Puisque c’est les vacances et que tu ne sais pas quoi faire avec tes niards, je te livre mon truc à moi que j’ai développé un peu par hasard, un peu par goût, et que j’aurais bien aimé qu’on me donne le truc plus tôt : avec les enfants, on dessine.
Oui, je sais, évidemment que tes enfants ils dessinent déjà. Mais ce qu’on a trouvé, avec ma bande, c’est de se promener systématiquement avec des carnets et une trousse de crayons, à chaque fois qu’on va se promener. Parfois c’est juste pour se passer le temps quand on a une pause dans l’après-midi, mais le plus souvent c’est l’alibi de la visite.
La règle number ouane, je pense, c’est que tu dois dessiner aussi. Si l’adulte, déjà, il fait son timide (« mais je sais pas dessiner »), je crois que c’est pas la peine. Avec les enfants, on dessine tous, on s’encourage, on se trouve des idées de dessins, des thèmes, et on rate et on réussit, mais ensemble.
Ça a commencé un peu par hasard l’année dernière, aux soldes de février. Au supermarché, ils bradaient des carnets un peu rigolos, mais de bonne qualité, couverture rigide, format A5, avec un élastique de fermeture. Normalement vendus 9 euros, bradés à 1 euro pièce. J’en ai pris une dizaine, en me disant que ça ferait plaisir aux enfants.
On a commencé timidement, un dimanche de mi-saison : on s’est fait un « safari-dessin » dans Montpellier, en commençant par notre rituel dimanche matin au Peyrou. Comme tu te doutes, un safari-dessin, c’est comme un safari-photo, mais avec des dessins. On a poursuivi en ville, la porte du Peyrou, la petite s’est mise à dessiner les lampadaires, ma bande ultra-concentrée. Idée géniale de ma grande (9 ans à l’époque) : une fois terminé son dessin sur la page de gauche, montrer et recueillir nos commentaires, et les écrire sur la page de droite. Ça a super-bien donné. Les petits s’y sont mis aussi, avec des pages de droite entièrement en phonétique (6 ans au moment du crime).
Et puis après presque deux heures, un peu marre, alors fish-and-chips et direction le parc de jeux. C’est pratique les carnets et les crayons, ça coûte rien, et quand on en a assez on fait autre chose sans culpabiliser.
On a continué comme ça pépère depuis. J’ai toujours nos carnets (j’insiste : j’ai un carnet aussi, forcément, sinon c’est pas du jeu). Le plus souvent c’est pour combler une pause. Souvent tout de même c’est l’alibi de la promenade (« safari-dessin » donc). Et de temps en temps, c’est vraiment l’activité de la journée : par exemple, les dimanche où il pleut, à Montpellier c’est un peu mort, je propose « on va dessiner au musée Fabre ? », et figure-toi que mes petits, ça les botte d’aller au musée pour dessiner les statues. Des fois, on se pose sur un banc et on se dit des sujets (les sujets les plus cons sont les meilleurs), et en fonction du temps on fait une page façon bédé, ou juste un dessin pour illustrer, et ensuite on compare nos trouvailles en ricanant parce que c’est très con.
Astuce du musée : il y a des gens tout nus et on voit leurs fesses, et ça ça les amuse beaucoup. Mon mecton est hyper-concentré, il peut dessiner la même statue pendant une bonne heure. La ch’tite, elle, va plus vite, il faut trouver des sujets. Une fois au milieu des Injalbert, elle commençait à gigoter mais avec les autres on n’avait pas terminé, je lui ai suggéré de dessiner les fesses des statues, ça l’a éclaté. Sinon, règle aussi dans les musées : on a le droit de s’étaler dans n’importe quelle position pour réussir à dessiner ce qu’on veut. S’il faut être assis tout droit en tailleur, c’est chiant.
Un jour ma grande m’a dessiné en train de dessiner mon ch’tit et ma ch’tite qui étaient en train de dessiner un tableau de Bazille en train de peindre Sisley (lequel était peut-être en train de peindre la Macreuse qu’on peut voir dans la même salle…) au musée Fabre. Le concept qu’on s’est surtout bien marrés…
Si tu veux, le but n’est pas tant de dessiner pour dessiner, même si je trouve ça très bien de s’entraîner à dessiner. Pour les enfants, je vois plein d’autres avantages…
– D’abord on s’occupe intelligemment pour pas cher. N’est-ce pas que c’est bien de mettre les sous ailleurs. Et je trouve très sympa de s’habituer à faire des activités qui ne sont pas basées sur la pure consommation (ce qui était un aspect qui me pesait dans nos sorties à Paris).
– Ce que j’aime beaucoup dans cette activité, c’est qu’on fait quelque chose ensemble, ou plutôt l’un·e à côté de l’autre, sans trop parler. Un peu comme regarder la mer sans parler avec un·e ami·e. Quand on dessine, on est ensemble, on le fait parce qu’on sait qu’on est ensemble, et on n’a pas besoin de bavarder ni pour s’occuper, ni pour « échanger ». (Ça n’empêche que c’est marrant et que souvent on rigole bruyamment après.) C’est aussi pour ça que l’adulte doit dessiner, à mon avis : pour que ce soit bien un instant de complicité.
– Un avantage induit épatant : c’est un outil formidable pour les enfants pour discuter avec des adultes qu’ils rencontrent. On tombe sur un·e dessinateurice en dédicace, on visite une petite expo, etc. : alors on montre les carnets des enfants, et les artistes-adultes sont toujours super-sympas quand ils voient ça, délivrent des encouragements de professionnels, les plus sympas en profitent pour demander une dédicace aux enfants, je ne sais quoi, et tu as des petits de 6/10 ans qui interagissent de manière très créative avec des adultes qui ne sont pas en train de se forcer pour trouver quelque chose à dire à des petits gosses (tu sais, le genre « et tu es en quelle classe ? » pour essayer de faire mine de s’intéresser). Là, c’est assez systématique : « ah bon, vous dessinez ? Faites voir ? Ouah c’est super… », et hop des petits se retrouvent dans une conversation « d’égal à égal » avec un adulte lui-même plutôt content de la tournure de la discussion.
– Et enfin ça nous donne une raison d’entrer dans les galeries quand on se promène, alors que sinon on n’oserait pas (et j’aurais peur que les enfants n’aient pas envie et s’ennuient : maintenant ils sont demandeurs). On a même visité plein d’ateliers d’artistes quand c’étaient les portes ouvertes, ils étaient ravis (et figure-toi : les artistes aussi, de voir des petits qui posent des questions et montrent leurs œuvres).
Pour terminer : la grosse surprise c’est que les gamins adorent ça. Je n’imaginais pas qu’on pouvait aller régulièrement au musée le dimanche quand il pleut pour faire dessiner de jeunes gamins, et que ça les amuse autant. Quand j’en parle à d’autres adultes, j’ai trop souvent des réactions du genre « mais mes enfants ne savent pas dessiner » (alors ça, c’est faux et de toute façon on s’en fout), parfois « mais moi je sais pas dessiner » (alors ça, encore une fois, on s’en fout, c’est pas concours d’entrée aux Beaux-Arts, c’est un truc pour passer du temps en complicité avec les niards), et le plus souvent : « ça va pas leur plaire, c’est pas leur truc, ils aiment pas ça… », alors que pour le coup c’est le préjugé de l’adulte qui s’exprime – que j’ai constaté que, surprise surprise, c’est l’une des activités préférées des enfants.