« Ceci n’est pas un atlas ! » : comment contre-cartographier le monde - Nigra

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  • [Book] This is not an atlas

    Attention pépite

    This is not an atlas, est un bel ouvrage papier et pdf proposé en open access, qui rassemble plus de 40 documents de type « contre-cartographies » venant du monde entier.

    Ce n’est donc pas un atlas, au sens classique du terme : les projets (ou documents mis en avant) n’ont en effet pas pour vocation de restituer sous une forme cartographique formalisée une occupation de la surface terrestre, élaborée dans un contexte opérationnel.
    L’objectif de cet ensemble de documents, rassemblés par le kollektiv orangotango, uniques et non comparables, est plutôt de montrer comment des représentations territoriales sont pensées, discutées et fabriquées, coproduites avec les populations concernées dans un contexte de recherche critique, mêlant des considérations artistiques à des objectifs pédagogiques, d’éducation critique.

    La réflexion prend en effet souvent corps dans un contexte de lutte politique de diverses populations qui vont ainsi s’emparer de la « cartographie » pour proposer leur vision de leur territoire en s’appuyant sur des matériaux divers. Les représentations qui en découlent sont subjectives, en ce sens qu’elle parlent de leurs concepteurs-réalisateurs qu’il s’agisse d’indigène latino-américains, de femmes marocaines ou de réfugiés libanais.

    Lire la suite dans une courte recension proposée sur le site de Neocarto : https://neocarto.hypotheses.org/5922

    Les productions étant classées par catégorie, sujet et région du monde concernée, etc. il est possible de consulter des projets ciblés. Par exemple, ceux qui relèvent (au hasard) du sujet Movement.

    Voir une présentation du projet de contre-cartographie web Watchthemed sur Neocarto : https://neocarto.hypotheses.org/5906

    Toutes les productions sont consultables en ligne, sur le site du NonAtlas ici : https://notanatlas.org/#atlas-maps

    #atlas #contre-cartographie #nonatlas #géographie #représentation #territoire #critique #activisme

  • « Ceci n’est pas un atlas ! » : comment contre-cartographier le monde - Nigra - Visionscarto
    https://visionscarto.net/recension-this-is-not-an-atlas

    Sous le signe des « trois c : critique, contre et cartographie » a paru en septembre 2018 chez Transcript Verlag l’impressionnant ouvrage This is Not an Atlas. Sur 346 pages, le collectif ORANGOTANGO+ et 41 autrices et auteurs ou groupes de tous pays nous montrent ce qu’est la contre-cartographie et de quelle façon elle peut contribuer à l’action politique envisagée par la base.

    Une recension proposée par Nigra

    Cet article est paru en allemand dans la revue Gai Dao, n°98 de février 2019
    Traduction de @nepthys

    #livre #cartographie_radicale #cartographie_critique #contre-cartographie

    • « La cartographie est morte, vive la #contre-cartographie ! »

      C’est à partir de la célèbre formule de Magritte : « Ceci n’est pas une pipe », que le collectif Orangotango baptise son ouvrage : This Is Not an Atlas : A Global Collection of Counter-Cartographies, publié en 2018 ( Figure 1 ci-dessus : couverture de This Is Not an Atlas (source : https://notanatlas.org/book).

      Tels des surréalistes, les activistes et géographes d’Orangotango « tirent sur une foule de cartographes » – pour paraphraser André Breton – au moyen d’une série de productions et textes volontairement critiques. Critiques, les auteurs de cet anti-atlas le sont par leur projet politique et leur posture théorique.

      En effet, la contre-cartographie désigne un ensemble d’initiatives destiné à déconstruire les conventions cartographiques et les systèmes sociotechniques qui les produisent (Wood et al., 2020). Sur les ruines de l’ancienne cartographie, « morte » selon Wood (2003), les contre-cartographes fondent une approche résolument alternative. À l’inverse des cartes qui s’attachent à une description fidèle et pseudo-objective du monde – caractéristiques des atlas « traditionnels » –, les productions exposées dans This Is Not an Atlas ne prétendent pas à la neutralité. L’occasion de rappeler le rapport de la carte à son producteur, donc d’en célébrer la créativité. Une subjectivité que l’on retrouve dans l’usage des données, et leur mode de constitution.

      La pratique des contre-cartographes ne s’arrête pas là. Dans le sillage d’auteurs post-modernes et marxistes, dont Brian Harley, ils se mettent au service de la justice sociale, donc basculent du côté de la praxis. Si « longtemps, les cartes ont été réservées aux puissants » (Bord, 2003), et ont servi leurs intérêts propres (Branch, 2011 ; Desbois, 2015), pour nos auteurs, il s’agit de dégager la production cartographique du cadre institutionnel, académique et étatique dans lequel elle est produite. De la sorte, nul renouvellement de la fonction de la carte : celle-ci reste un discours sur le réel et donc un instrument de transformation du monde, mais cet usage est ici pleinement assumé et mis au service de l’émancipation des femmes et des hommes.

      Ni une somme de savoirs géographiques, ni un outil d’institutionnalisation d’un État (Morel, 1993), cet ouvrage n’est, à proprement parler, pas un atlas. Il s’agit bien plutôt d’une « collection » : des dizaines de cartes, et tout autant de luttes politiques et de mondes possibles.

