• L’hyperstress au travail, fruit du « s’adapter sans cesse », Nicolas Santolaria
    https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/12/11/le-travail-c-est-pas-la-sante_5227722_4497916.html

    Après le burn-out, le bore-out ou la maladie de tako-tsubo, l’#entreprise semble avoir créé une nouvelle pathologie : l’hyperstress.

    Selon une étude menée entre 2013 et 2017 par le cabinet Stimulus (sic) , 24 % des #salariés français seraient dans un état d’« hyperstress ». Lorsqu’on tombe pour la première fois sur ces chiffres, on se dit : tiens, ils ont trouvé une nouvelle maladie corporate ! En effet, si l’on ne sait plus très bien où en est la production industrielle de l’Hexagone, une chose est sûre : notre pays usine des pathologies professionnelles à la chaîne avec autant de ferveur que des robots mixeurs durant les « trente glorieuses ».
    Un rapport publié en 2008 par l’Organisation mondiale de la #santé plaçait même la France à la troisième place des pays recensant le plus grand nombre de #dépressions liées au #travail. Burn-out, bore-out, brown-out, tako-tsubo, la litanie terminologique des misères induites par l’activité professionnelle n’a cessé de s’étendre ces dernières années, sans réussir à endiguer la propagation d’un mal-être généralisé et protéiforme. Avec 24 % d’hyperstressés, l’entreprise française semble s’orienter vers une situation où le normal et le pathologique pourraient à terme fusionner, pour accoucher d’une véritable patho-normalité.

    « Comment ça va, ce matin ?, vous demanderait alors votre collègue, dans ce contexte où le malaise psychique serait devenu aussi courant que le rhume en hiver.
    − Je reviens tout juste de burn-out et, comme le patron m’a interdit d’aller aux toilettes pendant mes heures de service malgré mon problème de prostate, je sens monter un léger hyperstress. Mais c’est tout à fait supportable. »

    Dans ce monde où la culture de la lutte a progressivement laissé place à une culture victimaire, l’hyper­stress, dernier barreau sur l’échelle de la mesure du stress psychologique, touche prioritairement les secteurs de la santé humaine et des actions sociales, des arts, spectacles et activités récréatives, et des services. Affectant fortement les femmes et les plus de 50 ans , ce stress, si élevé qu’il en devient dommageable pour la santé, est induit par un sentiment d’inadaptation cognitive aux exigences de l’époque. Il faut « s’adapter sans cesse » et traiter des informations « nombreuses et complexes », alors même que l’autonomie et la reconnaissance font défaut.

    Comparativement au #stress, qui conduisait à se ronger les ongles, on peut se demander si l’hyperstress ne pourrait pas déboucher sur le fait de se dévorer carrément le bout des doigts, en une inquiétante pulsion cannibale appliquée à soi-même. Supposition fantasque, mais qui fait écho au dernier ouvrage du philosophe allemand Anselm Jappe, La Société autophage. Capitalisme, démesure et autodestruction (La Découverte, 248 p., 22 €), où le mythe grec d’Erysichthon est remis au goût du jour. Puni pour un outrage à la nature, ce roi écocide fut condamné à connaître une faim insatiable qui le conduisit, après avoir englouti tout ce qui se trouvait autour de lui, à arracher ses membres et à se nourrir de son propre corps. Soit un devenir à la fois problématique, funeste, et franchement hyperstressant…

    #capitalisme #barrière_hémato-encéphalique