• La surconsommation d’opioïdes est liée à la pauvreté, selon une étude, Chloé Hecketsweiler
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/20/la-surconsommation-d-opioides-est-liee-a-la-pauvrete-selon-une-etude_6030149

    Ce travail inédit, réalisé en France, révèle également que les politiques de lutte contre la précarité ont un effet positif sur la réduction de l’usage des antalgiques opiacés.

    La #pauvreté incite-t-elle à consommer davantage de médicaments #opiacés ? Ou ces antalgiques entraînent-ils certains patients dans une spirale d’addiction et de déclin ? Pour la première fois, des économistes se sont penchés sur le cas de la France, et pour eux, dans l’Hexagone du moins, la première hypothèse est la bonne.

    Lire aussi Antalgiques : les chiffres inquiétants de l’addiction aux opiacés en France
    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/22/antalgiques-les-chiffres-inquietants-de-l-addiction-aux-opiaces-en-france_54

    Selon leurs calculs, l’augmentation du taux de pauvreté de 1 % dans un département se traduit par une augmentation de 10 % de médicaments opiacés. Ces chercheurs de l’Université libre de Bruxelles (ULB) ont exploité les données de vente d’antalgiques en France entre 2008 et 2017 – jusque-là jamais exploitées à l’échelle départementale – et plusieurs indicateurs socio-économiques : le taux de pauvreté (14 % en moyenne dans le pays), le taux de chômage, la densité de population ou le niveau d’éducation. Cette approche leur a permis d’étudier l’influence de ces différentes variables, et de comparer les départements entre eux.

    « Morts de désespoir »

    « Ce résultat valide l’hypothèse des “deaths of despair” [morts de désespoir] américains », commente Mathias Dewatripont, l’un des coauteurs de l’étude, qui n’a pas encore été publiée. Conceptualisée par le Prix Nobel d’économie Angus Deaton et sa consœur Anne Case, cette hypothèse explique la surmortalité liée aux drogues et aux médicaments par le blues de la « working class » américaine, prise au piège d’une économie en berne. Aux Etats-Unis, les antalgiques opiacés ont ainsi causé au moins 200 000 décès depuis 1999. Près de 100 milliards de comprimés ont été distribués pour la seule période 2006-2014.

    Cette crise pourrait-elle se propager en Europe ? En matière de consommation d’opioïdes, la France arrive en quatrième position, après le Royaume-Uni, l’Allemagne et l’Espagne, mais les autorités s’inquiètent de l’engouement des patients pour certaines molécules. En janvier, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a ainsi placé sous surveillance le Tramadol, après avoir constaté une augmentation des mésusages et des décès. Il s’agit de l’antalgique opiacé le plus consommé en France, avec des prescriptions en hausse de près de 70 % en dix ans. « Les gens dans la pauvreté, qui se sentent abandonnés des services publics parce qu’ils sont dans les zones rurales, qui sont moins éduqués et donc ont du mal à se réadapter au marché du travail, représentent une population à risque », souligne M. Dewatripont, ancien directeur de la Banque nationale de Belgique.

    Pour corroborer leurs résultats, les auteurs se sont intéressés aux changements induits par la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) à partir de 2007 dans une partie des départements et à partir de 2009 partout en France. « Il y a un effet positif de cette politique en termes de réduction de la consommation d’opioïdes », note Mathias Dewatripont. « Si vous avez mal au dos, et que vous êtes moins pauvre, vous avez davantage les moyens de vous payer un abonnement au fitness », schématise-t-il. ["davantage de moyens" grâce au RSA, le propos est délirant, peut-être font ils référence à la prime d’activité... ndc]

    Cette étude suggère d’autres pistes possibles pour réduire la consommation d’opioïdes. « Sensibiliser les médecins et les inciter à prendre davantage de précautions avec les patients à risque est une première piste », avance Ilaria Natali, l’une des coauteurs. « Il faudrait aussi améliorer la pharmacovigilance, afin de détecter les patients qui font du shopping auprès de plusieurs docteurs et pharmacies », poursuit-elle.

    « Prendre en charge le patient et pas seulement la douleur »
    Cette analyse à l’échelle nationale confirme ce que les médecins observent sur le terrain. « La précarité sociale rend plus vulnérable à certaines maladies associées à des #douleurs_chroniques » , témoigne le professeur Nicolas Authier, qui dirige le centre de la douleur au CHU de Clermont-Ferrand et l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA). Une étude menée par son équipe en 2015 sur 120 patients avait révélé qu’un sur cinq était en situation de vulnérabilité sociale et un sur six en situation de précarité.

