• Le cauchemar de « l’hôpital du futur » | Frédéric Pierru
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/PIERRU/60490

    « Du vent ». C’est ainsi que les urgentistes en grève ont qualifié le plan présenté par la ministre de la santé le 9 septembre. À des services au bord de l’implosion elle propose une enveloppe rachitique, ponctionnée sur d’autres secteurs, eux-mêmes en difficulté. Faut-il dès lors parler de « crise » de l’hôpital ou de « casse » — un projet de longue haleine visant à livrer une institution emblématique au privé ? Source : Le Monde diplomatique

    • Les années 2000 marquent un tournant néolibéral dans les politiques hospitalières, alors que la médecine de ville, elle, bénéficie d’une empathie gouvernementale surprenante. Pour les pouvoirs publics, si des économies doivent être réalisées, c’est à l’« hospitalocentrisme » français de payer son tribut. C’est donc le bâton budgétaire pour l’hôpital, la carotte des incitations financières et l’appel aux réorganisations volontaires pour la médecine de ville. Les hôpitaux sont sommés de se recentrer sur leur « cœur de métier » — les soins très spécialisés, techniques et coûteux, mais aussi les missions de service public — et de faire cadeau du reste — rentable — aux autres acteurs de l’offre de soins, qui sont dans leur grande majorité privés (médecins libéraux, cliniques privées…).

      Nom de code de cette vaste opération : « virage ambulatoire ». Deux leviers sont utilisés pour forcer les professionnels hospitaliers réticents à le négocier : le resserrement de la contrainte budgétaire d’une part, et la mise en concurrence des établissements à travers la tarification à l’activité, mieux connue sous son acronyme T2A, d’autre part. En théorie, ces deux instruments ne sont pas compatibles (2). En effet, en vertu de la T2A, la Sécurité sociale ne rémunère plus des structures, mais le volume et la nature des actes pratiqués par les établissements de santé. « L’argent suit le patient », comme disait le slogan thatchérien de la fin des années 1980, et l’hôpital devient une entreprise appelée à augmenter ses parts sur le marché local des soins (voire sur le marché international pour les prestigieux établissements de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris, AP-HP). Plus d’activité, c’est plus de recettes, donc plus de personnels et d’investissements.

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      André-Pierre Pinson. — « Pièce d’anatomie de l’œil sous cloche de verre », 1784
      Cependant, dès lors que cette concurrence se déroule dans un cadre budgétaire de plus en plus contraint, le financement devient très pervers. Tout d’abord, chaque établissement a intérêt à maximiser son activité, y compris en trichant : on saucissonne un séjour en plusieurs, on « optimise » son codage grâce aux compétences de sociétés privées qui ne sont pas soumises au secret médical — comme l’a dénoncé, au prix de sa mise au placard, M. Jean-Jacques Tanquerel, directeur de l’information médicale au centre hospitalier de Saint-Malo (3) —, etc. En un mot, avec la T2A, on fait dans le business plan, pas dans le service public.

      Mais, comme il faut tenir l’enveloppe budgétaire générale, les pouvoirs publics décident unilatéralement de baisser les tarifs lorsque l’activité globale augmente. Ainsi, la T2A transforme les hospitaliers en hamsters : ils sont condamnés à courir de plus en plus vite dans leur roue, sans pour autant que la situation financière des hôpitaux s’améliore, au contraire.

      De fait, la productivité des hospitaliers a beaucoup augmenté (le volume de soins dispensés a augmenté de 3 % annuellement jusqu’en 2010, puis de 2 % à partir de 2015). Sur le terrain, cela correspond à une intensification du travail. Cela n’empêche pas la dégradation de la qualité des soins : allongement des temps d’attente, accroissement du nombre de malades revenant à l’hôpital après avoir été pris en charge une première fois, fuite des patients vers le secteur 2 dit à « honoraires libres » et les cliniques, etc.

      Par ailleurs, alors même que le taux d’obsolescence et de vétusté du bâti est élevé, les hôpitaux ont soit cessé d’investir, soit eu recours à des expédients désastreux pour leurs finances à long terme : emprunts toxiques (on parle d’emprunts « structurés », c’est-à-dire à taux variables, très attractifs au moment où ils ont été souscrits, puis qui ont explosé), partenariats public-privé, contrats coûteux de location-entretien pour les gros matériels, comme en imagerie (IRM, PET-scan)…

      #hôpital #santé

  • La gauche bolivienne a-t-elle enfanté ses fossoyeurs ?, par Maëlle Mariette (Le Monde diplomatique, septembre 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/MARIETTE/60349

    S’ils sont réélus, M. Morales et son équipe devront néanmoins faire preuve d’adresse tactique et de souplesse stratégique pour arrimer l’avenir de leur « révolution démocratique et culturelle » à un groupe social dont tout indique, pour l’heure, qu’il se construit en marge de ce processus.

    Puisque c’est dans l’actualité. Où l’on apprend que Morales a réussi à chasser la pauvreté et l’analphabétisme, grâce aux ressources de Lithium du pays profitant à l’état. Il a ainsi pu créer une classe moyenne qui ne voit du même coup plus d’un bon oeil sa politique de gauche.
    Sa démission, ainsi que les évènements se passant actuellement en Bolivie, est à voir avec ce prisme là. Et aussi le prisme de toutes les déstabilisations faites par les états-unis en Amérique du Sud.

    • Pachamama, les mineurs de Bolivie
      Juan Manuel Castro Prieto / agence VU


      https://www.agencevu.com/stories/index.php?id=1885&p=105

      En Bolivie, nichée dans la cordillère des Andes, les villes d’Oruro, Popoó, Uyuni et Potosi abritent de nombreuses exploitations minières datant de l’époque coloniale, qui continuent de faire vivre les habitants d’une région menacée par la pauvreté.
      Parti à la rencontre de la population pour comprendre leur mode de vie, Juan Manuel Castro-Prieto assiste à leurs rites et découvre leur vision du monde, toujours ancrée dans des pratiques et croyances ancestrales.

