• La sonde New Horizons poursuit sa visite des confins du Système solaire
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/31/la-sonde-new-horizons-poursuit-sa-visite-des-confins-du-systeme-solaire_5403


    Ultima Thulé, dans la ceinture de Kuiper.
    AP/NASA

    Cependant, la mission de #New_Horizons n’était pas terminée. Voilà que la sonde, désormais à 6,5 milliards de kilomètres de nous, resurgit pour le premier jour de 2019 où elle a survolé un petit astre glacé que la #NASA a baptisé #Ultima_Thulé, en référence au nom de Thulé que le navigateur massaliote Pythéas avait attribué, au IVe siècle av. J.-C., à la contrée la plus septentrionale de l’Europe.
    Le nom officiel de cet objet céleste d’une trentaine de kilomètres de diamètre est 2014 MU69. Il s’agit de l’un des milliers de corps qui occupent ce que les spécialistes nomment la ceinture de Kuiper, du nom de l’astronome néerlando-américain Gerard Kuiper (1905-1973) qui, le premier, suggéra l’existence, au-delà de l’orbite de Neptune, d’une zone peuplée d’astres froids et modestes en taille.
    […]
    Mardi 1er janvier, à 6 h 33 (heure de Paris), l’émissaire robotisé de la NASA, filant dans l’espace à près de 51 000 km/h, passera à 3 500 km d’Ultima Thulé, dont on sait déjà qu’il s’agit d’un objet de forme allongée, cette information ayant été obtenue en le regardant occulter une étoile.
    […]
    Dans une déclaration publiée par le Guardian, Alan Stern, le responsable de la mission, explique qu’il faudra « environ vingt mois pour récupérer les données » enregistrées lors du survol du 1er janvier. Et il pense déjà à la suite. La sonde a encore du carburant, ses instruments sont opérationnels, sa batterie nucléaire peut lui fournir de l’électricité pendant des années. Mais aucune nouvelle cible n’est en vue… Cette fois-ci, New Horizons pourrait bien poursuivre sa course vers nulle part.

  • Patrimoine scientifique : ces instruments sauvés de l’oubli
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/18/patrimoine-scientifique-ces-instruments-sauves-de-l-oubli_5399475_1650684.ht

    La science condamne à l’obsolescence les instruments qui lui permettent de progresser. Cet héritage, souvent menacé, est protégé par des passionnés et des institutions. Petit échantillon de machines oubliées, dont la forme et la fonction nous intriguent aujourd’hui.

    Un déménagement, la livraison d’une nouvelle machine, quoi de plus banal dans la vie d’un laboratoire scientifique ? Mais que faire des anciens instruments que l’on n’utilise plus ? Au mieux, ils moisissent dans quelque sous-sol, au pire ils disparaissent, jetés à la benne. Une pratique qui ne date pas d’hier : certains physiciens se désolent encore de la perte de centaines de magnifiques instruments d’optique en laiton et bois précieux lors du déménagement des laboratoires de la Sorbonne vers la toute nouvelle université de Jussieu dans les années 1960.

    Pourtant, au-delà de leur beauté, ces instruments scientifiques démodés sont de précieux témoins des évolutions des sciences et des techniques. Des amateurs passionnés et quelques institutions tentent de les préserver. Parmi les premiers, Christian Durix est l’organisateur de Bricasciences, un « salon des curiosités et antiquités scientifiques », qui se tient chaque automne à Bures-sur-Yvette (Essonne). On y trouve les objets les plus insolites, comme un appareil d’électrothérapie destiné à soigner le patient en lui envoyant des décharges électriques. « Ce salon a un double but : préserver le patrimoine et inciter aux vocations scientifiques, expose-t-il. Tous ces objets ont une histoire, on sent encore la main de leur inventeur ou de leur fabricant. Ces objets sont une clé d’entrée vers la science. Mais, dans certains cas, on ne comprend déjà plus à quoi ils servaient. » Hélas, la plupart des collectionneurs sont vieillissants, et la relève se fait attendre.