    Le médecin évoque l’impact du mode de vie, notamment le tabagisme, plus élevé chez les personnes défavorisées. Une étude publiée en 2017, portant sur près de 190 000 personnes, avait ainsi révélé que les cancers du poumon ou du larynx frappaient davantage les plus pauvres. Or 30 % des opioïdes forts sont prescrits en cancérologie. De même, le diabète, dont les complications peuvent être très douloureuses, touche davantage les plus défavorisés.

    « Soigner suppose de prendre en charge le patient douloureux dans sa globalité, avec ses problèmes financiers, de logement, et pas seulement la douleur », insiste M. Authier. « Le temps d’écoute est très important. Or la place des travailleurs sociaux dans le parcours de soins est insuffisante pour une bonne prise en charge », regrette ce psychiatre, qui plaide pour la création de structures intermédiaires entre les médecins de ville et les centres de la douleur.

    Les patients doivent aujourd’hui attendre entre trois et neuf mois pour obtenir un rendez-vous dans son centre. « C’est trop long », déplore-t-il. Pour certains antalgiques opiacés, un phénomène de dépendance peut apparaître après seulement quelques semaines de traitement. Et le sevrage est d’autant plus difficile qu’ils ont un effet anxiolytique ou antidépresseur qui peut être recherché par les patients une fois leur douleur disparue.

    Examinée à la loupe par les économistes de l’ULB, la consommation d’#oxycodone – un antalgique deux fois plus puissant que la morphine – n’est pas liée aux taux de pauvreté. Multipliée par sept en dix ans, elle s’expliquerait par d’autres facteurs non pris en compte par leur modèle, comme l’impact du #marketing des #laboratoires. « On sait qu’il y a un lien. Les laboratoires ne paient pas des commerciaux pour rien. Il n’y a qu’à voir les chiffres de ventes du Tramadol et de l’oxycodone », avance le professeur Authier.

    En France, l’oxycodone est notamment commercialisé sous la marque OxyContin par Mundipharma, filiale de la firme américaine Purdue, bien connue pour ses dérapages. « La situation en France n’a rien à voir avec celle des Etats-Unis. Mais est-elle épargnée ou juste en retard ? », s’interroge Mathias Dewatripont. En 2015, près de 10 millions de Français, soit 17 % de la population, avaient reçu une prescription d’opioïdes.

    #opioïdes

  • Antalgiques : les chiffres inquiétants de l’addiction aux opiacés en France
    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/02/22/antalgiques-les-chiffres-inquietants-de-l-addiction-aux-opiaces-en-france_54

    Dans un état des lieux publié mercredi 20 février, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) met en garde contre les risques de dépendance résultant d’une surconsommation des médicaments antidouleur contenant des opiacés ou des dérivés, qualifiée de « préoccupation majeure des autorités de santé ».

    Le nombre d’hospitalisations liées à la consommation de ce type de médicaments a ainsi presque triplé (avec une hausse de 167 %) entre 2000 et 2017, tandis que le nombre de décès a augmenté de 146 % entre 2000 et 2015. D’après les données de l’Assurance-maladie, près de dix millions de Français ont eu une prescription de ce type d’antalgiques en 2015.

    Avec un total estimé entre deux cents et huit cents décès chaque année (le haut de la fourchette inclut une consommation illégale de médicaments opiacés), les opioïdes constituent la première cause de morts par overdose en France. Par comparaison, l’héroïne a tué quatre-vingt-dix personnes en 2016, la méthadone cent quarante. Premiers responsables de cette mortalité : le tramadol, la morphine et la codéine.

    Mais cette mortalité n’est pas seulement liée aux consommateurs habituels de drogues : dès la fin 2013, Jean-Pierre Couteron, alors président de la Fédération addiction, et Pierre Chappard, président de l’association PsychoActif, alertaient ainsi sur la codéine et le tramadol comme « l’héroïne de M. et Mme Tout-le-Monde » dans leur blog Psychoactif. Des pratiques qui « concernaient plutôt des personnes socialement insérées », insistaient-ils.

    Selon l’ANSM, les consommateurs d’antalgiques sont majoritairement des femmes, que ce soit pour les opioïdes faibles ou forts (respectivement 57,7 % et 60,5 % en 2015), consultant pour une affection de longue durée (ALD) impliquant une douleur aiguë. Les prescripteurs sont à près de 90 % des médecins généralistes.

    #Opioides #France