• Autour du livre, de nouvelles pratiques alimentent l’intelligence collective
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    Par Mariannig Le Béchec, Dominique Boullier et Maxime Crépel.

    Les livres qui s’entassent dans votre bibliothèque sont-ils encore vivants ? Pourquoi les garder s’ils ne le sont plus ? Pourquoi l’attachement au livre imprimé ne se dément-il pas à l’heure du livre numérique ?

    Nous avons observé pendant plusieurs années tous les échanges auxquels les livres donnaient lieu, en ligne et hors ligne et la vitalité de ces livres imprimés (technique vieille de plus de 500 ans !) à travers 150 entretiens de lecteurs, libraires, éditeurs, blogueurs, bibliothécaires, 25 observations participantes, 750 réponses à un questionnaire en ligne et 5 000 sites francophones cartographiés – nous a impressionnés. Oui, votre livre continue de vivre tout en restant dans votre bibliothèque car vous en parlez, vous vous en souvenez, vous y faites référence. Mieux même, vous l’avez prêté à une amie pour qu’elle le lise, vous êtes allés voir ceux qui en parlaient avant de l’acheter ou après l’avoir lu, les critiques professionnels, certes, mais aussi les blogueurs. La conversation continue quand bien même le livre ne circule plus.

    Toute une profession s’est constituée avant le web mais encore plus depuis son apparition, qui fait commerce de ces secondes vies du livre, de ce recyclage, qui permet aux idées de ne pas mourir. Certains sont devenus des « ebayistes » experts uniquement grâce au stock de livres qu’ils vendent sur la plate-forme. Parfois même, ces vies du livre se prolongent pour de la revente de solidarité, comme le fait Oxfam notamment. À un certain moment cependant, ce n’est plus que le papier qui fait la valeur du livre, lorsqu’il est broyé et recyclé.

    On aurait pu penser que face à ce poids, à ce volume, à cet espace occupé par le livre imprimé, le livre numérique aurait tout balayé sur son passage, comme on l’a vu pour la musique en ligne qui a quasiment tué le CD ou aux films à la demande qui ont réduit le marché des DVD. Et pourtant, non, ce n’est pas ce qui s’est passé : aux États-Unis comme en France, le marché des livres en ligne ne dépasse jamais les 20 % du chiffre d’affaires des ventes des livres imprimés. Et cela sans compter le chiffre d’affaires de ces circulations secondaires que nous venons d’évoquer. Le livre numérique, lui, ne circule guère une fois acheté, pour des raisons de contrôle sur les fichiers par des DRM, d’incompatibilité de formats dépendants des supports de lecture (Kindle et autres).

    Cependant, l’essor des blogs au début des années 2000 a amplifié cet exercice critique ordinaire pour lui donner une visibilité, voire une réputation pour certains blogueurs. Certes, les critiques institutionnels et médiatiques continuent de jouer leur rôle d’orientation de la masse des lecteurs et sont des prescripteurs importants choyés par les éditeurs. Mais des sites comme Babelio notamment, regroupent une expertise qu’on pourrait dire ordinaire, partagée, distribuée parmi un grand nombre de blogueurs parfois très spécialisés. Le site existe depuis 2007 et affiche 690 000 lecteurs membres.

    La prolifération des contenus et des publications génère de la désorientation et le rôle de ces blogueurs passionnés, et parfois très pointus sur des littératures très spécialisées, devient important car ce sont des influenceurs « naturels » pourrait-on dire, car proches du public. Cependant, certains éditeurs ont bien compris l’intérêt d’une forme d’association avec ces blogueurs, notamment pour des littératures spécialisées comme les mangas, la BD, le polar ou la littérature jeunesse. Parfois un blogueur, YouTubeur et écrivant du web est édité, comme Nine Gorman.

    Mais surtout, l’activité de conversation autour de la lecture se transforme souvent en écriture. Elle peut être publiée sur un blog et s’apparenter au travail de l’auteur mais à l’autre extrémité, elle peut être très modeste comme les annotations que l’on laisse sur son propre livre. Ces annotations, plus fréquentes sur des livres de non-fiction, peuvent cependant se retrouver échangées, si l’on prête ou revend son livre, mais aussi stockées et partagées avec des systèmes en ligne comme Hypothes.is, qui permet d’annoter tout article trouvé sur le web et de stocker ces remarques, indépendamment du format de présentation de l’article, sur le service en ligne qui le met à disposition des lecteurs organisés en groupes par exemple.

    Le livre imprimé est de fait devenu numérique à travers l’usage des réseaux numériques qui facilitent sa circulation en tant qu’objet ou sous forme de conversations autour du livre .

    #C&F_éditions #Livre_echange