    « Mais que faire des anciens instruments que l’on n’utilise plus ? Au mieux, ils moisissent dans quelque sous-sol, au pire ils disparaissent, jetés à la benne »

    Heureusement, la sauvegarde du patrimoine scientifique ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des passionnés. C’est même l’une des missions du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), de « sensibiliser les laboratoires au fait qu’ils possèdent un patrimoine », souligne Cyrille Foasso, responsable des collections d’instruments scientifiques. Une sensibilisation plutôt réussie, puisque des dizaines de particuliers, entreprises et laboratoires contactent chaque année le conservatoire lorsqu’ils pensent détenir un objet scientifique à intérêt patrimonial. Mais seule une minorité de ces objets intégrera les collections. « Nous choisissons les instruments qui racontent l’histoire d’un métier, d’une technique, d’un passé industriel ou d’un fabricant », précise Cyrille Foasso. La beauté n’est pas un critère, mais le caractère unique d’un appareil, si. Tel ce calculateur analogique donné par la société Matra, un ordinateur répandu dans les années 1960, que plus personne ne sait utiliser aujourd’hui. Mais la place manque, et les choix sont cruels : c’est « le Panthéon ou la poubelle ! », résume Cyrille Foasso. D’autant qu’un objet qui entre dans la collection d’un musée peut difficilement être déclassé. Les choix engagent pour longtemps.

    D’autres acteurs comme les universités doivent aujourd’hui prendre le relais et sauvegarder leur passé scientifique et technologique. C’est ce qu’a fait l’Ecole polytechnique, qui a inauguré, en mai dernier, Mus’X, un musée retraçant plus de deux cents ans de recherche et d’enseignement. Près de 1 000 mètres carrés abritent une exposition temporaire chaque année (aujourd’hui consacrée au mathématicien Gaspard Monge) et une exposition permanente. Les appareils d’optique ou de magnétisme y côtoient les uniformes de polytechniciens et les lettres de scientifiques en Egypte avec Napoléon. Bien sûr, un tel musée a un coût : 2,2 millions d’euros, financé en grande partie par un appel au mécénat auprès d’anciens polytechniciens.

    Même avec peu de financements, il arrive que le patrimoine scientifique soit sauvé grâce à quelques passionnés. A l’université de Rennes, deux enseignants-chercheurs en physique, Dominique Bernard et Jean-Paul Taché, ont patiemment récupéré, rénové et inventorié les instruments oubliés dans les caves ou jetés. Un millier d’objets, essentiellement de la seconde moitié du XIXe siècle, ont ainsi été sauvegardés, et parfois remis en état de fonctionnement. Les plus beaux viennent de faire l’objet d’un livre, Un trésor scientifique redécouvert (éd. Rennes en science, 255 pages, 23 euros, sur commande), de Dominique Bernard. Mais cette collection, conservée dans une galerie au sous-sol d’un bâtiment de l’université, n’est accessible qu’à quelques occasions, faute de lieu public et de personnel pour l’exposer. Car mettre à l’abri ne suffit pas. « Il faut faire vivre ces objets, créer des animations qui racontent leur histoire », estime Christian Durix. La science progresse chaque jour, mais ne doit pas en oublier son passé.

    La sphère céleste

    Richement ouvragée, cette sphère céleste, dite sphère de Bürgi, a été construite par l’horloger et fabricant d’instruments scientifiques suisse Jost Bürgi en 1580. Il était également ­mathématicien et l’astronome officiel du comte Guillaume IV de Hesse-Cassel, avant de se mettre au service de l’empereur Rodolphe II à Prague, où il travailla avec Kepler. Cette sphère, chef-d’œuvre de l’orfèvrerie de style Renaissance allemande, ­illustre la vision de l’époque de l’Univers, héritée des Grecs : la Terre est située au centre et entourée par les constellations. L’ensemble reproduit les principaux mouvements célestes tels qu’on les voit depuis la Terre. La sphère est mobile, elle effectue un tour complet en une journée. C’est avant tout une ­horloge qui donne l’heure, les ­minutes, sonne les quarts d’heure. Elle comporte un ­calendrier perpétuel qui précise même les années bissextiles.

