies ? Où est l’obscénité, l’insupportable ?

    La violence est à Pôle Emploi, aux guichets sociaux des services publics, avec des agents empêchés d’aider. Et des millions de chômeurs ou de pauvres, surtout des femmes, des jeunes, méprisés, sans prise sur l’avenir, dans l’insécurité économique ad vitam, qui ne reçoivent rien. La violence est chaque mois, quand au 12, plus un centime, carte bancaire rejetée, et qu’enflent les découverts. La violence est aux urgences des hôpitaux publics sommés d’être rentables. La violence est dans les impayés de loyer, de gaz, d’électricité, qui s’amoncellent, et les lettres de recouvrement chaque jour. La violence, elle est sur les chantiers, dans les usines, les hypermarchés. Dans l’intensification du travail. Sur un chantier, André a eu le bras broyé. René s’est fait amputer de deux doigts par sa machine. Caissière, Samia rentre chez elle cassée du dos, en CDD, avec un emploi du temps « à trous » qui l’empêche de voir sa fille. Tous pour un salaire de rien : 1 000 euros, trois restaurants pour ceux qui ne payent plus l’ISF. Depuis 1995, les maladies professionnelles ont plus que doublé, les salaires, les retraites, dégringolent, les droits au travail ont été cassés, les profits flambent et ne sont plus imposés quasiment. Ce sont des chiffres ? Non, ce sont des vies. Des vies de douleurs, d’angoisses. Des vies où se soigner devient difficile, car il faut payer de sa poche les forfaits et franchises, les dépassements d’honoraires, les médicaments plus remboursés, les mutuelles qui augmentent. La violence, ce sont les cantines des enfants impossibles à régler, les Ehpad sans secours. Dans certains clubs de judo dans l’Aisne, la cotisation est de 20 euros, un tiers des parents demandent à payer en trois fois. Le prix du diesel est cette goutte de trop dans l’océan des « emmerdes » et des mépris reçus.

    La violence est dans les phrases du Président des riches : « Traverse la rue pour trouver un job », « Apprends à te nourrir tout seul », « Pognon de dingue des aides sociales », et tellement d’autres. La violence est dans les inégalités criantes, partout, inégalités fiscales, inégalités à l’école, inégalités entre « beaux quartiers » et territoires abandonnés.

    Nous appelons les organisations de gauche et les inorganisés à se rencontrer, nous appelons certains à une trêve électorale, pour fabriquer ensemble un plan d’urgence sociale qui permettra aux salariés, aux précaires, aux retraités, aux locataires qui galèrent, aux étudiants pauvres, d’exister avec les moyens qu’il faut. Alors que l’argent dans ce pays ruisselle, mais du bas vers le haut, des pauvres vers les plus riches. Un plan Orsec d’urgence sociale. Vite. Avant d’être plus ambitieux, de rebâtir l’Etat social. Il est temps de converger, plus que temps vraiment, ou bien nous servons à quoi ?

    #Gilets_jaunes

  • Un peuple vient ?
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/05/un-peuple-vient_1695935

    Le mouvement des gilets jaunes s’invente en avançant. Quelles seront ses valeurs cardinales : l’identité, qui voit les migrations comme un danger ? Ou l’égalité, qui insiste sur la précarité de toutes les « classes populaires », y compris les migrants ?

    Par Gérard Bras, philosophe

    Le mouvement des gilets jaunes s’invente en avançant. Quelles seront ses valeurs cardinales : l’identité, qui voit les migrations comme un danger ? Ou l’égalité, qui insiste sur la précarité de toutes les « classes populaires », y compris les migrants ?

    Un peuple vient ?

    Le mouvement des gilets jaunes s’est développé en deux temps au moins : parti lentement, sans dirigeants mais non sans orientation, assorti des hésitations des partis et mouvements politiques « représentatifs », ainsi que des syndicats, il devient depuis deux semaines un phénomène politique central. Ouvre-t-il une crise politique ? Il est trop tôt pour le dire : la dramatisation, avec la mise en scène d’un face-à-face Macron/Le Pen ressortit manifestement à la stratégie du gouvernement. Ce qui se joue est donc immanent au mouvement en train de se développer avec ce trait inhérent à tous les mouvements politiques, qui désoriente le commentateur : la direction s’invente en avançant. On l’a bien vu : la revendication initiale s’est augmentée, jusqu’à se concentrer sur un « Macron démission » dont personne ne sait trop quoi dire ou faire.

    Dans son discours à la conférence des ambassadeurs, le président de la République parlait, comme d’une « bonne chose », du « retour des peuples », réagissant à une mondialisation qui n’aurait pas su « réguler les dérives qui lui sont propres ». Dans sa bouche, il s’agissait d’expliquer ce que les politistes nomment d’un terme fourre-tout, « populismes ». Aujourd’hui, il le prend en pleine figure et s’efforce de le mettre en scène pour mieux imposer sa politique antipopulaire.

