• Reconnaître l’écocide au même rang que les crimes contre l’humanité - Libération
    https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2019/12/10/reconnaitre-l-ecocide-au-meme-rang-que-les-crimes-contre-l-humanite_17681

    Par un collectif de responsables politiques et d’intellectuels — 10 décembre 2019 à 19:39
    Alors qu’une proposition de loi sur l’écocide est débattue ce jeudi à l’Assemblée nationale, une soixantaine de responsables politiques et d’intellectuels appellent à inscrire le phénomène de criminalité environnementale dans le droit français.

    Tribune. Les rapports s’accumulent et le constat reste toujours le même depuis des décennies : notre environnement va mal et son cas continue à s’aggraver année après année. De nombreux écosystèmes clés se dégradent, la biodiversité rentre dans une sixième extinction de masse, les projections climatiques ne cessent de s’aggraver avec aujourd’hui des prévisions de hausse de 7°C d’ici 2100 par rapport à l’ère préindustrielle. Selon le dernier rapport du groupe d’experts de l’ONU sur la biodiversité, 75% de l’environnement terrestre a été « gravement altéré » par les activités humaines et 66% de l’environnement marin est également affecté.

    Peu à peu, nous dépassons, l’une après l’autre, les limites planétaires déterminées par les scientifiques. En malmenant notre environnement de la sorte, c’est tout l’équilibre de la planète qui menace de s’effondrer. Sa sauvegarde doit devenir un impératif quotidien, imposable à tous, et les actes qui vont à son encontre doivent être sanctionnés à la hauteur des fautes commises.

    Alors que l’ensemble des systèmes écologiques de la Terre est plus vulnérable que jamais, nous assistons aussi à la recrudescence d’une criminalité environnementale qui prospère à travers le monde et profite d’une trop grande impunité. Le mépris des règles de prudence, du devoir de vigilance et du principe de précaution peut permettre à certains de dégager des profits économiques considérables au détriment des écosystèmes. C’est ce constat qui a mené une diversité de juristes à promouvoir l’idée d’une incrimination pénale d’écocide.

    Montant dérisoire des sanctions

    Ecocide signifie littéralement « tuer la maison ». Après avoir été initialement forgé pour condamner la destruction américaine de la forêt au Vietnam par l’utilisation massive de l’Agent orange, le concept d’écocide a été popularisé par l’avocate britannique Polly Higgins dans l’ouvrage Eradicating Ecocide écrit en réaction à l’affaire DeepWater Horizon, la plateforme pétrolière de BP qui a sombré au large du Mexique en avril 2010. Depuis, l’écocide renvoie à l’ensemble des crimes les plus graves commis contre l’environnement en temps de paix comme en temps de conflits et qui portent directement atteinte à la sûreté de la planète. Une dizaine de pays ont déjà reconnu l’écocide, comme le Vietnam qui l’a inscrit en 1990 de manière pionnière dans son code pénal en le définissant comme « un crime contre l’humanité commis par destruction de l’environnement, en temps de paix comme en temps de guerre ».

    Pourquoi pas la France ?

    D’aucuns défendent que l’arsenal législatif existant permet déjà de protéger efficacement notre environnement, que des dispositions permettent déjà de sanctionner les actes préjudiciables pour l’environnement. Assez dissuasif, assez complet, nous dit-on. Certes, des mesures et des contraventions existent et sont prévues pour répondre aux incivilités les plus communes. Oui, il existe aussi des sanctions administratives à l’encontre de certaines entreprises coupables de délits polluants ou d’infractions déjà inscrits dans le code de l’environnement. Toutefois, il suffit de regarder le montant dérisoire des sanctions pour se rendre compte rapidement du manque de crédibilité de notre droit pour dissuader les actes les plus dommageables.

