• Hôpital public : la cote d’alerte
    https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/12/25/hopital-public-la-cote-d-alerte_5402017_1651302.html

    Analyse. Non-remplacement de départs à la retraite, redéploiement de personnels… La recette des hôpitaux publics pour juguler leurs déficits et récupérer des marges de manœuvre financières est connue de longue date. Mais après des années de mise en œuvre, la potion est devenue trop amère pour les soignants. « Nous sommes arrivés à un point insupportable, écrit la neurologue Sophie Crozier dans une tribune à Libération, le 19 décembre. Nous abîmons nos hôpitaux, nous abîmons les gens, et je ne peux me résigner à voir l’hôpital couler ainsi… »

    Et la situation pourrait se tendre davantage ces prochaines années. Pour répondre à des déficits qui devraient atteindre cette année entre 1,1 et 1,3 milliard d’euros, les plans de suppressions de postes se multiplient. Dans les hôpitaux de Marseille, Nancy et Tours, des centaines d’emplois sont sur la sellette. A Cherbourg, l’hôpital pourrait devoir économiser 190 équivalents temps plein d’ici à 2022, soit 10 % du total de ses effectifs.

    Après avoir réduit 405 postes équivalents temps plein cette année, l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) a annoncé, fin novembre, que 779 postes non médicaux (dont 240 dans les services de soins) allaient être supprimés en 2019 au sein de ses 39 établissements. « Une diminution des effectifs de nature à compromettre la bonne exécution des missions de service public hospitalier », a estimé le conseil de surveillance de l’AP-HP le 17 décembre. « On ne peut pas baisser les effectifs de soignants » car « ces équipes sont sous une énorme tension, et on ne peut pas leur imposer un rythme d’activité encore plus élevé », avait pourtant assuré la ministre de la santé Agnès Buzyn il y a un an.

    Las. Sous le couvert de l’anonymat, un directeur de groupe hospitalier explique que le non-remplacement de quasiment tous les départs en retraite de personnel soignant est sa « seule marge de manœuvre ». « Je redéploie mes effectifs avec deux exigences : la guérison du patient et le respect des contraintes de la Haute Autorité de santé, dit-il. Charge aux équipes de choisir ensuite elles-mêmes ce qu’elles vont faire différemment ou ne plus faire. » Et de confesser : « Depuis dix ans, je fais du cost killing. Partout où je passe, les emplois ont baissé. »

    Ces redéploiements se font généralement très vite ressentir. La disparition du poste d’infirmière-référente chargée de la formation, l’allégement ou la suppression du « pool » de remplacement, le non-remplacement de la secrétaire du service pendant ses vacances fragmentent et alourdissent le travail de ceux qui restent. « On a des tâches saccadées, on n’arrive pas à faire des trucs jusqu’au bout, c’est terrible, témoigne une infirmière de l’AP-HP. On se retrouve à faire plein de choses qui ne sont pas du soin. Ces tâches annexes nous parasitent, nous empêchent d’être au lit du patient. On travaille à flux tendu tout le temps. On est obligé de prioriser nos soins, par manque de temps… »

    #paywall

    • [...] Les syndicats ne cessent de dénoncer cette situation. En mai, ils l’ont fait en s’appuyant sur un document interne du ministère de la #santé où se trouvait détaillée la façon dont devait être menée une économie de 1,2 milliard d’euros sur la masse salariale des établissements publics de santé sur la période 2018-2022. « Ce sont 30 000 postes qui seraient supprimés sur cinq ans », en avait déduit FO-Santé. Dans les faits, ce sont aussi des #emplois qui ne sont pas créés.

      Emplois transversaux
      De plan de restructuration en plan de #restructuration, l’#hôpital serait aujourd’hui « à l’os ». « Il y a un moment où on ne peut plus améliorer la productivité. On est en train d’arriver à cette limite », souligne un bon connaisseur du monde hospitalier. Un constat formulé sans détour par Jérémie Sécher, le président du Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS), une structure qui représente des directeurs d’hôpitaux : « A la suite des plans d’économies qui se succèdent depuis dix ans, il y a pas mal de services où on n’a plus de marges de manœuvre pour réguler la masse salariale sans mettre en question la qualité et la sécurité des soins. »

      Face à ces accusations, Mme #Buzyn, comme Marisol Touraine avant elle, oppose des chiffres de la fonction publique hospitalière en hausse régulière. « Contrairement à ce que l’on ressent dans les hôpitaux, le nombre de fonctionnaires de la fonction publique hospitalière augmente tous les ans de 1,5 % pour atteindre 1,2 million de fonctionnaires aujourd’hui car en réalité, il y a des établissements qui se créent », a fait valoir Mme Buzyn le 17 octobre au Quotidien du médecin. En réalité, cette hausse du nombre de fonctionnaires hospitaliers est plus modérée : elle a été de 0,7 % entre 2016 et 2017 (contre 0,4 % l’année précédente), selon des chiffres publiés par l’Insee le 13 décembre. Beaucoup des emplois créés sont transversaux (équipe mobile d’antibiothérapie, équipe d’hygiène, codage des actes, etc.) et ne le sont pas « #au_lit_du_malade », ce qui renforce la perception de ceux qui s’y trouvent de travailler de plus en plus à flux tendu.