      #Bolivie

    • Il n’existe pas de neutralité idéologique. Toute redistribution économique sans combat idéologique contre le capitalisme est vouée à l’échec.
      Le comble, c’est que cette redistribution temporaire joue à fond dans l’augmentation de richesse sur le long terme de ces élites.
      Mais la seule richesse ne leur suffit pas. Il leur faut aussi malgré tout avoir le sentiment qu’ils sont privilégiés.

    • Pour l’e-Monde, les victimes sont toujours dans le camp des « méchants », mais heureusement, la police et l’armée veillent sur la bonne marche des « affaires » :

      https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/11/apres-la-demission-d-evo-morales-et-de-nouvelles-violences-la-bolivie-dans-l
      (source twitter AFP donc du « grand journalisme »)

      Depuis la mi-journée, les forces de l’ordre se redéployaient progressivement, faisant usage de gaz lacrymogène à El Alto, une localité proche de la capitale et bastion d’Evo Morales, pour disperser des groupes de manifestants encagoulés et armés de bâtons. De petites casernes de la police ont été pillées et brûlées lundi dans plusieurs villes, tandis qu’une colonne de plusieurs centaines de partisans de M. Morales marchait vers La Paz depuis la ville voisine d’El Alto. Arborant des whipalas, le drapeau symbole des peuples indigènes, et scandant « Maintenant oui, une guerre civile ! », ils étaient des centaines en route vers la capitale, contraignant les magasins à fermer leurs portes.

      Bon, allez, une autre lecture de la situation peut-être ?

      https://www.revolutionpermanente.fr/C-est-un-coup-d-Etat-qui-a-lieu-en-ce-moment-en-Bolivie

      Qui se trouve derrière le mouvement actuel, qui a commencé le 20 octobre ?

      Le mouvement est piloté, depuis le début, par la droite dure, dont les bastions se trouvent dans l’Est du pays, dans la région de Santa Cruz, mais qui dispose de relais dans plusieurs villes du pays, dont Potosí. Cette droite dure, que l’on appelle en Bolivie le « mouvement civique », est soutenue par l’opposition à Morales, très forte au sein des classes moyennes et au sein, bien entendu, de la bourgeoisie, mais elle a su tisser des liens, également, avec certains secteurs du mouvement social, expliquant non seulement l’importance des manifestations qui ont eu lieu dans un certain nombre de villes depuis une vingtaine de jours, mais également les blocages routiers mis en place par l’opposition pour faire pression.
      Ces derniers jours, la situation a changé avec plusieurs unités de police qui se sont mutinées contre le gouvernement et le ministère de l’Intérieur. La décision de l’OEA a fini de faire basculer les militaires dans le camp des putschistes. Dans cette situation, donc, une heure après la conférence de presse organisée par l’état-major, Morales a bel et bien « démissionné », suivi de son vice-président et des présidents des deux chambres ainsi que plusieurs gouverneurs et maires du Mouvement Au Socialisme (MAS).Le leader de la droite crucègne, Luis Fernando Camacho, a tenu promesse : il a fait irruption, ce dimanche, au siège du gouvernement, brandissant un drapeau bolivien et sa Bible. Avocat et chef d’entreprise, très lié aux milieux d’affaires et agro-industriels de l’Est du pays, c’est un évangéliste convaincu qui se prévaut d’avoir l’appui des Etats-Unis. Dès la publication du rapport de l’OEA, le secrétaire d’Etat de Donald Trump, Mike Pompeo, a déclaré que les Etats-Unis soutenaient l’option de l’organisation de nouvelles élections, ce qui équivaut à un blanc-seing donné aux putschistes.

  • Jusqu’à quand l’#OTAN ?, par Serge Halimi (Le Monde diplomatique, novembre 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/11/HALIMI/60956

    Dorénavant, l’Union compte une majorité d’États qui ont participé aux aventures impériales des #États-Unis (seize de ses membres actuels ont contribué à la guerre d’#Irak) ; elle relaie l’ingérence de Washington en Amérique latine (d’où la reconnaissance absurde de l’opposition vénézuélienne comme gouvernement légal) ; elle feint de s’opposer aux caprices de l’administration Trump, mais rentre dans le rang sitôt que celle-ci menace de la punir (#sanctions économiques contre les entreprises qui commercent avec l’Iran). L’#Europe pesait davantage au #Proche-Orient avant son élargissement. Et si Charles de Gaulle s’opposait à l’adhésion du #Royaume-Uni au Marché commun parce qu’il pensait que ce pays deviendrait le cheval de Troie américain sur le Vieux Continent, les États-Unis n’ont rien à craindre du Brexit. Car, au fil des décennies, l’#Union_européenne est devenue leur écurie.

    #UE

  • Et la ZAD sauvera le monde..., par Frédéric Lordon (Le Monde diplomatique, octobre 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/10/LORDON/60498

    Il est certain que le renversement de masse est souterrainement préparé par une série de décrochages individuels. Ça cède d’abord en silence dans les têtes, et l’épidémie de désertions se répand d’autant plus vite qu’abondent les exemples alentour. Il est certain également que, toutes choses égales par ailleurs, le désastre climatique accélérera les déplacements — nécessité commencera à faire loi. En ce sens, le ressort du désir d’en finir avec l’ordre capitaliste, c’est de ce côté que, de plus en plus, il va prendre consistance.

    #ZAD #mondialisation #libéralisme #consumérisme #environnement #alternative

  • Le franquisme déchire toujours l’Espagne. Reportage à retrouver dans l’édition de novembre, en kiosques. @PaulinePerrenot @vslonskamalvaud https://www.monde-diplomatique.fr/2019/11/PERRENOT/60929 …
    https://twitter.com/mdiplo/status/1189564621465817088

    Le franquisme déchire toujours l’Espagne. Reportage à retrouver dans l’édition de novembre, en kiosques. @PaulinePerrenot @vslonskamalvaud https://www.monde-diplomatique.fr/2019/11/PERRENOT/60929

  • How #Coca-Cola Undermines Plastic Recycling Efforts
    https://theintercept.com/2019/10/18/coca-cola-recycling-plastics-pollution

    ... bottle bills [...] put some of the responsibility — and cost — of recycling back on the companies that produce the waste, which may be why Coke and other soda companies have long fought against them.

