• La guerre nucléaire qui vient | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/02/26/guerre-nucleaire-vient

    par Jean-Pierre Dupuy

    Chacun des deux partenaires accuse l’autre d’être de mauvaise foi et d’avoir violé le traité INF depuis longtemps. L’un et l’autre ont de bonnes raisons pour le faire. Ensemble, ils se comportent comme des garçons de onze ans se querellant dans une cour de récréation et répondant au maître : « M’sieu, c’est pas moi qui ai commencé ». À ceci près que l’enjeu n’est pas moins que la paix du monde. L’opinion internationale – « le maître » – craint une nouvelle course aux armements. Si ce n’était qu’une question de moyens ! La fin, c’est les centaines de millions de morts que j’annonçais en commençant.

    On a accusé Donald Trump de n’avoir en tout domaine d’autre politique que celle qui consiste à détricoter tout ce que son prédécesseur Barack Obama a fait, mais sur ce point il est son digne successeur. C’est dès 2014 que l’administration américaine s’est inquiétée du déploiement par les Russes d’un missile de croisière conforme en tous points aux systèmes bannis par le traité INF. Les Russes ont mis ce missile à l’essai dès 2008, sans s’en cacher puisque Poutine se plaignait en 2013 que la Russie, contrainte par le traité, se trouvait entourée en Asie par des pays, la Chine en premier lieu, qui eux étaient libres de se doter d’armes nucléaires de moyenne portée. Après pas mal d’hésitations sur la riposte adéquate, l’Amérique a tranché : le traité est mort.

    De son côté, la Russie accuse l’Amérique de tricher, par exemple en se croyant libre d’installer en Europe de l’Est des systèmes de défense faits de missiles antimissiles. Outre qu’ils violent le traité dit ABM (Anti Ballistic Missile) par lequel les présidents Nixon et Brejnev se sont engagés en 1972 à limiter drastiquement le recours aux technologies de défense contre des attaques nucléaires portées par des missiles balistiques intercontinentaux, ils peuvent se transformer aisément en armes offensives. De plus, il n’y avait pas en 1987 de drones armés, et ceux-ci peuvent avoir le même office que des missiles.

    D’abord, on ne peut pas gagner une guerre nucléaire. La question de la parité des forces en présence est donc non pertinente. La France de Mitterrand aurait dû le savoir, puisque sa doctrine s’appelait « dissuasion du faible au fort ». L’instinct de Jimmy Carter aurait dû l’emporter sur la panique de l’Europe. L’Amérique elle-même n’avait cependant pas à donner de leçon : en 1961, les dirigeants américains s’affolaient d’avoir moins de missiles nucléaires stratégiques que les Soviétiques alors qu’ils en avaient dix fois plus [1]. Avec des armes conventionnelles, c’est la force relative des armements en présence qui dissuade. Rien de tel avec l’arme nucléaire.

    Ensuite, les armes à portée intermédiaire aux côtés de celles à courte portée étaient envisagées pendant la crise comme des armes d’emploi sur le « théâtre » européen plutôt que comme des armes dissuadant l’ennemi de frapper en premier. Cela présupposait que l’on puisse envisager une guerre nucléaire limitée avec un gagnant et un perdant, où la dissuasion faisait partie de la bataille elle-même (point précédent). Or dans le domaine nucléaire, on ne dissuade pas une attaque limitée en rendant hautement crédible une menace de riposte limitée. On la dissuade en maintenant à un niveau modique la probabilité de l’anéantissement mutuel.

    Il faut noter aussi que la défense contre une attaque nucléaire surprise est impossible. Le bouclier antimissile rêvé par Reagan ne pourrait être efficace que s’il l’était à 100%. Le premier missile qui passerait au travers serait le missile de trop. Aucune technique connue à ce jour n’est à la hauteur de cette exigence de perfection absolue.