    L’électroscope de Curie

    Cet instrument porte un nom ô combien prestigieux : « Electroscope de M. P Curie/Sté Centrale Matériel Scientifique/44 rue des Ecoles, Paris » indique l’inscription gravée à l’intérieur. Il s’agit d’un électroscope, un appareil ­inventé par l’abbé Nollet en 1750, destiné à mesurer la charge électrique d’objets. Son principe : deux feuilles métalliques très fines – souvent de l’or – sont ­suspendues à une électrode. Lorsque ces feuilles se chargent électriquement, elles se repoussent. Mesurer leur séparation permet d’en déduire la charge. Pierre ­Curie a adapté cet instrument pour déterminer le taux de radioactivité d’une substance. En effet, les rayonnements ­radioactifs ionisent les gaz de l’air, les rendant conducteurs. En présence d’un objet radioactif disposé sur un plateau ajouté à l’électroscope, les feuilles métalliques perdent leurs charges électriques, d’autant plus vite que l’air est très ionisé (donc d’autant plus vite que l’objet est radioactif). Il suffit de mesurer la vitesse à laquelle les feuilles métalliques se rapprochent, à l’aide d’une lunette microscopique et d’un chronomètre, pour ­connaître la radioactivité. C’est l’ancêtre des ­compteurs Geiger !

    Le gyroscope de Foucault

    On connaît le pendule de Foucault, dont un des exemplaires est présenté au Panthéon, et qui permet de visualiser la rotation de la Terre. Mais ce n’est pas le seul dispositif imaginé par Léon Foucault (1819-1868). Ce ­gyroscope sert lui aussi, comme le pendule, à montrer que la Terre tourne sur elle-même. Son principe : c’est une toupie, dont la roue tourne très vite (de 150 à 200 tours par minute), créant un effet étonnant : la toupie reste dans sa position, même instable, comme si elle n’était plus soumise à son poids. Cet effet est dû à la conservation du moment angulaire, une loi fondamentale de la physique. Mais, en fait, le gyroscope n’est pas tout à fait immobile dans notre référentiel Terre : la Terre tourne, mais notre gyroscope est ­immobile par rapport aux étoiles fixes, et on observe donc un léger mouvement de rotation du gyroscope à condition de mesurer suffisamment longtemps (une dizaine de minutes suffisent). Ce ­gyroscope a été fabriqué par la maison Gustave Froment, fondée en 1844. Aujourd’hui, de nombreux smartphones sont équipés de gyroscopes, très utiles pour les jeux.

    Le diapason de Koenig

    Seriez-vous capable d’entendre les sons émis par ce diapason géant de 1,30 mètre de hauteur ? Tout dépend de votre âge. En effet, ce diapason crée des sons à des fréquences variables entre 16 et 32 hertz, à la limite de l’audition humaine des sons graves. Or, si les jeunes entendent généralement à partir de 20 hertz (et jusqu’à 20 000 hertz dans les aigus), cette capacité diminue avec l’âge. Ce diapason a été construit par Rudolf ­Koenig, un physicien allemand spécialisé en acoustique (1832-1901), qui a notamment été l’élève du célèbre luthier français Jean- Baptiste Vuillaume. Ce diapason a la particularité d’être réglable : à l’aide de poids que l’on déplace sur ses branches, on modifie la fréquence de vibration. Plus les masses sont hautes, plus les branches vibrent lentement, et plus le son est grave. Rudolf Koenig a construit d’autres instruments acoustiques, comme des résonateurs de Helmoltz, permettant de dire si une fréquence est présente dans un son (elle fait alors résonner ces résonateurs, qui sont des sortes de sphères en laiton d’une fréquence propre bien précise). Il a également inventé un étonnant « analyseur harmonique à flamme », où les vibrations sonores renforcées par les résonateurs de Hermoltz mettent de l’air en mouvement, ce qui agite une flamme. On peut ainsi réellement visualiser les différents sons selon leur fréquence !