    [...]

    Coca-Cola now makes 117 billion plastic bottles a year, according to its own estimates, untold billions of which end up being burned or dumped in landfills and nature. Coke was responsible for more waste than any other company in a 2018 global plastic cleanup conducted by the advocacy group Break Free From Plastic, with Coke-branded plastic found along the coasts and in the parks and streets of 40 out of 42 participating countries.

    On the political front, its advocacy against bottle bills has largely succeeded. Only 10 states now have bottle bills on the books, most of which passed in the 1970s and ’80s.

    #plastique #lobbying #politique #corruption #etats-unis

    • Audio from a meeting of recycling leaders obtained by The Intercept reveals how the soda giant’s “green” philanthropy helped squelch what could have been an important tool in fighting the plastic crisis — and shines a light on the behind-the-scenes tactics beverage and plastics companies have quietly used for decades to evade responsibility for their waste. The meeting of the coalition group known as Atlanta Recycles took place in January at the Center for Hard to Recycle Materials in Atlanta’s south side.

      Among the topics on the agenda for the recycling experts was a grant coming to Atlanta as part of a multimillion-dollar campaign Coke was launching “to boost recycling rates and help inspire a grassroots movement.” But it quickly became clear that one possible avenue for boosting recycling rates — a bottle bill — was off the table.

      (...) If they were truly interested in increasing the recycling rate, a bottle bill or container deposit law, which requires beverage companies to tack a charge onto the price of their drink to be refunded after it’s returned, would be well worth looking at. People are far more likely to return their bottles if there’s a financial incentive. States with bottle bills recycle about 60 percent of their bottles and cans, as opposed to 24 percent in other states. And states that have bottle bills also have an average of 40 percent less beverage container litter on their coasts, according to a 2018 study of the U.S. and Australia published in the journal Marine Policy.

      But bottle bills also put some of the responsibility — and cost — of recycling back on the companies that produce the waste, which may be why Coke and other soda companies have long fought against them.

      #déchets #recyclage
      https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/CHAMAYOU/59563

  • La « ville sûre » ou la gouvernance par les algorithmes, par Félix Tréguer (Le Monde diplomatique, juin 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/06/TREGUER/59986

    « Résister à la mise sous surveillance totale de nos villes et de nos vies » : c’est l’ambition de la plate-forme Technopolice, lancée par plusieurs associations de défense des droits humains afin de documenter les projets de villes dites « intelligentes ». Pour mieux s’y opposer collectivement. En juin dernier, Félix Tréguer, membre de La Quadrature du Net, décrivait quelques-unes de ces « villes sûres », pointant la « privatisation sans précédent des politiques de sécurité » qu’elles favorisent, et fustigeant le « laisser-faire indolent » de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL).

  • Vous aussi, devenez Michelle Obama, par Mona Chollet (Le Monde diplomatique, août 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/08/CHOLLET/60130

    Si séduisants que demeurent Mme Obama et son mari, le Parti démocrate connaîtra sans doute une évolution plus intéressante si la tendance représentée par Mme Ocasio-Cortez, M. Bernie Sanders et leurs alliés s’y renforce. Les premiers font miroiter à leurs admirateurs une entrée au club des gagnants ; les seconds luttent pour qu’il n’y ait plus de perdants. Une manière plus convaincante, il faut bien l’avouer, de « travailler à créer le monde tel qu’il devrait être ».

  • Ouhhh, le coup de « ne pas être “un parti bourgeois” » sur « le sujet de l’immigration », y’en a vraiment qui osent tout, là. Y’a du pubard qu’a phosphoré…
    https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-veut-regarder-le-sujet-de-l-immigration-en-face-et-ne-p

    Emmanuel Macron veut regarder le sujet de l’immigration « en face » et demande à la majorité de ne pas être « un parti bourgeois »

  • De la pacotille aux choses qui durent, par Razmig Keucheyan (Le Monde diplomatique, septembre 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/KEUCHEYAN/60371

    Comment sortir du consumérisme ? En étendant la durée de garantie des objets. Un simple constat justifie cette proposition : 80 % des marchandises tombées en panne pendant la garantie sont rapportées au vendeur ou au constructeur pour réparation. La proportion varie bien entendu selon les cas : on tient moins à une imprimante qu’à une montre, et on attend de la seconde une plus grande longévité, quand bien même toutes deux affichent le même prix. Même s’il représente une estimation globale, ce chiffre peu connu indique que l’écrasante majorité des consommateurs fait valoir son droit quand l’occasion se présente.

    Or, sitôt la période de garantie terminée, le taux de réparation chute de plus de moitié — à moins de 40 % pour les appareils électriques et électroniques, par exemple. À tort ou à raison, le propriétaire juge alors plus pratique et/ou moins onéreux d’acheter un nouveau grille-pain ou un nouvel ordinateur. Il est donc possible de prolonger la vie des objets en changeant le droit : plus on étend la durée de la garantie, plus on répare les marchandises, et plus on accroît leur longévité. Le rythme de leur renouvellement, de l’exploitation des ressources naturelles et des flux d’énergie qu’implique leur fabrication s’en trouve par là même ralenti. La garantie, ça n’a l’air de rien. Elle constitue pourtant un puissant levier de transformation économique, et par là politique.

