Pourquoi Vinci veut acheter Groupe ADP

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  • Pourquoi Vinci veut acheter Groupe ADP, Grégoire Allix
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/04/08/pourquoi-vinci-et-son-pdg-veulent-s-offrir-adp_5447099_3234.html

    L’Etat s’est résolu à vendre sa participation de 50,63 % dans les ex-Aéroports de Paris. Avaler ADP ferait de Vinci non seulement le numéro un mondial du BTP mais aussi le premier groupe aéroportuaire.

    Y pense-t-il tous les matins en se rasant ? Pour le PDG de Vinci, Xavier Huillard, la prise de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris) n’a jamais été si proche et si lointaine à la fois. Si proche parce que le gouvernement semble enfin résolu à céder la participation de l’Etat dans Groupe ADP, dont il détient 50,63 %, pour une concession de soixante-dix ans. La mesure figure au menu de la loi Pacte, qui revient au Sénat les 9 et 10 avril. En première lecture, le 5 février, les sénateurs avaient rejeté la cession. Si lointaine car le mouvement des « gilets jaunes » a rendu le climat inflammable.

    Les actions contre les péages ont relancé la polémique sur la privatisation des autoroutes. Une opération dont Vinci fut le premier bénéficiaire, à tel point que le groupe est devenu un symbole du transfert des richesses publiques aux multinationales… Résultat : la perspective de voir M. Huillard prendre le contrôle d’ADP a largement contribué à envenimer le débat. Pour se sortir de ce piège politique, l’exécutif pourrait être tenté d’écarter le groupe français.

    Le 14 mars, les députés ont donné leur feu vert à cette privatisation, mais les élus du Parti communiste et de La France insoumise ont demandé s’il s’agissait d’un « cadeau à Vinci », tandis qu’à droite Robin Reda (Les Républicains) évoquait « un capitalisme de connivence ».
    Leur soupçon : une privatisation cousue sur mesure pour le groupe français, en compensation de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Face aux mises en cause, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, avait dû garantir au micro de l’Assemblée nationale ce qui pourrait sembler aller de soi : la procédure de cession serait « transparente », et Vinci « ne bénéficierait évidemment d’aucun privilège ».

    « Vinci bashing »
    Marin aguerri, M. Huillard n’est pas homme à s’alarmer au premier coup de vent. Mais face à ce risque du « tout sauf Vinci », le PDG est sorti de sa réserve le 19 mars dans une tribune publiée dans Le Monde, fustigeant le « Vinci bashing » des opposants à la privatisation. L’entreprise joue gros.
    Absorber Groupe ADP ferait de la société non seulement le numéro un mondial du BTP mais aussi, et de loin, le premier groupe aéroportuaire. Vinci Airports s’est déjà hissé en quelques années à la quatrième place, au gré d’une politique d’acquisitions à marche forcée. Derniers faits d’armes : l’achat de l’aéroport londonien de Gatwick pour 3,2 milliards d’euros, le 27 décembre 2018, et l’accord du gouvernement portugais, ratifié le 8 janvier, pour construire un second aéroport à Lisbonne et agrandir le premier.

    Pour le groupe de construction et de concessions, le secteur aéroportuaire a l’avantage d’accélérer son internationalisation, la France lui offrant des perspectives de croissance limitées. Et de tirer à l’occasion l’activité de la branche construction : à l’aéroport de Santiago-du-Chili, géré en duo par Vinci et ADP, Vinci Construction va réaliser pour 1 milliard d’euros de travaux en vue de doubler la capacité.
    Les aéroports sont surtout une mine d’or d’une exceptionnelle rentabilité ( la marge opérationnelle de Vinci Airports a atteint 43 % en 2018 ). « Les leviers de création de valeur y sont plus riches et plus variés. Quand il n’y a pas de trafic sur une autoroute, on ne peut pas l’inventer, alors qu’on peut être proactif et convaincre les compagnies aériennes d’ouvrir de nouvelles liaisons », expliquait Xavier Huillard à Lisbonne au mois de janvier.