    Après avoir pollué plus de 400 km du littoral français et déversé des milliers de tonnes de fioul dans l’océan à la suite du naufrage de l’Erika en 1999, quelle fut l’amende infligée à Total ? 375 000 euros. Une goutte d’eau dans l’océan par rapport aux dégâts encore visibles aujourd’hui. C’est ce même montant que risque de payer Vinci pour avoir déversé délibérément de l’eau bétonnée directement dans la Seine pendant plusieurs mois. Est-ce donc là des sanctions à la hauteur des fautes commises ? Assurément non.
    Limites planétaires

    Nous devons nous rendre à l’évidence : tout aussi riche qu’il soit, notre arsenal juridique souffre encore de lacunes pour décourager complètement la destruction de notre environnement chaque jour plus vulnérable aux comportements de prédation. Il faut que nous puissions instaurer de nouvelles formes de responsabilités, et notamment pénale, pour faire évoluer notre droit afin d’assurer un environnement sain et vivable aux générations présentes et futures.

    Reconnaître l’écocide, au même rang que les crimes contre la paix ou les crimes contre l’humanité, c’est appeler aux responsabilités. Il s’agit de reconnaître à sa juste valeur l’interdépendance entre les écosystèmes et les conditions d’existence de l’humanité. Le président de la République lui-même a qualifié d’écocide les incendies qui se sont propagés en Amazonie en septembre dernier. Le temps est venu de l’inscrire dans la loi et de condamner tous les actes qui contribuent gravement au dépassement des limites planétaires. A cet égard, les citoyens sont clairvoyants puisque ce fut notamment l’une des revendications exprimées dans les discussions de la Convention citoyenne pour le climat.

    Combien de rapports et de catastrophes faudra-t-il encore attendre pour que nous ayons une loi qui soit enfin à la hauteur des enjeux ? La proposition de loi qui sera débattue le 12 décembre à l’Assemblée nationale peut permettre de faire un véritable pas en avant et de protéger l’environnement « au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation » comme l’exige la Constitution française.

    Depuis le succès de l’accord de Paris en 2015, la France se targue d’être la championne de l’environnement sur la scène internationale. Malheureusement, rien n’a été fait depuis et la perspective d’aboutir à un traité contraignant à l’échelle internationale, porté à travers le Pacte mondial pour l’environnement, paraît plus éloignée que jamais. Dans un contexte géopolitique où l’environnement est malmené, négligé et relégué à la moindre des priorités, soyons courageux ! En reconnaissant l’écocide le 12 décembre, nous pouvons montrer l’exemple et la France peut encore une fois devenir une source d’inspiration comme elle a pu l’être concernant les droits de l’homme et du citoyen.

