Libé n’est pas “Gilets jaunes” – L’image sociale

/7045

  • Libé n’est pas “Gilets jaunes” – L’image sociale
    http://imagesociale.fr/7045

    par André Gunthert

    En résumé, si les Gilets jaunes se conformaient à l’avis de Laurent Joffrin, plutôt que de tourner en rond dans leur bulle de filtre non filtrée, il n’y aurait pas de gouffre ni de raison de s’émouvoir. Au passage, l’expert ès réseaux sociaux trahit le biais que l’ensemble du dossier tente de dissimuler. « Leur vérité », dit-il, laissant entendre que celle-ci ne saurait être confondue avec celle de Libération ou de la presse, dont Laurent Joffrin nous assure qu’elle n’a pas démérité.

    Question de point de vue. Pour Stéphane Delorme, rédacteur en chef des Cahiers du Cinéma : « Le récit raconté par les médias était répugnant. La TV s’est encore une fois ridiculisée face à internet. D’un côté cette image terrifiante présentée comme sécurisante au JT de 20h, le 15 décembre, de manifestants devant l’Opéra qu’on empêche de rejoindre les Champs sous l’œil de la police montée prête à charger. De l’autre la profusion sauvage des vidéos de violences policières, qui à force deviennent un genre en soi ».

    Si, malgré l’observation attentive de Vincent Glad, cette vérité, celle des violences d’un pouvoir désemparé et d’une désinformation d’un niveau rarement atteint, reste distincte de la vérité que peut admettre un quotidien des classes supérieures, ce n’est pas parce que les acteurs du mouvement se jugent mal représentés. Mais bien parce que ceux dont c’est la mission et le métier ont construit le récit de la crise en fonction d’un filtre bien plus puissant que la bulle de filtre, puisqu’il est invisible même aux yeux d’un grand professionnel comme Laurent Joffrin : le filtre de la conscience de classe.

    Ceux qui doutent que la crise des Gilets jaunes est fondamentalement un conflit de classes, miroir de l’accélération historique des inégalités et de la concentration des profits, n’ont, pour s’en convaincre, qu’à observer son accueil par les classes supérieures, qui ont rarement opposé une réaction d’une telle violence à un mouvement social quel qu’il soit. La négation de toute désinformation, telle que nous la livre candidement Libération, est encore une confirmation de cette désinformation – la manifestation, non d’un défaut des méthodes du journalisme, mais d’un barrage social, d’une impossibilité de voir.

    Ce que nous répète Libération, pour justifier la critique du mouvement – « le faible nombre de manifestants, les dérapages xénophobes ou violents de certains, la confusion née d’un refus obsessionnel de toute représentation » (Joffrin) – n’est que le récit en boucle d’une vision de classe qui a condamné d’emblée la colère des plus modestes. Pour sortir de cette impasse, encore faudrait-il que la classe médiatique aperçoive, comme on l’apprend en première année de sociologie, qu’elle ne peut pas s’exclure du champ social, qu’elle est juge et partie. Diagnostic pertinent, la « crise de la représentativité » ne saurait être seulement une crise dont les producteurs de représentation rejettent la responsabilité sur les représentés.

    #Gilets_jaunes #Médias