    Les bâtonnets de Neper

    Bâtonnets de Neper, bâton de Napier, ­réglette de Neper… cette invention possède de multiples appellations, à l’instar de son concepteur, le mathématicien et physicien écossais John Napier (1550-1617), connu sous le nom de Jean Neper en français. Ces bâtonnets servent à effectuer facilement des multiplications, des divisions, des ­calculs de puissances et même de racines carrées. C’est l’année de sa mort, en 1617, que John Napier publie un ouvrage intitulé Rabdologie, dans lequel il explique comment calculer à l’aide de ces bâtonnets. Ceux-ci sont gravés de nombres et disposés sur un plateau. En haut du bâtonnet est ­indiqué le nombre principal et, en dessous, tous les nombres de sa table de multiplication. Ainsi, le bâtonnet 8 comporte les nombres 16, 24, 32, etc. Pour une multiplication par un nombre à un chiffre, la lecture ­s’effectue directement, mais il faut faire quelques additions en plus pour les multiplications plus complexes. Ce système de calcul sera peaufiné au XIXe siècle, grâce à l’introduction de bâtonnets inclinés, ­facilitant la lecture. Ces bâtonnets de Neper font partie de la grande famille des abaques, les instruments mécaniques facilitant le calcul, dont le plus connu est le boulier. Même si les abaques sont ­toujours utilisés, ils ont été détrônés par les moyens automatiques de calcul, nés avec la Pascaline, la machine à calculer de Blaise Pascal, en 1646.

    Le goniomètre à cercle divisé

    Cet appareil, comme tous les goniomètres, sert à mesurer les angles. Il a été construit par les frères Emile (1834-1895) et Léon Brünner (1840-1894), fabricants parisiens d’instruments astronomiques et de cartographie. Il permet de mesurer très précisément les angles des cristaux, et la manière dont ils dévient ou réfléchissent la lumière. On peut en déduire de nombreuses propriétés, comme la longueur d’onde d’une lumière, l’indice de diffraction d’un cristal (sa capacité à dévier la lumière) ou l’épaisseur d’une lamelle de cristal. Il est composé d’un collimateur qui permet d’obtenir un faisceau de rayons de lumière parallèles, d’une ­lunette de visée et d’une plate-forme sur laquelle on place le cristal. Ces trois dispositifs tournent autour d’un même axe vertical. Un cercle muni de graduations (d’où le nom de goniomètre à cercle divisé) et deux oculaires permettent d’observer précisément ces graduations. On atteignait ainsi une grande précision : il était possible de mesurer des angles de 2 secondes d’arc (2/3600 degrés) avec une précision de 0,2 seconde d’arc.

    La machine à calculer universelle

    Cette machine à calculer universelle est un prototype développé par Louis Couffignal, mathématicien français (1902-1966). Mais sa production industrielle ne verra jamais le jour. Pourtant, Couffignal est un de ceux qui défendent le système binaire, aujourd’hui utilisé dans tous les ordinateurs, au détriment du système décimal. A la tête du Laboratoire de calcul mécanique de l’Institut Blaise-Pascal du CNRS à Paris, il reçoit pour mission de réaliser une « machine universelle », c’est-à-dire le premier ­ordinateur français. Cette maquette expérimentale réalisée entre 1947 et 1952 se heurte à plusieurs difficultés, notamment celle de l’approvisionnement en composants suffisamment fiables, et le manque de chercheurs formés. Mais surtout, Louis Couffignal confie la réalisation du calculateur à la société Logabax, qui connaît à ce moment de grandes difficultés financières et renonce à cette fabrication. Aucun constructeur ne souhaite prendre le relais, et le projet est définitivement abandonné en 1953. Le CNRS se cantonne dès lors aux mathématiques appliquées pour le calcul électronique, et ne s’occupe plus de construction de machines.

