• GILETS JAUNES, DES ANARCHISTES QUI S’IGNORENT ENCORE

    « Anarchistes », voilà qui est dit ! Mais quelle locution horripilante, maculée de sombres réminiscences violentes, d’aberrations philosophiques et d’extrémismes politiques, le tout se résumant à une seule inclinaison : le chaos. C’est ainsi qu’est défini l’anarchisme dans le langage quotidien, quand la moins péjorative des définitions se résume à « rejet de l’autorité ». En fait de chaos, l’interprétation généralement faite est une définition de l’anomie. Peut importe la confusion, c’est désormais entré dans le langage courant comme dans les dictionnaires : « se dit d’un état de désordre et de trouble résultant de l’absence d’autorité politique : Une situation anarchique » ou « Qui échappe à toute direction ou organisation, qui n’obéit à aucune règle » L’interprétation de l’ anarchisme est assez variable souvent paradoxale, mais elle se résume en réalité à une conception politique et sociale qui se fonde sur le rejet de toute tutelle (ou leadership) qu’elle soit gouvernementale, administrative, religieuse et qui privilégie la liberté et l’initiative individuelle dans le cadre d’un intérêt général, de bien vivre en communauté, équilibrant l’intérêt du particulier aux exigences de la collectivité. 
Un premier point que le Gilets Jaunes auront adopté sans le savoir : le rejet de leadership, ou le jeu politique qu’ils bannissent naturellement privilégiant logiquement une gouvernance horizontale quant à toute prise de décision pour la collectivité.

    La péjoration du terme et du mouvement « anarchiste » est considérablement similaire au traitement actuel du mouvement des Gilets Jaunes. L’histoire du courant anarchiste, qui a pourtant duré plus de deux siècles, n’aura retenu que celle d’une frange du mouvement anarchiste. Oubliés le combat, le nombre de victimes et martyrs de répressions sanglantes, on ne se souviendra que d’une minorité, qui lassée de tant de victimes et de violences policières (plusieurs milliers de morts) proclama le « fait insurrectionnel », « moyen de propagande le plus efficace », présenta la « révolte permanente » comme la « seule voie menant à la révolution ». Toujours est il que ces actions furent peu fréquentes, peu suivies, mais furent spectaculaires et choquèrent les bourgeois au pouvoir.. Beaucoup d’attentats, de crimes, braquage en tout genre, furent attribués improprement par les autorités et les médias au mouvement anarchiste. La technique de l’amalgame fonctionnera sans cesse à la moindre étincelle pour anéantir l’image des anarchistes et ce, jusqu’à nos jours. L’histoire des anarchistes est ainsi écrite, par leurs tortionnaires pour n’aboutir à ce que l’on sait aujourd’hui de l’anarchisme, c’est à dire, pratiquement rien sinon « violence et chaos ».. Il en va de même pour le mouvement des gilets jaunes. Une péjoration sans limites, orchestrée au plus haut niveau de l’État, qualifiant de « casseurs « d’ultra violence inadmissible d’attentats à la république ou sur les institutions, de volonté de putsch etc etc.. Occultant en même temps et sans scrupules une répression démesurée et le nombre de victimes chez les gilets jaunes comme si le fait d’être un manifestant mériterait la punition d’une amputation, d’une énucléation, de traumatismes crâniens etc.. Car l’autorité ne s’attardera que sur les « violences et chaos » attribués non sans amalgames aux Gilets Jaunes. L’histoire se répète donc. La méthode se réitère pareillement avec les Gilets Jaunes, comme par le passé pour les anarchistes. La similitude de traitement, médiatico-politique est sans équivoque, est démontre les mêmes intentions malfaisantes, ou craintes, du pouvoir s’y opposant.

    Voilà que l’émergence de cette population rejetant les étiquettes politiques ou une représentation verticale de leur propre mouvement, choque les autorités et les médias qui s’offusquent de ne pas savoir avec qui négocier. Le mouvement des Gilets Jaunes est né telle la résurgence de la pensée anarchiste. Son autogestion, sa spontanéité, son aversion au jeu politique, son hétérogénéité sociale, son organisation horizontale et même sa frange ultra minoritaire partisane d’actions plus spectaculaires et violentes révèle son hérédité. Médias et politiques s’étonnent de ce mouvement social qu’ils disent inédit, mais ils n’oseront jamais le rapprocher à son aîné anarchiste. L’histoire convenue de l’anarchisme ne dira jamais que ce courant fut le premier à inventer le pacifisme comme moyen de manifestation. Selon la pensée anarchiste, des le début, la violence est le fondement du pouvoir, donc l’utilisation de la violence par un anarchiste revient précisément à légitimer le principe qu’il combat. La majorité des gilets Jaunes aujourd’hui partagent aussi cette idée.

