• J’ai toujours des sentiments partagés face à cette réduction des visiteurs de musée à des gugusses qui ne verraient qu’à travers l’image Instagram-j’y-étais.

      Parce que d’un côté, oui, c’est assez frappant quand on est devant la Joconde au Louvre. Et parce que ça renvoie à toutes ces images d’événements auxquels les gens semblent ne plus participer que pour faire des selfies (ici j’ai vu l’élection du pape, une séance avec Hillary Clinton et ses « fans » qui lui tournent le dos pour pouvoir faire des selfies « avec elle », les concerts où on ne voit plus qu’une haie d’écrans de smartphones dans la pénombre…).

      Et puis en même temps, sur ce sujet précis : ça ne me semble concerner qu’une poignée d’œuvres dans le monde, déjà largement transformées en cartes postales et en posters, bien avant de smartphone, la Joconde en personnalité people, je ne crois pas que ça date du smartphone, et je me demande s’il y a dans tous les cas eu une époque où il était possible d’aller la regarder tranquillement au musée.

      Parce qu’à côté de la salle de la Joconde, en gros c’est plutôt pépère le Louvre, et on n’a pas à se battre pour voir les œuvres. Le radeau de la Méduse, je veux bien que quelques personnes la photographient, mais ça n’est pas un « mur » de smartphone entre toi et l’œuvre, loin de là. Et ailleurs, on a vraiment le loisir d’observer, les gens déambulent de manière plutôt respectueuse.

      Aux Offices de Florence, j’ai le souvenir d’une visite carrément tranquille, pas vraiment gêné par les smartphones ou les « hordes » de touristes (dont j’étais, hein, c’est toujours difficile de critiquer les hordes de touristes à Florence quand on en est un). À part, encore une fois, la très postérisée Vénus de Boticelli, que l’on voit tout de même bien, mais on ne peut vraiment rester contemplatif là.

      Et dès qu’on sort des musées-vedettes, pour le coup je ne vois jamais de smartphones dans ce genre (en dehors des adolescent·es qui se font chier et préfèrent vérifier qu’on a liké la photo de leur hamburger de midi sur Instagram que lever le nez). Je passe beaucoup de temps à Fabre, même quand il y a des touristes, même quand ce sont les expositions temporaires avec des toiles plutôt connues (Picasso l’année dernière), et je ne suis jamais confronté à ces séances de selfies et de murs de téléphones ou de gens qui semblent ne plus rien voir que l’écran de leur téléphone-qui-fait-caméra.

      Ce qui fait que je ne suis pas totalement à l’aise avec ce genre de présentation :

      This book and the images within define a generation. The myopic, narcissistic psychological disposition of a generation is clearly the focal point of these photos; the mobile phone photographer, the “viewer”, although without name or discernable form, plays a major role in the story: not the Louvre; not the masterpieces. These serve in supporting roles.

      Je déteste l’envahissement par les écrans de smartphone, je suis inquiet du narcissisme des selfies postés sur les réseaux sociaux, etc. ; mais dans les musées, ce n’est pas ce que je constate en général. Sauf justement pour une poignée d’œuvres carte-postalisées et peopeulisées depuis des décennies. Et que donc, ce qu’on montre là ne me semble pas témoigner d’un rapport perverti à l’art dans les musées, mais un rapport assez prévisible à des peoples ; œuvres qu’on ne pouvait déjà pas bien voir à cause de la foule bien avant les haies de smartphones, et œuvres dont on déblatérait déjà de manière condescendante sur la nullité supposée des gens qui se pressent pour entre-apercevoir la Joconde avant de remonter leur bus qui fait « Toute l’Europe en 3 jours ».

      On n’a pas attendu les smartphones pour que les gens disent des choses comme « Oui alors on a fait l’Italie. On a fait Florence, Pise, Venise… » ou « On est un peu déçus par le Louvre : la Joconde elle est toute petite en fait. »

    • @arno j’ai pensé à toi devant Notre-Dame en flammes. Je m’explique avant que tu me penses sérieusement à la fois mystique et dérangé.

      Hier soir j’ai pris le métro pour aller voir Notre-Dame, non pas pour la voir la proie des flammes mais pour la voir possiblement une dernière fois. Apparemment je devrais (nous devrions toutes et tous) pouvoir la revoir encore.

      Il n’empêche beaucoup de téléphones tendus vers la cathédrale en feu. Mais aussi une certaine forme de recueillement (vu le monde qu’il y avait, c’était plutôt silencieux). En fait impossible de savoir ce que les unes et les autres avaient en tête.

      J’étais interdit. Et triste. Très triste. Et pourtant au beau milieu de cette tristesse, j’étais assez stupéfait par la beauté vénéneuse de ce que je voyais. Mais incapable de prendre une photographie. D’une part je ne suis pas parti avec mon appareil (ça c’est un truc bien à moi qui prouve bien que je ne suis pas vraiment un photographe, même si..., je ne prends jamais mon appareil en cas de « scoop »), et pareillement je n’ai pas sorti mon appareil qui fait aussi téléphone (que j’avais finalement emporté avec moi pour sa seule fonction de téléphone, ce qui est très étonnant de ma part, décidément. Etais-je bien moi-même hier soir).

      Et pourtant je ne peux pas juger de quoi que ce soit les personnes autour de moi qui enregistraient d’une façon ou d’une autre le drame en train de se produire. J’ai bien vu quelques jeunes gens (pas tant que cela, et pas tous jeunes d’ailleurs) qui s’immortalisaient sur fond d’incendie. Mais cela m’est apparu insignifiant par rapport à ce que j’avais vu à Auschwitz de personnes qui se prennent en photo sous le portique d’Arbeit macht frei.

      En revanche, est arrivé un moment plein d’hésitation pour moi, de savoir quand repartir chez moi (vers 23H30) parce que je me suis rendu compte que cette décision de partir, d’à quel moment partir, était voisine dans mon esprit de celle qui est la mienne quand je filme ou enregistre du son, je ne sais jamais vraiment quand appuyer sur le bouton stop.