    L’œuf électrique

    L’œuf électrique permet de reproduire des aurores boréales en laboratoire. Conçu en 1862 par le savant genevois Auguste de La Rive ­(1801-1873), il est généralement constitué d’une sphère de verre munie d’un ­robinet permettant de faire le vide. Celui-ci, construit avant 1864 par le Suisse Eugen Schwerd, comporte deux sphères. A l’intérieur de chaque œuf figure une tige en fer doux, reliée à une bobine d’induction qui produit des décharges électriques lumineuses. Auguste de La Rive observe que, si l’on aimante la tige de fer, les décharges forment un anneau ­coloré semblable à une aurore boréale, qui se déplace dans un sens ou dans l’autre selon la direction du courant dans la tige de fer. Tous les ­travaux sur œufs électriques, débutés par l’Anglais Francis Hauksbee (1666-1713), puis l’abbé Nollet (1700-1770) en France et ­l’Anglais ­Humphry Davy ­(1778-1829), ont permis l’émergence, quelques décennies plus tard, de nos ampoules électriques.

  • Face aux enfants tyrans, des parents en détresse se forment à la non violence
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/11/face-aux-enfants-tyrans-la-resistance-non-violente_5395979_1650684.html

    Au CHU de Montpellier, un programme inspiré de Gandhi aide les parents à désamorcer les comportements agressifs de leur enfant.

    « Mon fils, il se sent propriétaire de la maison, c’est comme si c’était nous qui vivions chez lui. Il voit déjà comment déshériter sa sœur, mettre des appartements en location… », raconte une femme, dont la lassitude perce dans la voix. « Ma fille, c’est un peu pareil. Elle dit : “c’est Ma partie de canapé. Mon chat. Mon assiette.” Si je veux entrer dans sa chambre, elle m’attaque », soupire une autre.
    Dans une grande salle de réunion du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Saint-Eloi, au CHU de Montpellier, ils sont une dizaine, femmes seules ou couples. Devant chacun, une étiquette avec un prénom, celui de leur enfant, devenu pour certains leur « bourreau ». « C’est sa chambre, mais c’est aussi chez vous, rebondit le docteur Nathalie Franc, praticien hospitalier, qui coanime cette réunion. Les parents doivent reprendre leur territoire, et c’est pour cela que faire un sit-in dans la chambre de l’enfant est intéressant. C’est un moyen pacifiste de dire : je suis là, je n’ai pas peur. »
    Hiérarchie familiale inversée

    « Reprendre le territoire », mais aussi « présence parentale », « réseau de soutien », « réagir à froid »… Autant de mots-clés avec lesquels ces parents apprennent ici à se familiariser. Depuis des mois, voire des années, ils avaient vu la hiérarchie familiale s’inverser, leur enfant ou adolescent prendre le pouvoir par la violence, les menaces, les manipulations. Ces familles sans antécédent de problème éducatif ont souffert le plus souvent dans le secret, d’autant plus facile à garder que les comportements tyranniques de ces jeunes sont en général ­concentrés au sein de la famille, et quasi inexistants à l’extérieur.
    Depuis six semaines, chaque jeudi à l’heure du déjeuner, ils se retrouvent pour une séance de groupe d’une heure trente, animée par Nathalie Franc et Florence Pupier, une autre pédopsychiatre du service.

    Objectif de ce program­me, quasi unique en France : désamorcer la violence, éviter l’escalade, et reprendre l’autorité grâce à une approche de résistance non violente (RNV). Inspiré des actions politiques de Gandhi et de Martin Luther King, le concept a été décliné et validé pour des jeunes violents ou autodestructeurs par le psychothérapeute israélien Haim Omer. Depuis trois ans, l’équipe de Montpellier l’a adapté pour des accompagnements parentaux en groupe, en treize séances. Une étude scientifique est en cours sur une soixantaine de familles, avec une comparaison sur un groupe témoin placé sur liste d’attente.

    Dans les premières séances, les deux animatrices ont donné beaucoup d’informations sur ce phénomène méconnu des enfants tyrans, posé les bases de la stratégie RNV. « Si on ne prend pas ce temps, ils ont l’impression que l’anxiété de l’enfant ou d’autres troubles psychologiques peuvent excuser son comportement. Il faut bien expliquer qu’aucun diagnostic ne justifie la violence de l’enfant », souligne Nathalie Franc.