    #obsolescence_programmée #capitalisme #réparation #paywall

  • Dans les cuisines de l’investigation, par Pierre Péan (Le Monde diplomatique, septembre 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/09/PEAN/60338

    La joie mauvaise de voir tomber les corrompus a souvent pour corollaire l’impuissance face aux structures corruptrices, qui, elles, restent en place quand un ministre chasse l’autre. On se croit vengé, mais rien n’a changé

    Petit article qui distingue deux types de journalisme d’investigation : l’un qui démarre par un sujet (le journaliste monte l’enquête de lui-même sur ce sujet là et sort un livre ensuite), l’autre sur une fuite (le journaliste a une source au bon endroit, ou rend accessible des pièces tribunaux au public par exemple).
    L’auteur met en garde contre le deuxième type : même si il peut être « d’intérêt public », il pourrait un jour s’avérer pertinent pour se débarrasser d’adversaire public...

  • Sahel, les militaires évincent le Quai d’Orsay, par Rémi Carayol (Le Monde diplomatique, juillet 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/CARAYOL/60053

    Lorsque, en février dernier, l’aviation française bombarde une colonne de chars de l’Union des forces de la résistance (UFR), un mouvement de l’opposition armée tchadienne, les commentateurs ne manquent pas de rappeler la longue histoire des ingérences de l’ancien colonisateur au Tchad (1). Cette opération, au cours de laquelle plusieurs membres de l’UFR auraient été tués, se singularise sur un point : pour la première fois depuis très longtemps, Paris assume pleinement l’utilisation de la force dans une affaire de politique intérieure mettant à mal son allié, le pourtant peu démocrate président Idriss Déby Itno (2).

    La France « ne se contente plus de créer les conditions favorables à une victoire de l’armée tchadienne : elle bombarde elle-même les rebelles », note ainsi la politiste Marielle Debos. Reprenant la propagande du régime autocratique tchadien, pour qui les rebelles ne sont que des « terroristes », le ministre des affaires étrangères, M. Jean-Yves Le Drian, compare même l’intervention de l’aviation française au déclenchement de l’opération « Serval » au Mali. En janvier 2013, celle-ci avait stoppé l’offensive d’une colonne de djihadistes qui menaçaient Bamako.

    Élu en 2011, puis réélu en 2016, le président nigérien Mahamadou Issoufou paraît aussi intouchable que son homologue tchadien, en dépit des nombreuses atteintes à la liberté d’expression dans son pays. M. Issoufou donne carte blanche à l’armée française, laquelle dispose d’une base à Niamey, d’où décollent ses drones pour, officiellement, surveiller les mouvements terroristes dans le Sahel (3). « Parce que c’est ancré dans leur culture, les militaires pensent que, pour faire face à la menace terroriste, il faut un homme fort à la tête du pays, nous explique un diplomate français en poste dans cette zone et ayant requis l’anonymat. Ils ne veulent pas comprendre que le soutien apporté à des autocrates peut aussi pousser des personnes à rejoindre les groupes terroristes, ou du moins à en devenir des sympathisants. »

    Or l’influence politique et diplomatique de l’état-major français ne cesse de grandir avec l’intensification de l’engagement militaire de Paris dans la zone saharo-sahélienne depuis 2013. « Aujourd’hui, au Sahel, l’aspect sécuritaire l’emporte sur tout, constate, amer, le même diplomate. Par conséquent, les militaires sont devenus des interlocuteurs jugés essentiels par les responsables politiques. Leurs analyses priment sur les nôtres. »

    Dans certains pays sahéliens, les officiers français sont les premiers interlocuteurs des chefs d’État, avant même les ambassadeurs. Ambassadrice à N’Djamena de 2013 à 2016 puis à Bamako de 2016 à 2018, Mme Évelyne Decorps ne manquait pas de s’irriter ouvertement de cette « concurrence ».

    Des officiers désinhibés
    Rappelée prématurément à Paris en 2018, elle a été nommée administratrice supérieure des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) — un poste considéré comme un placard. Le Quai d’Orsay bruisse de rumeurs selon lesquelles les militaires auraient obtenu sa tête. Sa mésaventure illustre la dérive d’une diplomatie réduite à accompagner les choix des militaires — et parfois à en assurer le service après-vente : collaboration sur le terrain avec des milices armées, voire des groupes rebelles (au Niger et au Mali notamment), refus catégorique d’entamer des négociations avec l’ennemi, etc.

    Cette évolution est le fruit de deux tendances lourdes et d’un concours de circonstances qui a accéléré le processus à partir de 2013. La première tendance tient à l’affaiblissement du ministère des affaires étrangères. « Les militaires ne font qu’occuper la place laissée vacante par les diplomates », souligne ainsi M. Laurent Bigot, ancien sous-directeur chargé de l’Afrique de l’Ouest au Quai d’Orsay, limogé en 2013 à la suite d’un différend avec le ministre de l’époque, M. Laurent Fabius. En trois décennies, le ministère a perdu 53 % de ses effectifs, dont une grande partie sur le continent africain. En 2017, un avis parlementaire évaluait à 40 % la réduction des effectifs sur la zone Afrique et océan Indien durant les dix dernières années (4). Pour expliquer cette amputation spécifique, les diplomates affirment que l’Afrique n’est pas considérée comme une destination noble au Quai d’Orsay. « Au contraire, soulignent les chercheuses Aline Leboeuf et Hélène Quénot-Suarez, l’Afrique est une marque d’expérience — voire de fierté — dans un parcours militaire », ce qui explique que « les militaires ont sans doute eu moins de difficultés à investir ce champ et à “remplacer” parfois les diplomates » (5).

    Parallèlement à la perte d’influence du Quai d’Orsay, une deuxième tendance peut être observée depuis trente ans : le retour en force des militaires dans la vie publique et même dans les choix politiques et diplomatiques — ce que Grégory Daho nomme la « revanche des généraux (6) ».