      « L’augmentation de l’activité a été décorrélée de l’augmentation des effectifs » , souligne Anne Gervais, hépatologue à l’hôpital Bichat, à Paris, et membre du comité de défense de l’hôpital public. Selon la base Statistique annuelle des établissements de santé (SAE), le nombre de personnels non médicaux (infirmières, aides-soignantes) à l’hôpital a augmenté de 0,7 % entre 2013 et 2017, passant de 765 078 à 770 939 équivalents temps plein. Parallèlement, selon les calculs de Mme Gervais, le nombre de patients suivis pour cancer a augmenté de 10,6 %, le nombre de ceux suivis pour Alzheimer de 9,4 % et de ceux hospitalisés de plus de 80 ans de 17,4 %. Un décalage qui raconte à lui seul l’ampleur de la crise.
      François Béguin

      « L’hôpital public est à l’agonie » , Rémy Nizard , 4 avril 2018 (cité par le papier ci-dessus)

      Le professeur Rémy Nizard constate, dans une tribune au « Monde », que l’hôpital public est à bout de souffle. Il identifie six pistes à suivre afin de sortir de la situation actuelle, parmi lesquelles la remise en cause des 35 heures pour les médecins salariés moyennant des compensations.

      « La #tarification_à_l’activité, qui a permis un gain de productivité nécessaire à l’époque où elle a été initiée, mène à l’épuisement des soignants et au désengagement qui s’y associe » (Hôpital de la Pitié-Salpétrière).

      Tribune. L’hôpital public est une cocotte-minute prête à exploser. Après trente-quatre ans d’observation de tous les changements, parfois voulus mais le plus souvent subis, il convient de dresser un bilan très préoccupant.
      Je dois constater que le système est à l’agonie, il s’est épuisé, s’est échoué maintenant, sur la tarification à l’activité qui a constitué l’estocade. Ce mode de financement a eu la vertu de remettre un sens économiquement pertinent à l’activité hospitalière, il a permis un #gain_de_productivité nécessaire à l’époque où il a été initié. Mais aujourd’hui à force de pression et d’injonctions paradoxales, il mène à l’épuisement des soignants et au désengagement qui s’y associe.

      Les tragiques événements dans différents hôpitaux en France, même s’ils ne peuvent être analysés à la seule aune du #travail hospitalier intense, sont des signaux d’alarme à prendre en compte. Comme responsable élu d’une communauté médicale, je vois tous les jours les conséquences de cette course sans fin vers un idéal inaccessible : faire parfait pour tout avec des moyens qui, par la force de l’objectif national de dépenses d’assurance-maladie (Ondam), diminuent.

      Le royaume de l’#injonction_paradoxale
      La catastrophe de l’application des 35 heures a désorganisé un équilibre fragile en limitant les nécessaires temps d’échanges et de lien social. L’hôpital est devenu le royaume de l’injonction paradoxale. Ceci s’exprime à tous les niveaux dans tous les métiers. Les cadres, tout d’abord, pris entre le marteau d’une direction exigeante et l’enclume d’#infirmiers coincés par un travail lourd physiquement et émotionnellement qui leur font remonter leurs difficultés.

      Les infirmiers et infirmières, eux aussi pris entre des patients dont l’exigence est légitimement montée, des cadences accélérées liées aux progrès médicaux qui diminuent le temps passé par les patients à l’hôpital au profit d’une rotation plus rapide, des moyens humains rationnés au plus près. Ces difficultés sont payées au prix fort, l’#absentéisme augmente (au-delà de 8 %), aggravant encore davantage les problèmes financiers, la retombée de cela est une pression accrue sur la rentabilité de ceux en place, le mécanisme infernal est ici enclenché.

