Le 17 novembre 1760, l’Utile, un navire de commerce de la Compagnie française des Indes orientales, quitte Bayonne et cingle vers les îles Mascareignes. Le navire s’arrête à Madagascar pour faire provision de vivres, et, contrairement aux ordres du gouverneur, le capitaine Jean de la Fargue embarque soixante esclaves, qu’il compte vendre à l’île de France, l’actuelle île Maurice, avec le reste de sa cargaison. Mais une tempête détourne l’Utile de sa route. Le navire s’échoue et se brise sur les récifs de cet îlot qu’on nomme île des Sables, un banc de sable d’à peine deux kilomètres de long et huit cents mètres de large, planté de quelques palmiers. Presque tous ceux qui parviennent à gagner la terre ferme sont blessés ou estropiés, tous sont totalement hagards. Les survivants commencent à construire une embarcation avec l’épave du navire. Deux mois après le naufrage, elle est terminée : l’équipage français prend ainsi le large — cent vingt-deux hommes entassés comme des sardines, qu’on ne reverra plus —, en promettant d’aller quérir de l’aide. Les esclaves sont abandonnés sur l’île. Ils sont libres, mais leur liberté mesure un kilomètre carré, et ils sont plus prisonniers que jamais, esclaves de leur volonté de survivre. Ils font du feu, creusent un puits, se tressent des vêtements de plumes, capturent des oiseaux marins, des tortues et pèchent des crustacés. Certains sont si désespérés qu’ils embarquent sur un radeau et partent à la dérive — tout plutôt que de rester sur ce bout de terre, livrés à l’espoir et à la vie. Les autres gardent le feu. Quinze ans après, il brûle toujours. Des soixante esclaves libres, il ne reste que sept femmes — et un petit garçon encore au berceau. Le 29 novembre 1776, ils sont découverts par l’équipage de la corvette La Dauphine qui les prend à son bord et les achemine vers l’île de France. Ils laissent à l’île des Sables les braises éteintes du feu et le nom de leur sauveur, un officier de la Marine royale capitaine de corvette, le chevalier de Tromelin.