    Signataires : Christophe Bouillon, député PS, rapporteur de la proposition de loi portant reconnaissance de l’écocide ; Valérie Cabanes, juriste en droit international ; Jean Jouzel, climatologue ; Philippe Descola, anthropologue, professeur émérite du Collège de France ; Dominique Méda, professeure d’Université Paris-Dauphine ; Gaël Giraud, économiste, professeur à l’Ecole nationale des Ponts et Chaussées ; Aurélien Barrau, astrophysicien ; Serge Orru, ancien directeur général de WWF France ; Patrick Viveret, philosophe magistrat honoraire ; Paul Ariès, politologue, directeur de l’Observatoire international de la gratuité ; Alain Caillé, professeur de sociologie émérite à l’université Paris-Ouest-Nanterre, directeur de la Revue du MAUSS, animateur du mouvement des convivialistes ; Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France ; NatureRights ; WildLegal ; Notre Affaire à tous ; Frah, chanteur de Shaka Ponk, initiateur du collectif The Freaks ; Anne Hidalgo, maire de Paris, présidente du Cities 40 ; Corinne Lepage, ancienne ministre de l’Environnement ; Jérémie Chomette, directeur général de la fondation Danielle Mitterrand – France Libertés ; Cécile Untermaier, députée socialiste ; Guillaume Garot, député socialiste – ancien ministre ; Nadia Ramassamy, députée Les Républicains ; Ericka Bareigts, députée socialiste – ancienne ministre ; Dominique Potier, député socialiste ; Paul Molac, député Libertés et Territoires ; Valérie Rabault, députée socialiste, présidente du groupe socialiste et apparentés à l’Assemblée nationale ; Jennifer De Temmerman, députée non-inscrite ; Paul-André Colombani, député Libertés et Territoires ; Mathilde Panot, députée France insoumise ; Caroline Fiat, députée France Insoumise ; Loic Prud’homme, député France Insoumise ; Michel Larive, député France Insoumise ; Maina Sage, députée UDI ; Ester Benbassa, sénatrice EE-LV ; Jérôme Durain, sénateur PS ; Marie Toussaint, députée européenne EE-LV ; David Cormand, député européen EE-LV ; Roose Caroline, députée européenne EE-LV ; Mounir Satouri, député européen EE-LV ; Benoît Biteau, député européen EE-LV ; Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne EE-LV ; Manon Aubry, députée européenne France insoumise ; Anne-Sophie Pelletier, députée européenne France insoumise ; Manuel Bompard, député européen France insoumise ; Paul Quilès, ancien ministre, Président d’IDN - Initiatives pour le désarmement nucléaire ; Noël Mamère, ancien député écologiste ; Marine Calmet, présidente de Wild Legal et membre de Nature Rights ; Samenta Novella, membre de Nature Rights ; Paul Mougeolle, juriste et conseiller pour Notre Affaire à tous ; Maxime de Rostolan, fondateur de Fermes d’avenir et la Bascule ; Jean-Marc Gancille, cofondateur Darwin, La suite du monde et vice-président de Wildlife Angel ; Maxime Combes, économiste, porte-parole d’Attac France ; Aurélie Trouvé, économiste, porte-parole d’Attac France ; Nadia Collot, réalisatrice ; Jean Gadrey, économiste Lille ; Frédéric Neyrat, professeur à l’Université de Wisconsin-Madison (USA) ; Christophe Bonneuil, directeur de recherche au CNRS, directeur de la collection « Anthropocène » ; François Jarrige, historien, Université de Bourgogne ; Aurélien Gabriel Cohen, doctorant en géographie et philosophie de l’écologie ; Nathalie Blanc, directrice de recherche au CNRS ; Joanne Clavel, chargée de recherche, CNRS ; Clara Breteau, enseignante-chercheuse en géographie et esthétique environnementale ; Sophie Gosselin, philosophe ; Denis Chartier, professeur des universités en géographie environnementale ; Philippe Courbon, conférencier consultant formateur au Cabinet IDEE, Collectif d’initiatives interdisciplinaires pour le développement humain ; Gauthier Chapelle, agronome et biologiste ; David gé Bartoli, philosophe et membre de la revue Terrestres ; Gilles-Eric Seralini, professeur à l’université de Caen ; Denis Vicherat, coprésident des Editions Utopia ; Yves Paccalet, philosophe, écrivain, naturaliste ; Fatima Parret, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes EE-LV ; Florence Cerbaï, conseillère régionale écologiste de l’Ardèche (EE-LV/RCES) ; Corinne Morel Darleux, conseillère régionale Auvergne-Rhône-Alpes ; Jean-Charles Kohlhaas, conseiller régional d’Auvergne-Rhône-Alpes EE-LV.

    #Ecocide #Environnement #Droit_environnement

    • Guerre de Corée, Guerre du Vietnam, Guerre d’Afghanistan, Guerre d’Irak... Ça en fait quelques uns de crimes contre l’humanité...

      Si seulement, déjà, les crimes contre l’humanité étaient convenablement jugés...

      Ça me fait penser aux dernières mesures proposées pour lutter contre les féminicides : durcir les lois, créer de nouvelles peines. Mais s’il n’y a aucun juge pour accepter de les appliquer, de policier pour accepter les plaintes, de procureurs pour ne pas classer en non-lieu, on fait quoi ?

      C’est en fait assez désespérant.

  • Féminicides : se défendre - Libération
    https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2019/11/14/feminicides-se-defendre_1763406

    Défaire le pacte patriarcal, c’est se défendre : faire advenir à la réalité l’expérience communément vécue de la violence tapie dans la quotidienneté et l’intimité de nos vies à toutes. Défendre nos vies donc, hisser le drapeau noir à toutes nos fenêtres, recouvrir les murs de toutes nos villes du nom des 132, se défendre les unes les autres, se compter, faire front et faire corps, faire de nos corps des armes. Crier notre colère, notre rage, promettre que ce ne sont pas seulement la honte et la peur qui ont changé de camp, mais bien la violence ; la violence du courage et de la promesse qu’aucune d’entre nous ne doit plus succomber.