    Selon ce maître de conférences à l’université Paris-I, les officiers, longtemps réduits au silence après la guerre d’Algérie, sont de plus en plus désinhibés face aux politiques. Depuis les années 1990, explique-t-il, « la technicisation des opérations extérieures et la bureaucratisation des procédures (...) ont favorisé la réintégration partielle des officiers généraux au cœur des circuits décisionnels relevant de la politique étrangère ». Leur expertise s’impose de plus en plus. Or, poursuit Daho, s’il existe un terrain avec lequel l’armée a gardé le contact, c’est bien l’Afrique, où la France entretient une présence technique et militaire depuis les indépendances. Selon lui, « les professionnels des interventions en Afrique constituent désormais le réservoir de compétences disponibles ». Partisans d’une stratégie offensive et non plus attentiste comme ce fut le cas durant la guerre froide, ils en maîtrisent la tactique et les manœuvres. Ils ont ainsi bénéficié du « rééquilibrage entre dissuasion et projection » observé ces vingt dernières années, notamment au sein de l’Alliance atlantique, et du retour en force des doctrines contre-insurrectionnelles promues par les « glorieux anciens de la pacification coloniale », les maréchaux Joseph Gallieni et Thomas Bugeaud, pour imposer leurs vues.

    La marginalisation des diplomates aboutirait « à une perte de qualité dans les analyses, notamment en raison de l’éloignement avec le terrain, mais aussi d’erreurs en matière de recrutement, s’inquiète encore M. Bigot. Le Quai n’est plus une source de propositions. Les militaires, eux, occupent le terrain. Ils produisent beaucoup plus d’idées que les diplomates. Des idées de militaires... ». Le soutien aveugle de la France au falot président du Mali Ibrahim Boubacar Keïta pourrait ainsi s’expliquer par sa complaisance envers l’armée française, à laquelle il accorde toute latitude sur son territoire (7).

    L’influence des militaires grandit également à l’Élysée. Chef des armées, le président donne l’ordre d’engagement pour les opérations extérieures (OPEX) (8). « L’état-major particulier du président de la République, souligne un rapport parlementaire, occupe aussi un espace sans cesse croissant, et beaucoup de décisions sont prises par des acteurs hors la sphère diplomatique (9). » Chef d’état-major particulier des présidents Nicolas Sarkozy (2007-2012) puis François Hollande (2012-2017), le général Benoît Puga a ainsi joué un rôle majeur dans le déclenchement de l’opération « Serval » en 2013 : il a convaincu M. Hollande d’ordonner dans l’urgence l’engagement des forces spéciales. Parfois surnommé le « M. Afrique » de la France, cet officier est issu des troupes de marine, dont l’histoire est intimement liée à celle de la colonisation. L’implication de M. Le Drian, alors ministre de la défense, a également été décisive. « À l’époque, rappelle un diplomate, Fabius était le ministre des affaires étrangères, mais il ne s’intéressait pas beaucoup à l’Afrique. Et il n’avait pas l’oreille du président. Au contraire de Le Drian, qui était un proche de Hollande, et qui est devenu incontournable après les déclenchements coup sur coup de l’opération “Serval”, puis de l’opération “Sangaris” en Centrafrique en 2013. »

    M. Le Drian, devenu ministre des affaires étrangères de M. Emmanuel Macron en 2017, pose dorénavant en principal interlocuteur des chefs d’État du pré carré africain ; son cabinet a pris le dessus sur la cellule Afrique de l’Élysée ainsi que sur l’administration du Quai d’Orsay. Manifestant peu d’intérêt pour le respect des droits humains, le ministre a tissé des relations personnelles avec M. Déby, mais aussi avec le président du Congo Denis Sassou Nguesso, ou encore avec le chef de l’État égyptien Abdel Fattah Al-Sissi.

    Face à l’essor des mouvements djihadistes, le prisme sécuritaire produit une vision binaire, selon laquelle il s’agirait d’un combat entre le « Bien » et le « Mal ». Or certains groupes armés s’apparentent plus à des mouvements très localisés, guidés par des revendications sociales et économiques, qu’à des terroristes « fous de Dieu ». Une fois cette réalité balayée, il est inenvisageable de négocier avec eux, comme l’avait suggéré la conférence d’entente nationale organisée par les autorités maliennes en avril 2017. « Nous sommes engagés dans un combat sans ambiguïtés contre ceux qui se revendiquent du terrorisme. Et donc il n’y a qu’un moyen, il n’y en a pas deux », avait alors déclaré le ministre des affaires étrangères de l’époque de M. Jean-Marc Ayrault, enterrant l’initiative.

    Depuis quelques années, l’Agence française de développement (AFD) subit elle aussi l’influence de l’armée. Interrogé par les députés le 22 mai dernier, le directeur général de l’AFD Rémy Rioux confirme avoir « souhaité dès [son] arrivée à la tête de l’AFD aller beaucoup plus loin sur le thème sécurité et développement avec l’état-major des armées ». Cette collaboration s’est concrétisée par l’échange d’agents de liaison : un officier est détaché au sein de l’AFD tandis qu’un fonctionnaire de l’AFD est en poste au quartier général de « Barkhane » à N’Djamena. Chaque mois se réunissent diplomates, acteurs du développement et militaires au Quai d’Orsay. Même les instituts de recherche associent les mondes de l’université et de l’armée.

    Du côté des militaires, on se frotte les mains. De leur point de vue, la coopération civilo-militaire (Cimic), qui désigne l’ensemble des activités visant à coordonner les relations entre les organisations militaires et les acteurs civils sur une zone d’intervention, « permet de faciliter l’acceptation de la présence des forces auprès des populations locales », note encore Daho. Pour eux, les intérêts militaires l’emportent sur toute autre considération. Il est ainsi de plus en plus souvent demandé à l’AFD de financer des projets dans les zones où intervient l’armée. En revanche, chez les chercheurs et agents des politiques de développement, cette étroite collaboration fait grincer des dents. « Ce n’est pas simple, note sobrement un cadre de l’AFD. Ces deux milieux n’ont pas la même culture. Les acteurs du développement doivent penser au temps long, quand les militaires pensent au temps court. »

    Creuser un puits, construire un dispensaire ou un marché, distribuer de la nourriture : les militaires veulent des projets visibles dans le but de gagner le plus rapidement possible « les cœurs et les esprits » des habitants des zones dans lesquelles ils opèrent. Mais, pour les « développeurs », cette stratégie menée indépendamment des autorités nationales est à double tranchant : elle risque de délégitimer un État déjà mis à mal dans ces régions isolées et ainsi d’accentuer la méfiance des populations locales envers l’autorité publique.