    Exigence d’égale dignité

    Que révèle ce mouvement ? Beaucoup de choses ont été dites, les plus fortes sans doute par l’historien Gérard Noiriel. Je ne veux pas répéter. Seulement proposer un peu d’histoire et un éclairage théorique. L’histoire montre comment « peuple » ou « populaire » ont été des mots du mépris social. La faute à Rousseau ? Le citoyen de Genève avait ce sentiment qui lui permettait de saisir que « peuple » n’est pas un concept objectif, mais d’abord le nom d’une expérience affective qui oppose dominants et dominés : « Il est naturel qu’on fasse bon marché des hommes qu’on méprise. Ne vous étonnez donc plus si les politiques parlent du peuple avec tant de dédain, ni si la plupart des philosophes affectent de faire l’homme méchant. » (1)

    Peu avant la Révolution, le peuple se forme par ce mépris et, ce que politiques et philosophes oublient, par la réaction à ce mépris, l’affirmation d’égale dignité, parce que « l’homme est le même dans tous les états ». Il suffit de regarder les slogans peints ou affichés aux carrefours bloqués ou d’écouter les gilets jaunes invités ici et là pour entendre cette exigence d’égale dignité après des années de matraquage idéologique sur l’incapacité des couches populaires à comprendre ouverture, mondialisation, compétition, rentabilité etc. Comment ces élites autoproclamées ont-elles pu croire à l’incompréhension alors que ces mots étaient les noms qu’ils donnaient au chômage, à la diminution du pouvoir d’achat, à la précarisation ressentis dans la chair de la vie quotidienne ? Le complexe du maître d’école, symptôme de la position de maîtrise, les a aveuglés : la seule autocritique qu’ils admettent est leur faiblesse pédagogique… La réaction de fierté à laquelle nous assistons est, en ce sens, salutaire. Suffira-t-elle ?

    S’unifier en peuple

    Bien sûr que non. Un peuple vient sans doute, qui sait ce qu’il refuse. Mais au sein de la multitude qui se lève, plusieurs manières de faire peuple se dessinent manifestement. Ce qui apparaît depuis deux semaines affirme l’exigence d’égalité, enveloppant une diversité de catégories socio-professionnelles. Ce serait un autre « retour du peuple » que celui évoqué par Macron. Pas un « retour », plutôt une nouvelle venue, parce qu’un peuple se forme politiquement dans un conflit au cours duquel le sens du mot est lui-même un enjeu. Il n’y a pas « le peuple » et « les élites », mais des dominants, qui conjuguent dominations économique et symbolique, et une multitude qui se bat pour desserrer leur étau et s’unifier en peuple. Le risque est clair : soit cette unification s’opère sous les termes de l’identité, en mettant au centre les migrations comme danger principal, soit elle s’opère sous ceux de l’égalité en mettant en avant la précarisation qui touche toutes les « classes populaires », incluant les migrants. Sans doute sommes-nous à la croisée des chemins. Je ne pensais pas, il y a un mois, que cette revendication populaire d’annulation d’une taxe sur les carburants prenne cette voie qui peut devenir démocratique. Que ces remarques puissent y aider, tel est mon souhait.

    Pour ne pas conclure, disons, avec Rousseau, encore : « Le peuple se montre tel qu’il est, et n’est pas aimable ; mais il faut bien que les gens du monde se déguisent : s’ils se montraient tels qu’ils sont, ils feraient horreur. »

    #gilets_jaunes

  • Cette colère des gilets jaunes est le résultat de vingt ans de politiques néolibérales - Libération

    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/03/cette-colere-des-gilets-jaunes-est-le-resultat-de-vingt-ans-de-politiques

    La mobilisation des classes populaires et moyennes est due aux mesures d’austérité, incluant modération salariale et désengagement de l’Etat. La solution : changer de cap en conjuguant défi écologique et question sociale.

    Cette colère des gilets jaunes est le résultat de vingt ans de politiques néolibérales

  • "Gilets jaunes" : une entreprise de Brionne bloquée car elle emploie des étrangers

    Ce samedi 24 novembre, des gilets jaunes ont bloqué les camions de l’entreprise Rayan-S installée à Brionne, dans l’Eure, car elle embauche des #étrangers. L’un des manifestants a même menacé d’incendier la société.

    https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/gilets-jaunes-une-entreprise-de-brionne-bloquee-car-elle-emploie-un-migra

    #racisme #xénophobie #dérives #gilets_jaunes #anti-étrangers
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