      En dépit d’une structuration en chapitres, les éditeurs réfutent toute cohérence linéaire à l’atlas, ce qui en facilite l’exploration. Nous, lecteurs, naviguons alors entre cartes autochtones, l’œuvre de Fahlström, cartes mentales et images satellites, réunies selon qu’elles servent une action politique (chapitre 1), qu’elles aident à coordonner un collectif (chapitre 2), ou encore qu’elles participent au dévoilement du réel, à l’instar des travaux de Philippe Rekacewicz sur les aéroports (chapitre 6). En se basant sur sa propre expérience, le cartographe du Monde diplomatique a illustré comment les autorités de l’aéroport, de collusion avec les compagnies commerciales, structurent l’espace du bâtiment pour organiser la mobilité des voyageurs. D’entrée, les voyageurs sont désorientés (signalétique, magasins identiques), avant d’être poussés à la consommation dans des lieux dédiés. À Oslo, à mesure que l’espace des magasins (en rouge) progresse, l’espace public (en bleu) diminue (figures 2, 3 et 4). À Copenhague, le retrait de places assises de cet espace le prive de tout aspect fonctionnel et attractif. Rekacewicz parle d’une forme subtile, quasi « invisible », de totalitarisme.


      À la composante « pratique » du projet d’Orangotango est accoudée une entreprise théorique critique. En sciences humaines, les travaux qui se revendiquent d’une démarche semblable foisonnent, tant et si bien qu’on ne sait comment distinguer ce qui est critique de ce qui ne l’est pas (Blomley, 2006). En un mot, la critique en cartographie revient à une déconstruction des discours latents à la carte et à sa production. Rationnelle et scientifique, elle est aussi rejet des postulats positivistes et déterministes. Ainsi la critique a de quoi nous prémunir contre une pratique trop innocente de la géographie. Dans le dernier chapitre de l’atlas, elle passe au crible les bases de données spatiales – de quoi intéresser le géomaticien. En premier lieu, Mark Graham insiste sur les inégalités d’accès au digital dans le monde (figure 5).


      L’Amérique du Nord, l’Europe de l’Ouest et le Japon – la « Triade » dans la vulgate économique – présentent, avec l’Australie, la Corée du Sud ou encore le Qatar, les taux les plus forts de citoyens en ligne (> 80 %), loin devant l’Inde, l’Amérique centrale ou l’Afrique australe (< 20 %). L’absence d’une partie de l’humanité sur le web a pour corrélat l’incomplétude de bases de données collaboratives (OpenStreetMap, Wikipedia) (figure 6), qu’elles se veulent exhaustives (Geonames), ou non. On notera, d’ailleurs, le souci chez Graham de faire varier les projections (projection de Fuller, polyhédrale, pour la figure 6).

      En définitive, qu’est-ce que la contre-cartographie ? C’est employer la cartographie comme une arme politique, un vecteur pédagogique, ou encore un moyen d’introspection. C’est innover par la forme (sémiologie, matériaux, dimensions, projection, etc.), cartographier « pour une cause », seul ou à plusieurs, encourager une ontologie de la diversité, se montrer sceptique, multiplier les explorations. Enfin, c’est aider à la diffusion des cartes, notamment par voie numérique. Rien d’étonnant, donc, à ce que This Is Not an Atlas soit en accès libre sur internet : https://notanatlas.org/book.

      Pour celles et ceux qui souhaiteraient aller plus loin, je vous invite à lire les billets de visioncarto (https://visionscarto.net/recension-this-is-not-an-atlas) et de Françoise Bahoken (https://neocarto.hypotheses.org/5922), et à feuilleter l’atlas, évidemment !

      Bibliographie :
      Blomley, N. (2006). Uncritical critical geography ? Progress in Human Geography, 30(1), 87‑94. https://doi.org/10.1191/0309132506ph593pr
      Bord, J.-P. (2003). Cartographie, géographie et propagande. Vingtieme Siecle. Revue d’histoire, no 80(4), 15‑24.
      Branch, J. (2011). Mapping the Sovereign State  : Technology, Authority, and Systemic Change. International Organization, 65(1), 1‑36. https://doi.org/10.1017/S0020818310000299
      Desbois, H. (2015). Les mesures du territoire. Aspects techniques, politiques et culturels des mutations de la carte topographique. ENSSIB.
      Morel, P. (1993). L’État médicéen au XVIe siècle  : De l’allégorie à la cartographie. Mélanges de l’école française de Rome, 105(1), 93‑131. https://doi.org/10.3406/mefr.1993.4252
      Wood, D. (2003). Cartography is Dead (Thank God !). Cartographic Perspectives, 45, 4‑7. https://doi.org/10.14714/CP45.497
      Wood, D., Krygier, J., E Thatcher, J., & Dalton, C. (2020). Critical Cartography. In International Encyclopedia of Human Geography (p. 25‑29). Elsevier. https://doi.org/10.1016/B978-0-08-102295-5.10529-3

      https://mastergeonum.org/2020/10/07/la-cartographie-est-morte-vive-la-contre-cartographie

      via @reka