      Les directeurs, patrons de l’hôpital, comme l’a voulu la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) [de 2009], réalisent aujourd’hui leur impossibilité d’agir sur le réel sans la collaboration active des #médecins qui ont le pouvoir d’appuyer sur l’accélérateur ou le frein de l’activité. Certaines spécialités ont même le pouvoir de prendre en otage un hôpital entier de par leur activité transversale.
      Les directeurs sont pris entre une administration supérieure, l’Agence régionale de santé (ARS), bras armé du ministère, qui exige une rationalisation, et ces médecins maîtres de leur recrutement et/ou de leur temps de travail. La tentation du contrôle absolu en comptant les heures des médecins a été parfois appliquée, mais là encore c’est une spirale infernale : quand les médecins appliquent avec exactitude la réglementation horaire, cela conduit à diminuer encore davantage les capacités opérationnelles des hôpitaux, car spontanément, dans la majorité des cas, ils ne comptaient pas trop leurs heures.

      Certaines structures doivent fermer
      Les médecins, enfin, ne trouvent plus le sens de leur travail, tout a changé en quelques années : un statut social en berne, une productivité devenue mètre étalon, des patients devenus parfois #clients. Même les hospitalo-universitaires, « les mandarins », sont pressés de toutes parts pour trouver la solution à une équation impossible : la quadruple mission de soin, de recherche, d’enseignement et de conduite des équipes.

      Toutes ces activités sont, une à une, évaluées, décortiquées à coup de nombre de patients vus en consultation ou opérés, de nombre de publications transformées en points SIGAPS (système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques), de rendus de notes données par les étudiants ou encore de mesures de bien-être de l’équipe que vous dirigez. Normal direz-vous, c’est le lot des postes « à responsabilité ».

      Mais là, trop c’est trop, le nombre de « blues du professeur » augmente de façon alarmante, conduisant certains à la démission, d’autres au désengagement ou, au pire, au #burn-out.
      Il existe des remèdes à cet état. Il faut les mener de front, accepter d’être politiquement courageux et intellectuellement audacieux. La médecine moderne, de pointe, ne peut se faire partout, elle nécessite compétence, moyens matériels et humains au-delà d’une norme bonne pour tous. Ceci signifie que certaines structures doivent fermer, le nombre d’hôpitaux, universitaires ou non, est trop important et leur rôle trop large.

      Des statuts inadaptés
      Les équipes qui composent ces hôpitaux universitaires, en particulier, sont souvent trop petites et ne permettent pas à ceux qui en ont la responsabilité de remplir les quatre missions de soins, de recherche, d’enseignement et d’animation. Il est certain qu’à l’image de la suppression de la taxe d’habitation les élus locaux se lèveront d’un bond, comme ils l’ont déjà fait, si leur hôpital est menacé de transformation ou de fermeture.

      Le premier employeur du territoire qu’il est souvent s’élèvera sans tenir compte de la qualité de ce qui est fait, de l’isolement de médecins prenant des gardes en nombre indécent, sans égard pour la dépense publique, en engageant des mercenaires à prix d’or. Comme à la SNCF les statuts ne sont plus adaptés à notre nouveau monde, il existe une absolue nécessité d’évoluer ; il va falloir du courage, de l’imagination, de l’audace.

      Des pistes existent.
      Ce sont : l’acceptation qu’un seul individu ne peut pas mener de front les quatre missions ; une nécessaire remise en cause des 35 heures pour les médecins salariés moyennant des compensations adaptées ; une modification de la gouvernance hospitalière dans le sens d’une simplification de la prise de décision et une diminution des tâches non liées à l’activité de soin ; une délégation de tâches pour des soignants ayant eu une formation complémentaire avec une rémunération adaptée ; une valorisation du travail collaboratif avec la médecine de ville en ouvrant largement les portes de l’hôpital pour une utilisation optimale des si coûteux plateaux de blocs opératoires ou d’imagerie ; le développement des outils numériques, qui seront, personne n’en doute, source de sécurité et de productivité.

      Sans tout cela, les risques sont que nos soignants soient moins engagés, que notre population soit moins bien soignée, et peut-être, le pire, que notre recherche biomédicale ne soit plus en mesure d’être présente dans la compétition mondiale.
      Rémy Nizard (Chef du service de chirurgie orthopédique et traumatologie, hôpital Lariboisière)

      Les urgences hospitalières confrontées à une surchauffe inhabituelle sur l’ensemble du territoire

      https://www.lemonde.fr/sante/article/2018/03/17/les-urgences-confrontees-a-une-surchauffe-inhabituelle-sur-l-ensemble-du-ter
      Un dispositif exceptionnel a été activé dans 97 hôpitaux sur 650 pour répondre à un afflux de patients depuis début mars. Faute de lits, beaucoup passent la nuit sur des brancards.