Des plébéiens aux « gilets jaunes »
▻https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/18/des-plebeiens-aux-gilets-jaunes_5410980_3232.html
Dans sa tribune au « Monde », Claudia Moatti, professeure d’histoire antique, compare le comportement des sénateurs romains du dernier siècle de la République avec les politiciens d’aujourd’hui, qui, tout en reconnaissant l’utilité des révoltes passées, condamnent celles de leur époque.
Tribune. Le paradoxe est éclatant : nous transformons en patrimoine la Révolution française mais nous tremblons devant les rébellions actuelles. Nous nous comportons ainsi comme les sénateurs romains du dernier siècle de la République, qui, tout en reconnaissant l’utilité des révoltes passées (les fameuses sécessions de la plèbe du Ve siècle avant notre ère), condamnaient celles de leur époque. Les historiens qui écrivirent sous l’Empire voyaient pourtant plus qu’une analogie entre les deux. Au moment où la situation politique nous met en demeure, à notre tour, de réfléchir et de comprendre l’état de notre société, leur récit a quelque chose à nous apprendre.
Nous sommes en 494 avant notre ère, au début de ce que nous appelons la République romaine, quelques années après l’expulsion du dernier roi de Rome, Tarquin le Superbe ; les plébéiens, cette part de la population romaine qui n’avait aucun accès aux charges politiques et religieuses de la cité mais qui n’en était pas moins constamment appelée à défendre la patrie par les armes, réclama l’abolition des dettes. Ce que saisissaient les historiens, c’était à la fois l’état de pauvreté et de nécessité où la plèbe se trouvait, la cruauté des créanciers, et la surdité des sénateurs : une surdité de gens arrogants, hautains, et sans pitié.
Ce qu’ils tâchaient de faire entendre aussi, c’est qu’un problème qui n’est pas résolu immédiatement est destiné à empirer ; et de fait les plébéiens, excédés, finirent par réclamer non seulement l’abolition des dettes mais aussi des droits politiques, par exemple la création de magistrats pour les défendre. Voici donc que de sociale la requête se fit politique.