    La reprise d’aéroports régionaux en France dans les années 2000 puis celle de plates-formes plus importantes comme les dix aéroports du Portugal en 2013 ont convaincu Vinci que le groupe pouvait, avec un peu d’efforts et d’investissements, obtenir des résultats rapides.

    Effet multiplicateur spectaculaire

    « Les concessions, ce n’est pas une vache à lait, c’est du travail tous les jours », aime à dire M. Huillard. Démarcher les compagnies pour multiplier les destinations, optimiser tous les maillons de la chaîne pour accroître les mouvements d’avions et les flux de passagers, développer massivement la surface de boutiques… la recette est connue. Dans un contexte de croissance rapide du trafic aérien mondial – qui devrait encore doubler d’ici à 2030 –, l’effet multiplicateur est spectaculaire. A Lisbonne, Vinci a triplé le rythme de croissance des passagers, doublant le trafic en six ans seulement.
    Roissy et Orly ne sont certes pas des aéroports de province endormis. Mais Xavier Huillard, qui siège au conseil d’administration de Groupe ADP, dont Vinci détient déjà 8 % du capital, est convaincu qu’il peut, là aussi, bousculer la stratégie industrielle et actionner d’importants leviers de développement.

    Les dirigeants de Vinci soulignent discrètement la faible dynamique de croissance des aéroports parisiens comparé à leurs propres plates-formes, une qualité de service qui laisse à désirer et une politique irréfléchie de grands travaux qui pèse sur les tarifs aéroportuaires et décourage les compagnies, limitant le trafic sur les pistes et dans les galeries de duty free. Le premier ministre Edouard Philippe semble leur donner raison, lorsqu’il affirme devant les députés que « la façon dont fonctionne aujourd’hui [ex-]Aéroports de Paris est largement perfectible ».

    La stratégie de Vinci est assumée : les aéroports doivent pouvoir remplacer les autoroutes pour porter l’activité « concessions » du groupe, dont les revenus réguliers et les marges importantes sont indispensables pour équilibrer les faibles profits et les variations conjoncturelles de la branche construction. « L’idéal serait que Vinci Airports atteigne la taille de notre secteur autoroutier », note M. Huillard. Soit un objectif de chiffre d’affaires de 6 milliards d’euros, plus du triple de ce qu’il réalise aujourd’hui.

    Xavier Huillard, un homme pressé

    Avec ses 4,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires consolidé en 2018, ADP ferait entrer Vinci dans une autre dimension. Et pourrait propulser le groupe plus loin encore. « Une des faiblesses de Vinci, c’est de ne pas avoir de très gros aéroports, observe Virginie Rousseau, analyste chez Oddo Securities. Gérer Roissy et Orly l’aiderait à poursuivre son développement : c’est plus compliqué pour Vinci d’être candidat pour des aéroports au Brésil ou en Inde si la France ne leur a pas confié ses propres plates-formes. »
    Pour autant, si Groupe ADP devait lui échapper, Vinci s’en remettrait, estime Mme Rousseau : « D’un point de vue boursier, cette opération est moins vitale pour eux qu’il y a quelques mois : à l’époque, le marché leur reprochait de manquer de grosses opérations. Depuis, l’acquisition de Gatwick a montré qu’il y avait d’autres opportunités qu’ADP. »
    M. Huillard ne dit pas autre chose, rappelant que les concessions autoroutières n’arrivent pas à échéance avant une quinzaine d’années. « S’il ne se passe rien sur Vinci Airports pendant quelques années, ce n’est pas grave, assure-t-il. Le groupe n’est pas sous la pression de devoir remplir une liste de courses. » Le PDG en est persuadé, il y aura d’autres Gatwick. Mais quand ?

    Or, si Vinci a encore du temps, Xavier Huillard, lui, est un homme pressé. A bientôt 65 ans, le PDG mène son troisième et dernier mandat. Alors que tout le monde s’attendait à le voir passer la main, il a finalement décidé de rester à la barre et s’est fait réélire, en avril 2018, à la tête du groupe. Le voilà PDG jusqu’en 2021, l’année où 4 000 salariés de Vinci déménageront dans un siège social flambant neuf, en cours de construction à Nanterre. Certains observateurs anticipent même que M. Huillard pourrait se retirer avant l’échéance, ou dissocier les fonctions de président et de directeur général pour préparer la succession.