    On dira des revendications des Gilets Jaunes, qu’elles sont diffuses ou hétéroclites, or, toutes se rejoignent en une seule doléance, « plus de justice » ou « retour à plus de justice » « La liberté n’est qu’un vain fantôme, quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort de son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme, quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. » Disait Jacques Roux, précurseur de la pensée anarchiste en 1793 : « Le despotisme qui se propage sous le gouvernement de plusieurs, le despotisme sénatorial est aussi terrible que le sceptre des rois, puisqu’il tend à enchaîner le peuple, sans qu’il s’en doute, puisqu’il se trouve avili et subjugué par les lois qu’il est censé dicter lui-même. » dénonçant déjà un mécanisme d’une gouvernance accouchant d’ injustices sociales injustices fiscales injustices démocratiques.. le propos d’un fantôme qui résume celui des Gilets Jaunes aujourd’hui.

    Parmi les doléances des Gilets Jaunes vient le RIC.. referendum d’initiative citoyenne. Le principe du RIC remonte déjà à la révolution. Révocation des élus, mandats impératifs, vote blanc, abrogation de loi, autant de prérogatives que les gilets jaunes souhaitent obtenir. Une revendication qui fait renaître un vieux débat entre démocratie directe et représentative. « La souveraineté ne peut être représentée, par la même raison qu’elle ne peut être aliénée ; elle consiste essentiellement dans la volonté générale, et la volonté ne se représente point » disait JJ Rousseau en 1762. Il faudra attendre 1871, Jacobins et anarchistes forment une ébauche d’autogestion avec la Commune de Paris, qui institue des dispositifs de démocratie directe comme le mandat impératif et la révocabilité permanente des élus. Le courant anarchiste objectant pour une forme d’autogestion plus ouverte, refusant d’accorder un pouvoir supérieur à toute représentation. « La politique est la science de liberté : le gouvernement de l’homme par l’homme, sous quelque nom qu’il se déguise, est oppression ; la plus haute perfection de la société se trouve dans l’union de l’ordre et de l’anarchie. » appuiera Proudhon. Aujourd’hui les Gilets Jaunes croisent le même chemin que leurs ancêtres socialistes libertaires jacobins ou républicains. Sur les ronds points, leur mode d’organisation se rappelle à l’ histoire des anars, des communards. Certains se revendiquent même du municipalisme libertaire. Mais ce souvenir lointain ne doit pas effacer la fin tragique de chacune de ces expériences écrasées dans le sang par les pouvoirs bourgeois successifs.

    Ils semblent donc qu’aujourd’hui, en dépit de ces naufrages passés, que renaisse naturellement cette notion de souveraineté du peuple pour mettre fin à cette délégation d’un pouvoir qui leur a échappé ou que l’on leur a ôté. Il semble tout autant que les pouvoirs actuels réagissent avec fermeté s’arque-boutant sur une idéologie qui atteint ses limites. Il faut souhaiter une issue à cette confrontation autrement que dramatique, car de ce mouvement comme par ceux du passé en sortira quelque chose de grand. Nos ancêtres anarchistes nous ont laissé, le principe de la commune, le premier mai, la journée de 8 heures, la bourse du travail, les syndicats, la mutualité, les coopératives paysannes ouvrières et autant d’avancées sociales aujourd’hui menacées et grignotées pas à pas. Les anarchistes ont été les premiers à se préoccuper de l’environnement, ils sont les inventeurs de l’écologie tout comme certains d’entre eux ont développé le végétarisme.

    Sans probablement en avoir conscience, sans le savoir, les Gilets Jaunes forment un fier hommage à ces populations du passé, à ces martyrs en leur faisant l’honneur de reprendre le combat. Peu importe comme ils s’appellent, car de ce que les Gilets Jaunes feront pour notre avenir, cette fois, l’histoire n’oubliera pas.

    Un “Rien“ citoyen

    Emmanuel Roussel, 14 janvier 2019
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