La démission française sur la liberté d’expression numérique

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    Et maintenant ?

    La première chose à faire, urgente et essentielle, serait de sortir du raisonnement mortifère (et réactif) « ce qui est mauvais pour les GAFAM est bon pour l’intérêt général » qui actuellement motive et oriente l’essentiel de l’action législative française en matière numérique.

    D’une part, parce que ce qui semble mauvais pour les GAFAM ne l’est pas forcément réellement pour eux. Ainsi, Google/Youtube dispose déjà de la technologie nécessaire pour appliquer l’article 13, ce qui lui donne une avance considérable sur le reste de l’industrie. Ensuite, on a appris récemment que Facebook, derrière une opposition de façade à l’article 13, poussait discrètement le législateur à l’adopter, parce que Facebook possède également une avance technologique en la matière.

    D’autre part, ce qui semble mauvais pour les GAFAM, a, a priori, des chances de l’être également pour des acteurs similaires, les hébergeurs et autres intermédiaires techniques, qu’ils soient à but lucratif ou non, et Wikimédia l’a bien compris. Difficile de se plaindre de la prééminence persistante des GAFAM lorsqu’on a savonné également la planche des services concurrents, à moins que le plan soit de renforcer cette prééminence pour avoir un lieu de contrôle, surveillance et taxation centralisé plus simple à gérer par les états.

    Dans un autre registre, on voit déjà dans les tentatives de taxation de Google et Facebook par l’état français que le crayon du législateur peut déborder : il suffit qu’un article de loi soit mal rédigé pour qu’il ait un impact bien au delà de Google ; la loi étant supposée ne pas viser un acteur particulier, ce qui serait discriminatoire, elle doit établir des principes, mais les acteurs similaires (dans le monde publicitaire en particulier) existent et, s’ils sont probablement ravis qu’on taxe Google, ils souhaiteraient éviter qu’on les taxe pour la même activité.

    Il suffit de transposer la situation fiscale à celle des articles 11 et 13 pour imaginer les dangers vis-à-vis de la liberté d’expression.

    Ensuite, parce que se focaliser sur la lutte contre les GAFAM revient à négliger les citoyens. Ceux-ci auraient du mal à migrer en masse vers d’autres services, même si cela pourrait être souhaitable, à supposer que de tels services existent. Notamment, restreindre par la loi la liberté d’expression sur les GAFAM, même si elle n’y est pas parfaite, revient à restreindre la liberté d’expression tout court.

    Enfin, la loi doit poser des principes généraux et fonctionner le moins possible par exceptions. Ainsi, l’article 13 prévoit une liste limitative d’exceptions, qui correspondent à des services déjà existants. Mais l’imagination des développeurs de sites et d’applications est plus fertile que celle du législateur et des lobbies du moment, et les possibilités d’Internet plus larges. Ainsi, si les forges de logiciel ou les encyclopédies en ligne n’existaient pas déjà, avec des acteurs de taille notable pour les défendre, les exceptions correspondantes auraient été tout simplement oubliées.

    À côté de quels autres services et usages encore inconnus sommes-nous en train de passer en écrivant la loi contre les acteurs hégémoniques du moment et pour soutenir tel ou tel groupe d’intérêt sur des modèles d’un autre temps qui, tôt ou tard, devront être repensés en fonction des possibilités de la technologie, et non contre celle-ci ?

    Et pour revenir à la liberté d’expression : elle est — en partie — incluse dans le paragraphe qui précède, dans ces futurs services, même si elle mériterait un développement. Rappelez-vous du Minitel, un modèle qui a eu son heure de gloire, mais très encadré à tous points de vue, et en particulier pour préserver le modèle de la presse papier. Pensez-vous vraiment que la liberté d’expression y était aussi étendue que sur Internet aujourd’hui ?

    Et plus largement, les attaques récentes contre l’anonymat en ligne par le gouvernement, beaucoup de politiques même dans l’opposition, et certains syndicalistes et éditorialistes montrent que la position de la France sur les articles 11 et 13 est loin d’être un accident de parcours.

    #Droits_auteur #GAFAM #Article_13 #Liberté_expression