    La dissuasion nucléaire prend acte de cette impuissance de la défense. Elle la remplace par la menace de représailles « incommensurables » si l’ennemi attaque vos « intérêts vitaux ». Il est essentiel de comprendre que la défense est non seulement mise hors circuit mais qu’elle est interdite. C’est le sens du traité ABM : on ne se défend pas. C’est en effet la meilleure garantie que l’on donne à l’ennemi qu’on ne l’attaquera pas en premier. Si on le faisait, sous l’hypothèse qu’il conserve une capacité de seconde frappe, on se suiciderait. Inversement, si l’on installe des systèmes de défense par missiles antimissiles, comme les États-Unis l’ont fait autour de la Russie en violant le traité ABM, on envoie à l’ennemi le signal qu’on est prêt à l’attaquer. Celui-ci peut alors décider qu’il lui faut prendre l’autre de vitesse et l’attaquer en premier. C’est ce qu’on appelle la préemption.

    Enfin, en langage militaire américain, le petit nom de la préemption, expression d’un paradoxe révélateur, est « striking second first », qu’on peut traduire par : être le premier à frapper en second, riposter avant l’attaque, exercer des représailles avant même que l’ennemi lance ses missiles, punir le criminel en l’éliminant avant qu’il commette son crime, c’est par le second que le premier est premier, etc. Dans son dernier livre déjà cité, The Doomsday Machine (la machine du jugement dernier) Daniel Ellsberg défend la thèse que les États-Unis n’ont jamais pris la dissuasion au sérieux et qu’ils se sont toujours préparés à frapper en premier.

    L’Amérique d’abord, bientôt suivie par la Russie, a trouvé une solution à ce problème sous le nom de « launch on warning » (« lancement déclenché par une alerte »). Si un système défensif détecte le lancement de missiles nucléaires ennemis, il déclenche immédiatement ses propres missiles sans attendre que les premiers atteignent leurs cibles. On s’assure ainsi contre le risque de se retrouver sans force défensive une fois celle-ci détruite par les missiles ennemis. Le problème est que les systèmes d’alerte sont connus pour fonctionner de manière très approximative. On ne compte plus les erreurs d’interprétation, les mauvais calculs, les fausses alertes.

    Ce qui risque de déclencher la guerre nucléaire à venir, ce ne sont donc pas les mauvaises intentions des acteurs. L’incrédulité générale par rapport à cette éventualité vient de la question que l’on pose immédiatement et par laquelle nous avons commencé : qui pourrait bien vouloir une telle abomination ? Ni Kim ni Trump ne veulent la guerre vers laquelle peut-être ils entraînent le monde tels des somnambules, pas plus que ne la voulaient Kennedy et Khrouchtchev pendant la crise des missiles de Cuba. Le tragique, c’est que cela n’a aucune importance. Comme dans les mythes les plus antiques, la tragédie s’accomplira par le truchement d’un accident, la nécessité par celui d’une contingence.

    #Guerre #Nucléaire

  • Le « #Grand_Débat » ou quand l’idéologie s’ignore | AOC media - Analyse Opinion Critique
    https://aoc.media/opinion/2019/02/18/grand-debat-lideologie-signore

    Lecture chaudement recommandée (AOC offre la lecture gratuite de 3 articles par mois, moyennant la création d’un compte lecteur – et la réception régulière de messages, lettres et autres offres…)

    Versant numérique du « Grand Débat National », un questionnaire a été mis en ligne. Mais pourquoi ces questions ? Pourquoi celles-ci plutôt que d’autres, différemment formulées, autrement conçues et articulées ? S’écartant prudemment des tentations de l’imagination créatrice et de l’inventivité sociale, leur rhétorique reste prisonnière d’un objectif de légitimation des politiques menées. Deux hauts fonctionnaires tentent de mettre à jour quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent l’idéologie à l’œuvre dans cet ensemble de questions, et de réponses suggérées.
    […]
    Il nous a semblé d’utilité publique de mettre à jour ici quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent la rhétorique de ces questionnaires.

    Nous avons conscience qu’il y a là matière à travail pour des générations de sociologues et de psychologues des phénomènes sociaux. Les biais cognitifs ne manquent pas – tant pour énoncer les questions que pour interpréter ensuite les réponses qui leur auront été données. Tâcher d’identifier le plus grand nombre possible de ces biais représente une première étape de l’indispensable travail critique qui ne doit jamais cesser d’être mené dans une démocratie. Diffuser le résultat de ce travail pour inviter le plus grand nombre à y contribuer en est une autre.