    L’une des premières actions consiste en une déclaration solennelle, où les parents signifient au principal intéressé qu’ils ne vont plus tolérer ses comportements et vont – c’est l’un des points fondamentaux de la méthode – se faire aider d’un réseau de soutien.

    Avant d’aborder le menu du jour, la gestion des crises et le réseau de soutien, Florence Pupier et Nathalie Franc demandent aux participants ce qu’ils ont pu ou pas mettre en place depuis la précédente séance. Certains prendront souvent la parole, d’autres resteront mutiques. Tous n’en sont pas au même stade. Une maman n’a pas commencé, car « il faut trouver un moment où il n’a pas les écouteurs sur la tête ». Un couple dit avoir « préparé psychologiquement » son fils à la déclaration, mais qu’il n’était « pas content ». « Et vous, vous vous êtes sentis comment ? », interroge Florence Pupier. « J’ai réussi à mieux éviter l’escalade de la violence, mais maintenant le numéro trois recopie son frère. En tout cas j’évite de rentrer dans des discussions interminables », raconte la mère. « Désormais, elle gère mieux les crises que moi », acquiesce son mari. Plus tard dans la séance, il reconnaîtra qu’il en était arrivé à frapper son garçon, en se retenant pour ne pas y mettre les poings.

    Perte de contrôle

    A chaque occasion, les deux animatrices décryptent les mécanismes, rappellent les conseils fondamentaux du programme. Puis Florence Pupier fait un topo sur les crises émotionnelles. « Quand une crise a commencé, c’est trop tard, on ne peut plus raisonner l’enfant. L’idée, c’est de ne pas rester dans le rôle du punching-ball, sinon c’est comme s’il vous invitait à un match de boxe », explique-t-elle. « Ils ont perdu le contrôle et cherchent à ce que le parent se mette en crise lui aussi. La seule stratégie, à ce moment-là, c’est de se mettre à l’écart, voire de partir de la maison », complète Nathalie Franc.

    En fin de journée, les deux médecins passeront une heure à faire le bilan de la séance. Si elles connaissent bien les situations, elles n’ont pas toujours vu ces enfants tyrans en consultation, ceux-ci refusant souvent un suivi médical. La prise en charge et le contexte sont assez différents des émissions de télé-réalité comme « Super Nanny » ou « Ma famille a besoin d’aide ». « Ce sont des émissions intéressantes, mais qui axent sur le tout-éducatif, sans prendre en compte la vulnérabilité psychologique sous-jacente des enfants, pointe le docteur Franc. En outre, le profil n’est pas le même : dans ces deux programmes, ce sont souvent des familles avec des carences éducatives, ce qui n’est pas le cas avec les enfants tyrans. »
    Selon la pédopsychiatre, qui a une expérience sur 150 familles, tous ont des troubles psychologiques, même si un diagnostic précis n’est pas toujours posé.

    « Il y a souvent un trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), une anxiété. Ces enfants, souvent issus de milieux favorisés, font de gros efforts pour s’adapter à l’extérieur et explosent en rentrant à la maison. »

    Quasiment seule en France à proposer ces prises en charge pour ces situations dont la prévalence reste inconnue, l’équipe de Montpellier croule sous les demandes. « Si les résultats de notre étude sont positifs, cela nous donnera des moyens et de la crédibilité pour que d’autres équipes nous suivent », pronostique Nathalie Franc.
    De façon générale, l’implication des familles est l’une des marques de fabrique de ce service dirigé par la professeure Diane Purper-Ouakil. « On lutte pour positionner les parents et travailler avec eux », insiste la pédopsychiatre, dont l’équipe propose des programmes d’entraînement aux habiletés parentales validés comme la métho­de Barkley pour le TDAH, et plus récemment « Incredible Years », une stratégie destinée aux parents d’enfants (de 3 à 6 ans) avec des troubles du comportement. Des projets de recherche sont aussi en cours pour développer des programmes innovants.