« Le sacré et la violation des interdits » par Laura Levi Makarius (1974)

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  • " Le sacré et la violation des interdits " par Laura Levi Makarius (1974)
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    Le trickster

    La recherche qui a conduit à proposer des solutions aux problèmes du roi « divin », des jumeaux et du forgeron va permettre d’aborder sous un jour nouveau un sujet encore plus difficile, rebelle jusqu’ici à l’explication. Il s’agit du mystérieux personnage mythique qui se rencontre dans toutes les zones ethnographiques, mais qui a été le mieux étudié en Amérique du Nord, où il a acquis le nom ethnologique de trickster, c’est-à-dire de « joueur de tours ». Dans les récits populaires, en effet, il apparaît comme un héros comique, joueur, farceur et taquin, mais il n’est pas que cela, et la difficulté de le comprendre provient précisément de la discordance des aspects qu’il présente et qu’il semble impossible de réconcilier. 


    Au sujet de Napi, trickster des Indiens Blackfeet, Grinnell écrit : « Dans les contes sérieux, où il s’agit de la Création, on parle de lui respectueusement et l’on ne trouve aucune allusion aux qualités malicieuses qui le caractérisent dans d’autres histoires, dans lesquelles il est puissant, mais parfois impotent ;plein de sagesse, mais parfois si dépourvu d’esprit qu’il doit demander secours aux animaux. Des fois, il se montre plein de sympathie pour les humains, alors que d’autres fois, par pure méchanceté, il leur joue des tours pendables, vraiment diaboliques. Il représente une combinaison de force, de faiblesse, de puérilité et de malice »
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    En effet, le Civilisateur, qui transforme la nature et parfois crée le monde et l’espèce humaine, est en même temps un pitre, un bouffon. Le héros indomptable qui arrête la course du soleil, pourfend les monstres et défie les dieux, est aussi le protagoniste d’aventures obscènes, dont il sort humilié et avili. L’inventeur de tant d’ingénieux stratagèmes est victime de ses propres ruses. Le maître du pouvoir magique est représenté comme un pauvre bougre, se traînant sur un chemin, allant de déconvenue en déconvenue. Il donne aux hommes les arts, les outils et les autres biens culturels, mais leur joue des tours pendables dont ils font les frais. Il dispense les médecines qui guérissent et qui sauvent, et introduit la mort dans le monde. On dirait que chaque qualité et chaque défaut qui lui sont attribués font surgir automatiquement leur opposé. Le Bienfaiteur est aussi le Malin, le malintentionné. Tout le bien et tout le mal se rapportent à lui.

    Le trickster est représenté comme voleur, trompeur, parricide, incestueux, cannibale, il est idiot, cruel, phallique, dégoûtant ; cependant sous ses aspects les plus méprisables et grossiers, comme sous les plus prestigieux, il reste toujours un être « sacré », qualité qui paraît lui être intrinsèque et qu’aucun ridicule, ou aucune abomination, ne parviennent à effacer.