Les bandits et la révolution. Extrait du livre d’Eric J. Hobsbawn – CONTRETEMPS

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    Quels sont donc les rapports entre les bandits sociaux et les mouvements révolutionnaires modernes, qui sont tellement éloignés du vieux monde moral dans lequel ils vivent ? Il n’y a pas vraiment problème quand ces mouvements sont des mouvements d’indépendance nationale, dont les aspirations s’expriment facilement en des termes que peut comprendre un monde politique archaïque, même s’il n’existe en réalité que très peu de points communs. C’est pourquoi le banditisme s’intègre sans mal à ce genre de mouvements. Giuliano mit ses armes au service des massacreurs de communistes athées aussi facilement qu’il se fit le champion du séparatisme sicilien. Les mouvements primitifs de résistance à la conquête, résistance tribale ou nationale, montrent parfois des liens caractéristiques entre bandits-guérilleros et sectes populistes ou millénaristes. Dans le Caucase, où la résistance du grand Shamyl à la conquête russe avait pour base le développement du muridisme chez les musulmans d’origine, le muridisme et d’autres sectes analogues avaient la réputation, même au début du XXe siècle, de fournir aide, protection et idéologie au célèbre bandit-patriote Zelim Khan. Celui-ci portait toujours sur lui un portrait de Shamyl. En contrepartie, deux nouvelles sectes nées chez les montagnards Ingush à cette époque, l’une prêchant la guerre sainte, l’autre formée de quiétistes non violents, les deux étant aussi portées à l’extase l’une que l’autre et tirant peut-être leur origine de Bektashi, considéraient Zelim Khan comme un saint[8].

    Point n’est besoin d’être très subtil pour voir le conflit entre « notre peuple » et « les étrangers », entre colonisés et colonisateurs. Il se peut que les paysans des plaines hongroises qui devinrent les bandits-guérilleros du célèbre Rosza Sandor après la défaite de la révolution de 1848-1849 aient été amenés à se rebeller en raison d’un certain nombre de décisions prises par le régime autrichien victorieux, par exemple la conscription. (Les hors-la-loi sont souvent des gens qui répugnent à devenir soldats ou à le demeurer.) Mais ce n’en étaient pas moins des « bandits nationaux », bien que leur interprétation du nationalisme fût peut-être très différente de celle des hommes politiques. Le célèbre Manuel Garcia, « roi de la campagne cubaine », qui avait la réputation de pouvoir à lui tout seul tenir tête à dix mille soldats, envoya tout naturellement de l’argent à Marti, père de l’indépendance cubaine. La plupart des révolutionnaires n’aiment pas beaucoup les criminels, et l’apôtre refusa l’argent. À la suite d’une trahison, Garcia fut tué en 1895 parce que – c’est tout au moins ce que l’on dit encore à Cuba – il était sur le point de lier son sort à celui de la révolution.