Le temps compté | Terrestres

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  • Le temps compté | #Bernard_Aspe
    https://www.terrestres.org/2019/03/05/le-temps-compte
    Notes sur quelques textes récents de #Jacques_Rancière

    L’autre #temps, qu’instaure un #moment politique, c’est donc celui qui échappe à la simple succession des choses qui « arrivent les unes après les autres ». Mais il y a plusieurs manières d’échapper à la succession. Si la matrice aristotélicienne de la mimesis demeure féconde pour nos dominants, c’est dans la mesure où elle permet une construction du temps qui ne s’en tient pas à la simple chronique, à la simple description de ce qui arrive, à l’enregistrement de la succession des faits. Elle est une matrice parce qu’elle est une reconstruction de ce qui arrive, une reconstruction qui fait de ce qui arrive un enchaînement de causes et d’effets, et plus encore : le développement inéluctable de ce qui est donné dans les conditions objectives de la situation présente.

    Quitter cette matrice, c’est proposer un autre enchaînement des moments ; c’est mettre en œuvre un « pouvoir du moment qui crée un enchaînement temporel déviant ». Ce pouvoir du moment peut trouver son origine dans la situation la plus contrainte. Lorsque Gabriel Gauny raconte une journée de travail, il ne parle pas des gestes nécessaires pour que s’opère la production de l’objet demandé par les patrons ; il parle de ce qui fait dévier cette commande : un geste différent de la main, un regard qui dévie et fait dériver la pensée, une pensée qui survient inopinément et qui change le rythme du corps, un jeu d’affects qui fait que la servitude ressentie ou la liberté éprouvée se traduisent en gestes d’allures diverses et en enchaînements contradictoires de pensée. Ainsi se produisent toute une série d’écarts positifs avec le temps normal de la reproduction de l’être-ouvrier ». Une fois repéré cet écart au sein même de la situation de travail, le geste déviant peut être lié à autre chose qu’à la production à laquelle il est censé être ordonné, par exemple aux journées insurrectionnelles de 1830 ou de 1848, « où le peuple des hommes “passifs” a oublié “le temps qui n’attend pas” et déserté les ateliers pour aller dans la rue affirmer leur participation à une histoire commune ».