Opposer « startup nation » et « Gilets jaunes » est stupide

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  • Opposer « startup nation » et « Gilets jaunes » est stupide
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    À propos du CES à Las Vegas, l’opinion du directeur de la rédaction de la Tribune, Philippe Mabille

    L’absence des politiques français à Las Vegas, qui tranche avec les années précédentes, est tout aussi stupide que démagogique. Pourquoi se priver de donner une exposition à la France qui gagne et veut conquérir le monde ? C’est la démonstration par l’absurde de l’impact désastreux qu’a eu la crise des « yellow vests » sur l’image de la France à l’étranger depuis la mi-novembre et il est stupéfiant de voir que le gouvernement renforce ainsi le sentiment d’une France en marche arrière. Certes, la présence d’Emmanuel Macron, qui avait organisé au CES une soirée fastueuse un an avant de partir à la conquête de l’Élysée, n’y est sans doute pas indispensable. Le président de la République a bien compris que l’urgence de l’heure est plus de s’occuper des Français qui souffrent que des startups, qui ont, il est vrai, déjà été bien servies par la réduction de la fiscalité sur le capital.

    Mais qu’aucun représentant du gouvernement ne juge bon d’aller au CES est un mauvais signal. Signe des temps, de nombreux présidents de régions seront eux du voyage et accompagneront les jeunes pousses qui cherchent à trouver une exposition, de nouveaux investisseurs et se confronter au meilleur de l’innovation mondiale. De nombreux grands groupes français seront aussi présents avec des startups qu’ils aident à se développer dans des domaines où notre pays excelle, du fait de la qualité de ses ingénieurs et de son système de formation en mathématiques. Intelligence, artificielle, voiture autonome, drones, robots industriels, télémédecine, smart city, transition énergétique : avec ou sans les politiques, c’est la France de demain qui va faire son show à Las Vegas et c’est quand même une bonne nouvelle que de constater que la très profonde crise sociale et politique traversée par le pays ne remet pas en question son dynamisme entrepreneurial.

    Bien sûr, et ce fut sans aucun doute la plus grande erreur d’Emmanuel Macron, il ne faut pas s’occuper seulement de la startup nation. Par son discours, souvent clivant, et par sa politique fiscale, déséquilibrée, le président de la République a pu donner ce sentiment. Il s’en est depuis excusé. Ce que les « gilets jaunes » ont violemment rappelé au pouvoir, c’est que l’attractivité d’un pays ne peut pas reposer sur le seul pilier économique ou sur les seuls « premiers de cordée ». Un pays en marche, et qui marche, c’est un équilibre, et son attractivité est autant sociale qu’économique, sinon la paix civile est menacée. Il ne faut cependant pas accabler Emmanuel Macron : cette crise sociale vient de loin, et résulte de la lâcheté de générations d’hommes politiques qui ne se sont jamais occupés de régler les problèmes, laissant germer une colère qui a pris en cet automne une dimension insurrectionnelle.
    […]
    Emmanuel Macron en avait eu l’intuition : « Ce qui bloque notre société politique, c’est qu’il y a une démocratie qui manque d’adhésion [...]. Tout est encore décidé d’en haut, par le haut, créant une frustration bien souvent légitime des acteurs de terrain », avait-il déclaré à Strasbourg en octobre 2016.

    Le problème vient de ce qu’il a fait le contraire : pour aller vite, en espérant engranger des résultats rapides grâce à une conjoncture très porteuse en début de quinquennat, Emmanuel Macron a oublié ce qui avait fait son succès. Tout en promettant un nouveau monde, il a fait de la vieille politique verticale dans un monde devenu horizontal en laissant la « technocratie » diriger le pays, avec les résultats auxquels nous venons d’assister.

    « Nous ne reprendrons pas le cours normal de nos vies, comme trop souvent par le passé dans des crises semblables, sans que rien n’ait été vraiment compris et sans que rien n’ait changé. Nous sommes à un moment historique pour notre pays : par le dialogue, le respect, l’engagement, nous réussirons » ; de toutes les paroles prononcées par le président de la République lors de son allocution du 10 décembre écoutée par 27 millions de Français, ce sont celles-ci, beaucoup plus que le chèque de 100 euros pour les smicards, qui décideront de la suite de son quinquennat.