En défense de la sauvagerie

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  • Qui veut la mort de la nature ? | À propos de : Virginie Maris, La part sauvage du monde
    https://laviedesidees.fr/Qui-veut-la-mort-de-la-nature.html

    Cette critique apparaît d’autant plus nécessaire pour Virginie Maris que les pensées de la fin de la nature lui semblent triompher actuellement dans toutes les sciences de l’environnement, de la sociologie à l’économie en passant par la biologie de la conservation. Partout, l’appel à penser au-delà du dualisme de la nature et de la culture, porté notamment en France par Bruno Latour et Philippe Descola, aurait été entendu. Il serait de surcroît efficacement relayé depuis une dizaine d’années par les défenseurs de l’#Anthropocène pour qui le terme entérinerait précisément la disparition de la #nature-altérité. Pour l’auteure, l’idée d’Anthropocène s’apparente à une prophétie auto-réalisatrice : à trop annoncer l’omniprésence humaine sur la planète, on finit par oublier l’existence d’espaces qui ne sont encore actuellement que très marginalement modifiés par les humains et l’on accélère par là leur disparition. Pour Virginie Maris, les penseurs de l’Anthropocène décrivent au fond un monde à leur mesure, un monde qui serait désormais entièrement modelable par les humains. Dans cette nouvelle pensée environnementale, la nature est trois fois dissoute, victime d’une triple absorption :

    l’absorption technique, à travers le brouillage de plus en plus indémêlable entre naturalité et artificialité ; l’absorption économique, avec la montée en puissance de la rationalité économique et des outils de conservation inspirés du marché ; l’absorption bureaucratique, à travers la multiplication des dispositifs de suivi et la gigantesque accumulation de données sur les systèmes écologiques à tous les niveaux d’organisation et à toutes les échelles spatiales.

    Rejoignant la critique portée par le philosophe Frédéric Neyrat contre les pensées de l’« après-nature » [https://seenthis.net/messages/492604 ], Virginie Maris conteste que le dépassement du grand partage entre les humains et la nature soit porteur d’un double gain pour les sciences et pour la politique. Alors même que celui-ci devait permettre d’échapper à l’alternative incapacitante entre la naturalisation des cultures et l’acculturation de la nature et autoriser enfin l’étude lucide de la construction des savoirs scientifiques et des décisions politiques, la philosophe soutient qu’il conduit surtout à mettre ces processus sous la coupe d’un modèle unique, celui des sciences du système Terre. À l’opposé de la démocratisation des politiques écologiques, l’objectif d’en finir avec la nature et la société ouvrirait en dernière instance sur un projet de « gestion globale de la planète et de ceux qui la peuplent ».

    • Cela recoupe les propos d’Andreas Malm dans « Nature et société : un ancien dualisme pour une situation nouvelle »

      https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2017-1-page-47.htm

      Il y prend position non pas pour un dualisme de substance qu’il serait bien ridicule de soutenir encore, mais pour un dualisme de propriété

      C’est précisément parce qu’ils forment les parties continues d’un monde matériel qui les englobe tous deux que le social et le naturel s’entremêlent, mais ce n’est qu’en conservant leur différence analytique que nous pouvons distinguer ces aspects du monde que les humains ont construits de ceux que des forces et des puissances causales indépendantes d’eux ont générés, et examiner comment les uns et les autres ont pu, à des niveaux toujours plus complexes, se nouer. Adaptant son projet à l’ère du changement climatique, Latour prétend qu’« il n’existe aucun cas à propos duquel il soit utile de faire une distinction entre ce qui est ‘naturel’ et ce qui ‘n’est pas naturel’ ». Il pense que cette ère enfonce le dernier clou dans le cercueil d’une telle distinction. En vérité, c’est exactement le contraire. Afin de maximiser nos chances d’éviter une déstabilisation totale du système climatique, nous devons être plus sensibles que jamais à la dichotomie entre ce que les humains génèrent de toutes les manières, et ce qui n’est pas de leur fait. Cela ne veut bien sûr pas dire qu’une planète en réchauffement peut être littéralement coupée en deux moitiés – si seulement cela était possible, nous nous épargnerions bien des difficultés – mais que l’analyse du phénomène requiert une telle opération. Dans un coin, ExxonMobil, dans l’autre, le fragile permafrost. Et de là, passer à l’action.
      Le moteur du changement climatique est un type de société – l’économie fossile – qui n’existait pas avant le XIXe siècle. Si les émissions de CO2 forment le conduit principal reliant cette société au climat, c’est seulement parce qu’un vaste ensemble de relations sociales ont été construites de telle sorte qu’elles transportent ces émanations dans l’atmosphère ; une fois là-bas, elles se connectent à d’innombrables entités naturelles. Le réchauffement planétaire n’est pas un hybride ou un « quasi-objet » platement monolithique, mais une mouvante unité-des-contraires, une combinaison dynamique, un processus dont les composantes sociales et naturelles se culbutent les unes les autres ; et tandis que tourne le bouton de contrôle, la nature propulse tout cela de l’avant. Aussi, loin d’en marquer la limite, l’usage des combustibles fossiles met en branle certaines « structures et processus matériels qui sont indépendants de l’activité humaine (en ce sens qu’ils ne sont pas le produit d’une création humaine), dont les forces et les puissances causales sont les conditions nécessaires de toute pratique humaine, qui en déterminent les formes possibles ». On n’en continue pas moins de brûler des combustibles fossiles – en effet, l’infrastructure nécessaire à leur combustion ne cesse de croître – parce qu’ils sont profondément enracinés dans un type très particulier de société, qui « n’est pas constituée d’individus, mais exprime la somme des relations, des rapports où ces individus se situent les uns par rapport aux autres ». C’est dans ce champ-là qu’a émergé une telle pratique, et c’est seulement là qu’un terme peut y être mis.