• Si Ghosn a raison... - Libération
    https://www.liberation.fr/politiques/2019/02/07/si-ghosn-a-raison_1707957
    La Lettre Politique - Laurent Joffrin

    Ainsi Carlos Ghosn, non content de la fortune qu’il gagnait chaque année, aurait fait financer indirectement son mariage à Versailles par Renault, à travers un subtil montage de mécénat. Rien n’est avéré mais la nouvelle direction de l’entreprise a tout de même décidé de transmettre le dossier à la justice. Le lieu se prête aux comparaisons historiques : Ghosn serait-il une sorte de Fouquet, ce ministre corrompu et ambitieux du Grand Siècle ? Un Fouquet qui n’organiserait pas ses fêtes à Vaux-le-Vicomte mais louerait directement le palais de Versailles pour rivaliser avec la munificence de Louis XIV, le tout aux frais de la princesse, en l’occurrence la grande firme automobile mondiale ?

    Tout cela demande vérification et sanction judiciaire, pour le condamner ou l’innocenter. Mais quelle que soit l’issue de cette bataille, elle sera désastreuse, en tout état de cause, pour l’image de l’establishment industriel mondial. Deux thèses sont en présence, et les tribunaux diront laquelle est la bonne. Mais les deux mettent en lumière des mœurs extravagantes en vigueur au sommet des multinationales de la mondialisation heureuse.

    Si Ghosn est coupable – thèse des procureurs japonais –, il apparaîtra que l’avidité hors du commun d’un baron de la grande industrie l’a conduit non seulement à toucher des émoluments gigantesques, mais encore à abuser des facilités que lui procurait son poste pour se livrer à toutes sortes d’irrégularités destinées à financer un mode de vie de sybarite. Ce qui conduira le public à penser que la cupidité des capitalistes modernes, comme celle des satrapes du Bas-Empire, n’a décidément aucune limite.

    Et si Ghosn a raison – jusqu’à preuve du contraire, il est présumé innocent –, c’est sa thèse qui l’emportera. Laquelle consiste à accuser ses anciens collègues (et nouveaux ennemis) d’avoir couvert en connaissance de cause ses dépenses somptuaires et monté ensuite un ténébreux complot pour l’écarter, en l’accusant faussement de délits qui lui valent de croupir en prison depuis des semaines, méthodes qui sont en général réservées aux dictatures corrompues. Comportement de sybarite d’un côté, procès stalinien de l’autre : dans les deux cas, nous sommes plongés au cœur d’un univers de corruption hédoniste ou d’intrigues machiavéliques, dignes de la cour de Florence au XVIe siècle. Voilà qui ne risque pas de redorer le blason moral de « l’oligarchie » dénoncée par la gauche radicale aussi bien que par les national-populistes. On s’étonne ensuite que les démocraties libérales soient mises en cause sur fond d’indignation populaire.