J’ai reçu beaucoup de remarques m’interrogeant, parfois m’attaquant, sur un parcours personnel qui n’aurait à aucun moment dû m’amener à une quelconque identification avec les gilets jaunes.
Qui devrait me tenir bien au chaud, avec les miens, comme ils ne cessent de me le réclamer, ironisant sur des postures, semblerait-il, visant à m’écarter d’eux.
Or, je ne suis pas comme eux. Né ailleurs, de parents nés ailleurs, nés de familles modestes, ayant fui des dictatures pour se construire un destin, accueillis en France où ils se sont inscrits pour lutter d’abord, pour survivre ensuite, ensuite pour se construire, enfin pour avancer dans la dignité.
Des êtres, mes parents, qui n’ont jamais accumulé. Qui ont vécu comme des princes après avoir vécu dans la peur des huissiers, et chaque vacance, nous ramenaient auprès des nôtres, en deux petits villages d’Espagne et du Portugal, où l’on avait à cacher nos cadeaux, à partager notre générosité sans créer d’écart, à comprendre ce qu’il en était de vivre dans une petite bourgade du fin fond de l’Andalousie, de l’Alentejo. A comprendre la modestie, la partager, s’en imprégner. Combler les écarts, comprendre l’écart, la précarité de la situation qui, une fois à notre retour en France, à Paris, nous accueillerait.
Ce que cela signifiait d’avoir grandi en des arrondissements qui, à notre naissance, restaient divers, et se sont peu à peu resserrés. En des petits appartements qui sont progressivement devenus plus grands, à mesure que les plus modestes en étaient écartés.
Des lieux dont nous n’avons jamais eu propriété.
Je suis, comme tous, le fruit de mon parcours et d’entrailles que je n’ai pas décidées. Un être qui a dû, pour renoncer à la servitude à laquelle le système me demandait, au sein des grands cabinets, au Luxembourg où l’on tentait de me pousser, revenir dormir chez ses parents, sur un canapé, des mois et des mois, rompu par la vie et une séparation avec une femme aimée, détruite par la précarité, les compromissions, l’incapacité de se reconstruire un destin. Par la violence d’une classe elle installée, ironisant à la possibilité d’une difficulté, trop aveuglée par les ressemblances d’apparence, la maîtrise d’un phrasé, de références culturelles qui semblaient nous y relier.
Non, nous restions étrangers. Etrangers à leur monde, étrangers à leurs conformités. En lutte, toujours, eux et nous, parents comme enfants, pour mériter son destin, construire notre parcours, rendre ce qui avait été donné. Nous qui avons refusé de nous installer et de nous conformer.
Pour rester entiers.