• Un peuple vient ?
    https://www.liberation.fr/debats/2018/12/05/un-peuple-vient_1695935

    Le mouvement des gilets jaunes s’invente en avançant. Quelles seront ses valeurs cardinales : l’identité, qui voit les migrations comme un danger ? Ou l’égalité, qui insiste sur la précarité de toutes les « classes populaires », y compris les migrants ?

    Par Gérard Bras, philosophe

    Le mouvement des gilets jaunes s’invente en avançant. Quelles seront ses valeurs cardinales : l’identité, qui voit les migrations comme un danger ? Ou l’égalité, qui insiste sur la précarité de toutes les « classes populaires », y compris les migrants ?

    Un peuple vient ?

    Le mouvement des gilets jaunes s’est développé en deux temps au moins : parti lentement, sans dirigeants mais non sans orientation, assorti des hésitations des partis et mouvements politiques « représentatifs », ainsi que des syndicats, il devient depuis deux semaines un phénomène politique central. Ouvre-t-il une crise politique ? Il est trop tôt pour le dire : la dramatisation, avec la mise en scène d’un face-à-face Macron/Le Pen ressortit manifestement à la stratégie du gouvernement. Ce qui se joue est donc immanent au mouvement en train de se développer avec ce trait inhérent à tous les mouvements politiques, qui désoriente le commentateur : la direction s’invente en avançant. On l’a bien vu : la revendication initiale s’est augmentée, jusqu’à se concentrer sur un « Macron démission » dont personne ne sait trop quoi dire ou faire.

    Dans son discours à la conférence des ambassadeurs, le président de la République parlait, comme d’une « bonne chose », du « retour des peuples », réagissant à une mondialisation qui n’aurait pas su « réguler les dérives qui lui sont propres ». Dans sa bouche, il s’agissait d’expliquer ce que les politistes nomment d’un terme fourre-tout, « populismes ». Aujourd’hui, il le prend en pleine figure et s’efforce de le mettre en scène pour mieux imposer sa politique antipopulaire.

    Exigence d’égale dignité

    Que révèle ce mouvement ? Beaucoup de choses ont été dites, les plus fortes sans doute par l’historien Gérard Noiriel. Je ne veux pas répéter. Seulement proposer un peu d’histoire et un éclairage théorique. L’histoire montre comment « peuple » ou « populaire » ont été des mots du mépris social. La faute à Rousseau ? Le citoyen de Genève avait ce sentiment qui lui permettait de saisir que « peuple » n’est pas un concept objectif, mais d’abord le nom d’une expérience affective qui oppose dominants et dominés : « Il est naturel qu’on fasse bon marché des hommes qu’on méprise. Ne vous étonnez donc plus si les politiques parlent du peuple avec tant de dédain, ni si la plupart des philosophes affectent de faire l’homme méchant. » (1)

    Peu avant la Révolution, le peuple se forme par ce mépris et, ce que politiques et philosophes oublient, par la réaction à ce mépris, l’affirmation d’égale dignité, parce que « l’homme est le même dans tous les états ». Il suffit de regarder les slogans peints ou affichés aux carrefours bloqués ou d’écouter les gilets jaunes invités ici et là pour entendre cette exigence d’égale dignité après des années de matraquage idéologique sur l’incapacité des couches populaires à comprendre ouverture, mondialisation, compétition, rentabilité etc. Comment ces élites autoproclamées ont-elles pu croire à l’incompréhension alors que ces mots étaient les noms qu’ils donnaient au chômage, à la diminution du pouvoir d’achat, à la précarisation ressentis dans la chair de la vie quotidienne ? Le complexe du maître d’école, symptôme de la position de maîtrise, les a aveuglés : la seule autocritique qu’ils admettent est leur faiblesse pédagogique… La réaction de fierté à laquelle nous assistons est, en ce sens, salutaire. Suffira-t-elle ?

    S’unifier en peuple

    Bien sûr que non. Un peuple vient sans doute, qui sait ce qu’il refuse. Mais au sein de la multitude qui se lève, plusieurs manières de faire peuple se dessinent manifestement. Ce qui apparaît depuis deux semaines affirme l’exigence d’égalité, enveloppant une diversité de catégories socio-professionnelles. Ce serait un autre « retour du peuple » que celui évoqué par Macron. Pas un « retour », plutôt une nouvelle venue, parce qu’un peuple se forme politiquement dans un conflit au cours duquel le sens du mot est lui-même un enjeu. Il n’y a pas « le peuple » et « les élites », mais des dominants, qui conjuguent dominations économique et symbolique, et une multitude qui se bat pour desserrer leur étau et s’unifier en peuple. Le risque est clair : soit cette unification s’opère sous les termes de l’identité, en mettant au centre les migrations comme danger principal, soit elle s’opère sous ceux de l’égalité en mettant en avant la précarisation qui touche toutes les « classes populaires », incluant les migrants. Sans doute sommes-nous à la croisée des chemins. Je ne pensais pas, il y a un mois, que cette revendication populaire d’annulation d’une taxe sur les carburants prenne cette voie qui peut devenir démocratique. Que ces remarques puissent y aider, tel est mon souhait.

    Pour ne pas conclure, disons, avec Rousseau, encore : « Le peuple se montre tel qu’il est, et n’est pas aimable ; mais il faut bien que les gens du monde se déguisent : s’ils se montraient tels qu’ils sont, ils feraient horreur. »

    #gilets_jaunes

  • "Gilets jaunes" : une entreprise de Brionne bloquée car elle emploie des étrangers

    Ce samedi 24 novembre, des gilets jaunes ont bloqué les camions de l’entreprise Rayan-S installée à Brionne, dans l’Eure, car elle embauche des #étrangers. L’un des manifestants a même menacé d’incendier la société.

    https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/gilets-jaunes-une-entreprise-de-brionne-bloquee-car-elle-emploie-un-migra

    #racisme #xénophobie #dérives #gilets_jaunes #anti-étrangers
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