Le marché, défenseur des foules, par Thomas Frank (Le Monde diplomatique, avril 2019)

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  • Le marché, défenseur des foules, par Thomas Frank
    (Manière de voir, @mdiplo, avril-mai 2019)
    https://www.monde-diplomatique.fr/mav/164/FRANK/59684

    Mais, en se payant la tête de pratiquants ringards, Laybourne ne faisait que suivre la célèbre stratégie de marque qui avait été expliquée quelques années auparavant par le publicitaire français Jean-Marie Dru, dans un livre intitulé Disruption (1997). L’humanité étant selon lui entrée dans une nouvelle ère où l’image des marques importait plus que tout autre facteur matériel, Dru prétendait que les grandes marques devaient s’inventer un projet ambitieux afin d’être identifiées à l’émancipation. Elles devaient donc avant tout dénoncer et combattre une « convention » sociale quelconque (une de « ces idées toutes faites qui maintiennent le statu quo » ) et adopter une « vision » plus vaste de la liberté humaine. À plus long terme, Dru proposait ni plus ni moins la colonisation par le monde des affaires de la notion de « justice sociale » . Pour que l’image d’une marque fonctionne, écrivait-il, elle doit être « audacieuse », « faite de rêve », toutes qualités qu’il illustrait par des citations de différentes figures historiques de la gauche. Ainsi, de la même façon que le recul définitif de la gauche dans les années 1990 avait ouvert la voie aux fantaisies pseudo-rebelles de la « révolution entrepreneuriale », cette même gauche en déroute abandonnait également derrière elle tout un éventail de bastions glamour et culturellement non conventionnels prêts à être occupés par les défenseurs des intérêts privés. Dru pensait apparemment que, pour s’imposer, les marques devraient être capables de s’identifier avec une facette quelconque de la radicalité politique d’hier. Dans les années 1990, la « justice sociale » serait défendue par les marques au lieu des mouvements sociaux.

    #publicité #maketing #populisme_de_marché