« A Paris, les inégalités s’aggravent de manière abyssale »

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  • « A #Paris, les #inégalités s’aggravent de manière abyssale », Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot
    https://www.lemonde.fr/smart-cities/article/2019/01/29/michel-pincon-et-monique-pincon-charlot-a-paris-les-inegalites-s-aggravent-d

    La singularité parisienne tient à ses poches de très grande #pauvreté. Les espaces collectifs que sont la rue, le métro chauffé, les passages ou les centres d’hébergement abritent beaucoup de pauvres à Paris. Il y a plus de 10 000 personnes sans domicile. Un ménage sur vingt touche le RSA [revenu de solidarité active]. En 2015, le taux de pauvreté y était de 16,1 %.

    Comment cette cohabitation entre très riches et très pauvres s’organise-t-elle ?

    Il y a, à Paris, un phénomène spectaculaire qui s’apparente à une objectivation spatiale de la lutte des classes. On a, d’un côté, les beaux quartiers à l’ouest et, de l’autre, les quartiers les plus populaires à l’est et au nord. Cohabitent au sein même d’une surface très réduite les richesses les plus insondables et les pauvretés les plus atroces. Mais elles ne se mélangent pas. Une des conditions indispensables à la reproduction des inégalités, c’est que les riches vivent entre eux, dans un entre-soi qui doit être très pur. C’est le cas dans plusieurs arrondissements parisiens, comme le 7e, le 8e, une partie du 17e sud, le 16e, surtout au nord, où l’on voit une concentration de richesse. Qui se prolonge dans les villes limitrophes, comme Neuilly-sur-Seine, Meudon (Hauts-de-Seine) ou Saint-Germain-en-Laye (Yvelines).

    On assiste pourtant à la gentrification des arrondissements du nord-est de Paris. Cette évolution conduit-elle à plus de mixité sociale ?

    A l’est, la population est en train de changer avec l’arrivée d’acteurs investis dans les nouveaux secteurs de l’activité économique et sociale, comme le design, l’architecture, les nouvelles technologies, les médias, le monde de la mode… Ces gens gagnent bien leur vie et sont souvent d’origine populaire, attirés par d’anciens logements ouvriers ou d’anciennes usines réhabilitées.

    Mais la mise en place d’une vraie mixité sociale reste sociologiquement très compliquée et ambivalente. On s’est rendu compte, dans nos études, que la proximité physique a plutôt tendance à exacerber la #distance_sociale. Les jeunes couples avec de bons salaires qui vivent à la Goutte-d’Or (18e) ne se mêlent pas aux familles issues de l’immigration, notamment pour la scolarité. La population blanche va à l’école privée, la population noire, à l’école publique. La violence symbolique est toujours là.

    De nouveaux acteurs économiques, comme Uber et Airbnb, sont en train de transformer le travail et le logement à Paris. A qui profitent ces plates-formes ?

    Elles ne profitent certainement pas à la population. Avec ces plates-formes, on assiste, à Paris comme dans d’autres grandes villes, à une aggravation de la déréglementation des rapports entre les êtres humains, à la destruction des contrats sociaux, fruit de luttes extraordinaires pour la protection de l’humain. On a franchi, avec elles, une étape de plus dans le néolibéralisme, où des entreprises ne sont plus obligées de payer des impôts à leur juste mesure, de réglementer leur profession, de respecter les arrêts maladie… C’est le règne de la loi du plus fort. Ces plates-formes sont en réalité un processus d’« esclavagisation » de jeunes qui ne trouvent pas de travail et prennent des risques fous pour livrer des pizzas à toute allure.

    Sociologiquement, comment cela modifie-t-il Paris ?

    Ce qui se passe est très grave. Sur les conséquences économiques d’Airbnb, le livre de Ian Brossat (Airbnb, la ville ubérisée, La ville brûle) donne des statistiques sur les effets négatifs, sur le prix des logements, sur la crise des hôtels… D’un point de vue sociologique, en favorisant la location à des étrangers ou à des provinciaux de passage, Airbnb empêche l’installation de Parisiens et l’enracinement de gens sur le territoire. Or, on a besoin de racines pour créer l’identité d’une ville.