    C’est pourquoi il nous a semblé d’utilité publique de mettre à jour ici quelques-uns des ressorts plus ou moins conscients qui sous-tendent la rhétorique de ces questionnaires. En manière d’esquisse pour un décryptage ironique du grand questionnaire, voici quelques exemples de formulations orientées, particulièrement prégnantes dans les deux chapitres dédiés à l’organisation de l’État d’une part, et aux finances publiques d’autre part. Il resterait à faire l’autopsie complète de l’ensemble des fiches thématiques, voire à créer un « contre-questionnaire » – mais quelle formation politique s’y risquera ?

    • Au fil de la lecture,…

      L’analyse que faisait Pierre Bourdieu de cet « effet d’imposition de problématique » reste plus que jamais pertinente, et nous ne résistons pas au plaisir de rappeler ce que l’Antéchrist des conservateurs de tout poil écrivait dans « L’opinion publique n’existe pas » : « En fait, ce qui me paraît important, c’est que l’enquête d’opinion traite l’opinion publique comme une simple somme d’opinions individuelles, recueillies dans une situation qui est au fond celle de l’isoloir, où l’individu va furtivement exprimer dans l’isolement une opinion isolée. Dans les situations réelles, les opinions sont des forces et les rapports d’opinions sont des conflits de force entre des groupes. » Imposant des problématiques, mettant en demeure de répondre à des questions que l’on ne s’était pas posées ou à tout le moins pas dans la forme exigée, ces questionnaires qui se prétendent objectifs demeurent, irréductiblement, des moyens par lesquels une subjectivité particulière vient vampiriser un réel qui n’en demandait pas tant et qui ne cesse, en dépit de tous les efforts de ceux qui tentent de l’encager pour le neutraliser, de déborder des « cases » et autres typologies auxquelles on cherche à l’assigner.

    • Magie de l’intelligence collective. Ce sont ces textes découvert et amenés par Simplicissimus, Dror, etc... dont nous avons [énormément] besoin en ce moment, pour penser, réfléchir, échanger, avancer Et j’espère un jour provoquer un changement dans les mentalités et disqualifier les idées reçues.

    • Il y a tellement de signalements à lire ici qu’on y passerait la journée (bonjour le retard dans les projets) mais j’essaye de lire un texte par jour. Aujoud’hui celui-ci (merci 7h36). Et merci Simplicissimus.

      Très long texte, passionnant, mais presque tout est dit dans le premier paragraphe :

      « Face à un mouvement des « gilets jaunes » dont nombre de participants proclament leur volonté de se réapproprier la parole et l’action politiques, la réponse apportée sous la forme du « grand débat national » est celle d’une délibération organisée par le haut. À la remise en cause de la légitimité de la démocratie représentative, il s’agirait de répondre par un grand exercice « participatif » … dont les conditions sont définies par le pouvoir en place. Lorsque les citoyens ne se sentent pas suffisamment représentés, la tâche du pouvoir politique et des institutions serait de s’abaisser jusqu’à eux pour leur donner la parole – sous conditions. S’exprime ici une vision de la démocratie dans laquelle le citoyen n’est légitime à prendre la parole que dans un cadre imposé, toute autre prise de parole étant immédiatement assimilée à une forme d’expression antidémocratique et, en tant que telle, violente. »

  • La folle #interdiction administrative individuelle de manifester

    Loin de défendre le droit de manifester ainsi que ses promoteurs le prétendent dans une #novlangue familière à tous les lecteurs de George Orwell, la #loi « anti-manifestants » l’abîme et participe, au nom de la défense de l’#ordre_public, à un abaissement qui désormais semble irrémédiable des défenses immunitaires des libertés individuelles et collectives.

    https://aoc.media/opinion/2019/02/14/folle-interdiction-administrative-individuelle-de-manifester
    #droit_de_manifester #manifestations #France #loi_anti-manifestants #liberté