    Laisser sa marque

    Dans ce calendrier serré, prendre le contrôle d’ADP serait pour M. Huillard le couronnement d’une stratégie qui aura vu le PDG transformer profondément le groupe. Une manière de laisser sa marque et, peut-être, d’effacer définitivement le parfum de scandale qui a accompagné sa prise de pouvoir.

    L’épisode a marqué durablement le milieu des affaires : au printemps 2006, M. Huillard, alors directeur général de Vinci depuis quelques mois, est en conflit avec le président du groupe, Antoine Zacharias, dont il était le successeur désigné. M. Zacharias s’apprête à évincer son dauphin. M. Huillard contre-attaque, et dénonce dans un courrier aux administrateurs, publié par Le Parisien, l’appétit dévorant de son mentor, qui cumule salaire stratosphérique, primes exorbitantes, stock-options et retraite chapeau. « Je réalise avoir été le paravent honnête d’un homme qui a progressivement entrepris de s’enrichir au-delà de toute raison sur le dos de Vinci », écrit le directeur général.

    L’opération stupéfie la place de Paris, mais réussit au-delà de toute espérance : lors du conseil d’administration du 1er juin 2006, qui devait entériner le départ de M. Huillard, c’est finalement M. Zacharias qui se voit congédié, remplacé par Yves-Thibault de Silguy…

    En 2010, le directeur général devient enfin PDG. Mais il le sait : le groupe dont il a hérité est celui façonné par Antoine Zacharias. C’est ce dernier qui a construit le numéro un mondial du BTP en fusionnant, en 2000, les anciens pôles de construction de la Générale des eaux et de la Lyonnaise des eaux. Lui aussi qui a donné à la branche concessions une tout autre envergure en prenant le contrôle des Autoroutes du Sud de la France en 2005. Sous ses dix années de présidence, le résultat net et la capitalisation boursière du groupe ont été multipliés par vingt…

    Mauvaise réputation

    Pour M. Huillard, l’essor dans les aéroports est aussi une manière de prouver qu’il n’est pas seulement le gestionnaire rigoureux de l’héritage Zacharias, mais qu’il a bel et bien la stature d’un stratège industriel.
    Le PDG aime raconter que la diversification dans les aéroports est une « herbe folle » cultivée au départ par Nicolas Notebaert, le directeur général de Vinci Concessions, à partir de trois aéroports du Cambodge tombés par hasard dans l’escarcelle du groupe. Xavier Huillard a même fait de l’histoire un emblème de sa politique managériale. Depuis, le PDG a transformé l’« herbe folle » en culture intensive, au point de vendre pour 2 milliards d’euros en 2014 sa fort rentable activité dans les parkings pour dégager des marges de manœuvre.
    M. Huillard l’a toujours dit : « cela fait sens » pour Vinci de monter au capital d’ADP si c’est pour en prendre le contrôle. Au vu de la valorisation boursière de Groupe ADP, le prix à payer est estimé aux alentours de 10 milliards d’euros. Mais plus que le coût de l’opération, c’est sa mauvaise réputation qui pourrait faire rater cette affaire à Vinci : chaque nouvelle attaque sur les profits des autoroutes est un obstacle sur la route d’ADP.
    Face aux critiques, Vinci Airports plaide ses bonnes relations avec de nombreuses collectivités et souligne qu’il est un partenaire de longue durée, contrairement aux fonds d’investissement court-termistes, qui sont sur les rangs pour prendre ADP. Le groupe met aussi de l’eau dans son vin. Il laisse aujourd’hui entendre qu’il est prêt à laisser une place aux collectivités locales et n’exigera pas forcément la majorité du capital. Tout en avertissant : céder Groupe ADP par petits morceaux fera baisser son prix, et c’est d’abord l’Etat qui y perdra.
    Grégoire Allix

    #Vinci #privatisation #aéroports