    Cette conception, dite des « 3 D » (diplomatie, défense, développement), longtemps négligée en France, a été érigée en priorité par M. Macron. Les partisans de cette approche intégrée prennent soin de la différencier de l’approche globale adoptée par les États-Unis en Irak et en Afghanistan, qui fait interagir les stratégies militaires, économiques, sociales et diplomatiques, notamment en mettant en place des équipes civilo-militaires chargées de soutenir les autorités locales reconnues. Selon M. Jean-Marc Châtaigner, envoyé spécial de la France pour le Sahel, qui ne dédaigne pas la langue de bois, la méthode américaine vise en premier lieu à faire accepter la présence militaire, tandis que « l’approche intégrée [à la française] n’induit aucune hiérarchie des objectifs recherchés, mais la recherche de leur combinaison optimale en vue du retour à une paix durable ».

    L’efficacité d’une telle vision reste pourtant à démontrer. Depuis que la France est intervenue au Mali en 2013, l’armée a tué plusieurs centaines de djihadistes présumés, dont certains chefs ; elle a détruit des dizaines de caches dissimulant des véhicules et des armes, et a creusé un grand nombre de puits pour les civils. Pourtant, les violences se sont multipliées dans l’ensemble de la zone saharo-sahélienne, et le nombre de morts parmi les populations n’a cessé d’augmenter, particulièrement ces deux dernières années. Débordant très largement de leurs fiefs situés dans le nord du Mali et dans le Sud libyen, les groupes « terroristes » ont étendu leur mainmise dans le centre du Mali, dans le nord et l’est du Burkina Faso et dans le nord-ouest du Niger. Ils menacent désormais les pays côtiers de l’Afrique occidentale, comme la Côte d’Ivoire ou le Bénin.

    Des groupes d’autodéfense communautaires ont émergé, se livrant à des massacres réciproques de civils. Au Mali, les attaques de village se sont multipliées ces dix-huit derniers mois. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme, elles ont fait plus de 600 morts entre mars 2018 et mars 2019 et ont provoqué le déplacement de plus de 66 000 personnes. Le 23 mars 2019, une milice dogon, Dan Na Ambassagou, a ainsi assassiné 157 habitants du village peul d’Ogossagou, situé dans le centre du Mali ; elle a incendié une partie du village. Des tueries ont également été signalées au Burkina Faso et au Tchad. Les armées nationales sont accusées d’avoir elles-mêmes exécuté des civils au cours d’opérations de « pacification ». « Malgré la généralisation de forces locales ou étrangères, le renforcement des contingents, les réponses globales combinant subtilement les impératifs de sécurité et de développement, les engagements financiers colossaux, on s’enfonce », constatait récemment le général Bruno Clément-Bollée, ancien directeur de la coopération de sécurité et de défense au ministère des affaires étrangères (10).

    La « spirale négative » du « tout sécuritaire » a montré ses limites, estime ce dernier. La présence de plus de 13 000 casques bleus de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (dont 122 militaires ont été tués depuis six ans) et de près de 4 500 soldats français, auxquels s’ajoutent les armées nationales et quelques centaines de militaires américains, italiens et allemands positionnés un peu partout dans la région, principalement au Niger, n’a pas permis d’inverser la tendance. Loin de là.

    Rémi Carayol

    Journaliste.
    (1) Marielle Debos, « Que fait l’armée française au Tchad ? », Libération, Paris, 8 février 2019.

    (2) Lire Delphine Lecoutre, « Le Tchad, un ami indispensable mais encombrant », Manière de voir, n° 165, « France-Afrique, domination et émancipation », juin-juillet 2019.

    (3) Lire « Les migrants dans la nasse d’Agadez », Le Monde diplomatique, juin 2019.

    (4) Ladislas Poniatowski et Bernard Cazeau, « Action extérieure de l’État : action de la France en Europe et dans le monde », avis n° 110, t. 1, commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, Paris, 23 novembre 2017.

    (5) Aline Leboeuf et Hélène Quénot-Suarez, « La politique africaine de la France sous François Hollande », Institut français des relations internationales (IFRI), Paris, 2014.

    (6) Grégory Daho, « L’érosion des tabous algériens, une autre explication de la transformation des organisations militaires en France », Revue française de science politique, Paris, vol. 64, no 1, février 2014.

    (7) Lire « Au Mali, la guerre n’a rien réglé », Le Monde diplomatique, juillet 2018.

    (8) Lire Philippe Leymarie, « De N’Djamena à Kaboul, opérations françaises secrètes », Le Monde diplomatique, mars 2008.

    (9) Jean-Claude Guibal et Philippe Baumel, « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone », rapport d’information n° 2746, commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, Paris, 6 mai 2015.

    (10) Bruno Clément-Bollée, « Au Sahel, arrêtons le(s) massacre(s) ! », Jeune Afrique, Paris, 6 juin 2019.

    #Afrique #Sahel #Sécurité #Armée_française #Aide_française

  • Comment réussir la transition démographique au Sahel, par Aïssa Diarra (Le Monde diplomatique, juillet 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/DIARRA/60060
    https://www.monde-diplomatique.fr/local/cache-vignettes/L890xH904/sante-des-femmes-contraception-484af-13927.png?1561492372

    L’autonomisation des femmes est promue sous le vocable anglais d’empowerment. La Commission de la condition de la femme (CSW) des Nations unies en a fait le centre de ses réflexions lors de sa soixante-troisième session, en mars 2019 à New York. Idem pour l’association internationale Women Deliver lors de sa conférence annuelle en juin 2019 à Vancouver. Le principe d’autonomisation tend à positionner les adolescentes comme des actrices à part entière de la mise en œuvre des projets qui leur sont destinés, et non seulement comme cibles. Or l’appropriation des projets par les adolescentes elles-mêmes et leur capacité à recourir aux services de santé sexuelle et reproductive constituent un défi multiforme, notamment en Afrique. Ce qui va de soi dans le contexte occidental, fortement influencé par les combats féministes et les luttes en faveur des droits de l’homme et de la femme, ne va plus de soi dans d’autres contextes, où les coutumes sociales, la religion et l’idéologie patriarcale dominent, et imposent d’autres valeurs.