    Auteure de : Se défendre, une philosophie de la violence (La Découverte, 2019).
    Elsa Dorlin professeure à l’université Paris-VIII

  • Médias : le risque du vase clos

    En haut, des journaux qui imposent l’agenda du débat public. En bas, des médias périphériques aux idéologies disparates, qui s’affirment en s’opposant aux premiers. Le système hexagonal a une particularité : sa verticalité, selon une étude de Sciences-Po et du MIT. Au risque de la fracture élitiste et de se couper de la vie réelle, comme le mouvement des gilets jaunes l’a prouvé.

    Par Jérôme Lefilliâtre — Libération - https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2019/06/19/medias-le-risque-du-vase-clos_1734861
    #journalisme #medias #mainstream

  • 65 #intellectuels invités à #débattre à l’#Elysée
    https://lundi.am/65-intellectuels-invites-a-debattre-a-l-Elysee

    "Pour clore en beauté le grand #débat national, 65 « intellectuels » ont été convié à l’Élysée ce lundi 18 mars, auprès du président en personne. Une rencontre qui sera retransmise en direct sur France Culture. Parmi les invités, nous pourrons écouter l’historien Marcel Gauchet, le sociologue Michel Wieviorka ou encore le psychiatre Boris Cyrulnik mais pas l’économiste et philosophe Frédéric Lordon. Alors que ce dernier était dûment invité par M. Macron, il a préféré décliner. Rompu aux usages de la bonne société, M. Lordon n’a cependant pas manqué de s’en excuser publiquement à l’occasion d’une assemblée extraordinaire qui se tenait à la Bourse du travail jeudi 14 [1]. Nous publions ici sa réponse au président ainsi que la vidéo de son intervention."

    • Grand débat : des intellectuels pris en otage
      Par Dominique Méda, professeure d’université Paris-Dauphine — 19 mars 2019 à 15:24
      https://www.liberation.fr/amphtml/debats/2019/03/19/grand-debat-des-intellectuels-pris-en-otage_1716086

      Invitée à débattre lundi soir avec Emmanuel Macron, la sociologue Dominique Méda estime que la rencontre s’est transformée en faire valoir présidentiel. Avec un chef de l’Etat qui n’a absolument pas pris la mesure de l’urgence sociale et écologique.

      Tribune. Selon la définition communément admise (1), le débat est « une discussion généralement animée entre interlocuteurs exposant souvent des idées opposées sur un sujet donné ». Après celui avec les maires, c’était au tour des intellectuels de tomber dans le piège : car de débat il n’y en eut point.

      J’avais accepté l’invitation à participer pensant – bien naïvement je l’avoue – que nous pourrions au moins de temps en temps rebondir pour, à notre tour, répondre au président de la République. Mais il n’en a rien été. Comme avec les maires, le non-débat avec les intellectuels, a consisté en une litanie inexorable de « réponses » d’Emmanuel Macron aux questions posées par les intellectuels. Comme nous étions plus de 60, il aurait fallu pour qu’il puisse y avoir sinon un véritable échange, au moins un retour sur ce qui avait été dit par le Président, que chacun puisse vraiment se limiter à deux minutes de parole. L’envie de chacun d’exposer plus longuement sa vision a fait que l’on a assisté à la juxtaposition de questions-réponses au cours desquelles le Président a eu tout loisir d’asséner ses convictions devant des intellectuels pris en otage (au moins pour ceux qui étaient en désaccord profond avec sa politique, peu nombreux).

      En le regardant parler pendant huit heures, écoutant certes chacun et répondant en effet aux questions, j’ai compris à quoi nous servions. Comme les maires, nous constituions le mur sur lequel le Président faisait ses balles, jouissant de la puissance de ses muscles et de la précision de ses gestes et donc de la propre expression, cent fois ressentie, de son moi. Nous étions son faire-valoir. (...)