    #Afrique #Sahel #jeunes_femmes #démographie

  • Libre-échange ou écologie !
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/07/HALIMI/60058

    En remportant 10 % des sièges lors de l’élection du Parlement européen, les écologistes ont réveillé un vieux débat sur le positionnement politique de leur mouvement. Est-il plutôt de gauche, comme le suggèrent la plupart des alliances qu’il a nouées jusqu’ici, ou plutôt libéral, comme l’indiquent à la fois le ralliement à M. Emmanuel Macron de plusieurs anciens dirigeants écologistes (MM. Daniel Cohn-Bendit, Pascal Canfin, Pascal Durand) et certaines coalitions qui, en Allemagne, incluent déjà la droite et les Verts ?

    A priori, libéralisme et protection de l’environnement devraient former un couple explosif. En 2003, un théoricien libéral aussi essentiel que Milton Friedman concluait en effet : « L’environnement est un problème largement surestimé. (…) Nous polluons dès lors que nous respirons. On ne va pas fermer les usines sous prétexte d’éliminer tous les rejets d’oxyde de carbone dans l’atmosphère. Autant se pendre tout de suite (1) ! » Et dix ans avant lui, Gary Becker, autre pourfendeur de ce qu’on n’appelait pas encore l’« écologie punitive », « Nobel d’économie » lui aussi, avait jugé que « le droit du travail et la protection de l’environnement sont devenus excessifs dans la plupart des pays développés ». Mais déjà il espérait : « Le libre-échange va réprimer certains de ces excès en obligeant chacun à rester concurrentiel face aux importations des pays en développement » (2).

    On comprend par conséquent que les angoisses relatives à l’avenir de la planète aient réhabilité le terme longtemps honni de « protectionnisme ». En France, lors d’un débat de la campagne des élections européennes, les têtes de liste socialiste et écologiste ont même réclamé, presque dans les mêmes termes que Mme Marine Le Pen, « un protectionnisme aux frontières de l’Union européenne (3) ». On mesure les conséquences éventuelles d’un tel changement de cap dès lors que le libre-échange constitue le principe historique fondateur de l’Union, en même temps qu’il est le moteur économique de son État le plus puissant, l’Allemagne.

    Dorénavant, chacun sait que l’éloge, devenu consensuel, des producteurs locaux, des circuits courts, du retraitement sur place des déchets est incompatible avec un mode de production et d’échange qui multiplie les « chaînes de valeur », c’est-à-dire organise la noria des porte-conteneurs sur lesquels les composants d’un même produit « traverseront trois ou quatre fois le Pacifique avant qu’il n’arrive dans les rayons d’un magasin (4) ».

    Les occasions de confirmer dans les faits son refus d’un libre-échange écologiquement destructeur ne vont pas manquer dans les prochaines semaines. Les parlementaires de l’Union européenne devront en effet ratifier — ou plutôt, espérons-le, rejeter — un accord de libéralisation commerciale avec quatre États d’Amérique latine, dont le Brésil et l’Argentine (UE-Mercosur), un autre avec le Canada (CETA), un troisième avec la Tunisie (Aleca). On verra alors si une « vague verte » a vraiment déferlé sur le Vieux Continent.

    Serge Halimi

  • Une mobilisation jaune-vert-rouge s’organise contre la privatisation des barrages
    https://reporterre.net/Une-mobilisation-jaune-vert-rouge-s-organise-contre-la-privatisation-des

    Jaune, vert et rouge : la manifestation organisée au barrage de Roselend (Savoie) ce samedi 22 juin sera multicolore. Si les syndicats pronucléaires d’EDF et les associations et politiques écolos opposés à l’atome se réunissent dans un même cortège, c’est que l’heure est grave. Gilets jaunes, CGT, Sud, Parti communiste, EELV, socialistes, et d’autres dénoncent en chœur l’intention du gouvernement de « privatiser » les #barrages_hydroélectriques. Ou, plus précisément, d’ouvrir leur gestion à la #concurrence.

    Lire aussi sur le sujet : https://www.monde-diplomatique.fr/2019/06/GARCIA/59948

  • Bons et mauvais Chinois | René Raphaël & Ling Xi
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/RAPHAEL/59403

    Public ou privé, local ou national, individuel ou sectoriel, un système de notation appelé « crédit social » se déploie en Chine. À l’origine, il imitait le système américain, qui attribue une bonne note aux emprunteurs payant régulièrement leurs échéances. Puis il s’est étendu à d’autres types de comportements. Reportage à Hangzhou, siège de l’entreprise Alibaba, et dans les campagnes du Shandong. Source : Le Monde diplomatique

  • Eh bien, recyclez maintenant ! | Grégoire Chamayou
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/CHAMAYOU/59563

    Poubelle jaune, poubelle verte, poubelle bleue… À grand renfort de sermons, on nous chante les louanges d’une « citoyenneté moderne » associée à un geste : le tri des déchets, considéré comme la garantie de sauver une planète dégradée de toutes parts. C’est peut-être se méprendre sur la logique qui sous-tend cette injonction à l’« écoresponsabilité » des consommateurs. Source : Le Monde diplomatique

  • Why is populism booming ? Today’s tech is partly to blame | Jamie Bartlett, the author of The People vs Tech
    https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/nov/29/populism-tinder-politics-swipe-left-or-right-unthinkingly

    This makes sense once you understand that social media platforms are, given where their money comes from, advertising firms. As any ad man will tell you, emotion and simplicity sell. Online, that’s true in the literal sense: the more content is shared, the more advertising revenue it generates. Populist messages – especially if you’re in opposition, and can rant without the inconveniences of power – perform better than anything from the watery centre ground. But the natural affinity runs deeper: populists are more spiritually attuned to today’s technology. From shopping to dating to music to news, everything is personalised – quick, convenient, as-you-wish. What a frustrating, compromise-ridden and plodding affair politics is by comparison! Populists promise to cut through that. They offer Tinder politics – swipe left or right to get exactly what you want, without thinking too much. Anyone who stands in the way is part of a shadowy corruption – Blairites, newspapers, judges, immigrants… The good news is, says the populist, we now have a direct line to those honest, decent, hard-working people, circumnavigating the self-interested establishment parties and media. This is why many populists – whether it’s Twitter addict Trump, or the Swedish Democrats or the Italian Five Star Movement – are early adopters, and entirely at ease with the format.

    Lire aussi, dans le @mdiplo du mois, ce passage dans l’article sur l’ascension de Matteo Salvini :

    (…) Pour y parvenir, le chef de la Ligue a dû opérer deux changements majeurs : une nouvelle stratégie électorale et un rapport novateur au numérique. Pour y parvenir, le chef de la Ligue a dû opérer deux changements majeurs : une nouvelle stratégie électorale et un rapport novateur au numérique.

    C’est alors que M. Luca Morisi entre en scène. Cet expert en informatique de 45 ans dirige, avec un associé, l’entreprise Sistema Intranet, qui ne compte aucun employé, mais une foule de clients institutionnels. Il prend en main M. Salvini à une époque où ce dernier est déjà inséparable de sa tablette et largement familiarisé avec Twitter, mais où sa présence sur Facebook demeure négligeable. Son nouveau conseiller numérique lui enjoint de changer de stratégie. Twitter est un carcan, lui explique-t-il. Selon lui, la plate-forme est fondamentalement autoréférentielle et favorise les messages de confirmation. « Les gens sont sur Facebook et c’est là que nous devons être », soutient-il. Une équipe dévolue aux réseaux sociaux se constitue. Elle ne tarde pas à devenir l’un des plus importants services de la Ligue.

    M. Morisi énonce dix commandements auxquels le chef du parti doit se soumettre. Les messages de sa page Facebook doivent être écrits par M. Salvini lui-même, ou en donner l’illusion. Il faut en publier tous les jours, tout au long de l’année, et commenter y compris les événements qui viennent juste de se produire. La ponctuation doit être régulière, les textes simples, les appels à l’action récurrents. M. Morisi suggère également d’utiliser autant que possible le pronom « nous », davantage susceptible de favoriser l’identification des lecteurs, mais aussi de bien lire les commentaires, en y répondant parfois, afin de sonder l’opinion publique.

    Résultat : la page Facebook de M. Salvini fonctionne comme un quotidien, notamment grâce à un système de publication créé en interne et connu sous le nom de « la bête ». Le contenu est mis en ligne à heures fixes et repris par une multitude d’autres comptes ; les réactions font l’objet d’un suivi continu. M. Morisi et ses collègues rédigent quatre-vingts à quatre-vingt-dix publications par semaine, quand M. Renzi — alors président du conseil — et son équipe n’en produisent pas plus de dix. Pour fidéliser les abonnés, M. Morisi imagine une astuce : il conseille de s’en tenir aux mêmes mots, afin d’évoquer davantage un pilier de bar qu’un homme politique traditionnel.

    Le ton des messages relève de l’irrévérence, de l’agressivité et de la séduction. Le chef de la Ligue dresse ses lecteurs contre l’ennemi du jour (les « clandestins », les magistrats véreux, le Parti démocrate, l’Union européenne…), puis il publie une photographie de la mer, de son repas ou encore de lui-même en train de donner l’accolade à un militant ou de pêcher. L’opinion publique se nourrit d’un flot incessant d’images de M. Salvini mangeant du Nutella, cuisinant des tortellinis, mordant dans une orange, écoutant de la musique ou regardant la télévision. Chaque jour, une tranche de sa vie est ainsi diffusée auprès de millions d’Italiens, selon une stratégie où le public et le privé s’entremêlent en permanence. Cet éclectisme vise à lui donner une image humaine et rassurante, tout en lui permettant de continuer ses provocations. Son message : « En dépit de la légende qui me présente comme un monstre rétrograde, un populiste peu sérieux, je suis une personne honnête, je parle ainsi parce que je suis comme vous, alors faites-moi confiance. »

    La stratégie de M. Morisi repose également sur la « transmédialité » : apparaître à la télévision tout en publiant sur Facebook, passer au crible les commentaires en direct et les citer pendant l’émission ; une fois celle-ci terminée, monter des extraits et les mettre sur Facebook… Cette approche, dans laquelle M. Salvini est passé maître, n’a pas tardé à porter ses fruits : entre mi-janvier et mi-février 2015, il a obtenu pratiquement deux fois plus de temps d’antenne que M. Renzi. En 2013, il n’avait que dix-huit mille abonnés sur Facebook ; mi-2015, il en comptait un million et demi, et ils sont plus de trois millions aujourd’hui — un record parmi les dirigeants politiques européens.

    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/06/PUCCIARELLI/59962

    #CM #populisme #médias_sociaux

  • Sur les pas de George Orwell, par Gwenaëlle Lenoir (Le Monde diplomatique, janvier 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/LENOIR/59397

    À Wigan, dans l’Angleterre de l’austérité
    Sur les pas de George Orwell

    Présenté comme une simplification par la fusion d’allocations diverses, le « crédit universel » britannique plonge de nombreux foyers vulnérables dans le désarroi. Sur les quais de Wigan, dans le Lancashire, ce fiasco s’ajoute à la décomposition sociale due à quatre décennies de libéralisme. Comme au temps où George Orwell arpentait ces lieux, nombreux sont aujourd’hui les Anglais emmurés dans la pauvreté.

    En rapport avec ceci : https://seenthis.net/messages/782082

    Ken Loach : sur les pas de George Orwell ?