En Thaïlande, le couronnement du roi Vajiralongkorn, monarque imprévisible et politique

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  • En Thaïlande, le couronnement du roi Vajiralongkorn, monarque imprévisible et politique
    https://www.lemonde.fr/international/article/2019/05/03/thailande-vajiralongkorn-monarque-imprevisible-et-politique_5457837_3210.htm

    Le couronnement du roi Maha Vajiralongkorn, monté sur le trône à la mort de son père en 2016, a débuté samedi et doit s’achever lundi à Bangkok.

    L’événement qui se déroule du samedi 4 au lundi 6 mai à Bangkok ne s’était pas produit en Thaïlande depuis 1950 : le couronnement d’un roi. Sa Majesté Maha Vajiralongkorn, 66 ans, aura dû attendre longtemps avant d’accéder au trône, son père Bhumipol Adulyadej, mort en 2016 à l’âge de 88 ans, ayant régné sept décennies sur l’ancien royaume de Siam.

    Bien que roi depuis plus de deux ans, Rama X – son nom dynastique – n’avait toujours pas été couronné. Il va donc l’être, pendant le week-end, lors de cérémonies élaborées qui se prolongeront durant deux jours et où vont se mêler des rites bouddhiques et brahmaniques, hérités de l’Inde classique. Ce couronnement a cependant lieu dans le contexte d’une Thaïlande politiquement divisée, dirigée depuis cinq ans par la junte militaire, et dont l’actuel souverain incarne pour beaucoup une stabilité mise à mal depuis le début du siècle, une période marquée par deux coups d’Etat.

    Il n’est rien de dire que la personnalité de Sa Majesté Maha Vajiralongkorn Bodinthrathepphayawarangkun – son nom complet –, contraste fortement avec celle de son père, connu comme « le roi qui ne sourit jamais » en raison de la sobriété de son comportement et adulé par son peuple durant tout son règne.

    Capture écran du roi Maha Vajiralongkorn, assis sur le trône, en face de la reine Suthida, lors de son couronnement, samedi 4 mai.

    Loin de connaître la même ferveur, Rama X est un personnage fantasque et imprévisible, dont la vie personnelle a été agitée. Il vient d’ailleurs d’annoncer, à la surprise générale, qu’il s’était marié pour la quatrième fois, mercredi 1er mai : l’heureuse élue, Suthida Tidjai, une ancienne hôtesse de l’air de Thai Airways âgée de 40 ans, est sa compagne depuis plusieurs années. En 2016, son futur époux l’avait nommée au grade de général au sein de l’armée et chef adjointe de l’Unité de ses gardes du corps.

    Institution vénérée et puissante

    On ne sait cependant que peu de choses sur ce souverain pilote de chasse, formé au Royaume-Uni et en Australie, et qui éleva naguère à la dignité de maréchal d’aviation son chien Fufu, décédé quatre ans après sa prise de fonction.

    Depuis qu’il a accédé au trône de cette monarchie constitutionnelle, où l’institution royale est aussi vénérée que puissante, les décisions prises par Rama X ont laissé perplexe plus d’un observateur. Si la Constitution bride les pouvoirs exécutifs du souverain, le père de l’actuel roi, Rama IX, s’impliqua directement dans les affaires du royaume.
    De même, son fils ne semble pas disposé à ne faire que de la figuration, rôle auquel le limite, en théorie, cette même Constitution.

    Le roi s’est distingué ces deux dernières années par ses desiderata et ses réactions, créant des précédents : à la mort de son père, le 13 octobre 2016, Vajiralongkorn annonce qu’il ne va pas devenir roi dans l’immédiat, demandant « un délai » pour « porter le deuil ». Même s’il est de tradition, depuis le début de la dynastie Chakri, fondée en 1782, que le nouveau monarque monte sur le trône dès la mort du souverain défunt. Vajiralongkorn sera proclamé roi un peu plus tard, le 16 décembre.


    Des habitants attendent devant le palais royal, samedi 4 mai.

    En janvier 2017, nouvelle surprise : le souverain exige que soient amendés plusieurs articles du projet d’une nouvelle Constitution concoctée par les militaires au pouvoir – et approuvée l’été précédent par référendum. D’abord, il rejette l’obligation de se faire remplacer par un régent lorsqu’il est absent du pays. Une raison simple explique sa royale exigence : depuis des années, le roi passe une bonne partie de son temps dans sa somptueuse résidence des environs de Munich, près du lac de Sternberg.

    Contrôle du Bureau des avoirs de la couronne

    Le roi exige ensuite l’amendement de deux autres articles. Un premier qui permet à la Cour constitutionnelle d’être l’arbitre ultime en cas de crise majeure ainsi qu’un deuxième stipulant que toute proclamation royale soit contresignée par un ministre ou par le président du Parlement. Ces articles restreignaient ses pouvoirs de monarque constitutionnel.

    Vajiralongkorn ne s’est pas arrêté en si bon chemin : en 2017, il a pris le contrôle direct du Bureau des avoirs de la couronne, dont les actifs sont estimés à 40 milliards de dollars (35,7 milliards d’euros). Magnanime, il a cependant accepté de payer des impôts sur les revenus générés par cet organisme qui s’occupe de la gestion des terres royales et de différents investissements, notamment dans le domaine bancaire…

    « Je défendrai votre héritage comme s’il en allait de ma propre vie », le général Apirat, lors d’une cérémonie

    Le roi a aussi fait le ménage au palais, en révoquant des grands chambellans et en répudiant son avant-dernière épouse, dont l’oncle croupit désormais en prison pour corruption et « lèse-majesté ». Il a enfin étendu son contrôle au domaine militaire : en nommant, fin 2018, le général Apirat Kongsompong chef de l’armée, il a renforcé, à l’intérieur de cette dernière, la faction de la « garde du roi », affaiblissant ainsi la position du chef de la junte et premier ministre, Prayuth Chan-o-cha, qui n’était pas spécialement un soutien acharné du nouveau roi, par le passé.


    Des Thaïlandais regardent la cérémonie de couronnement à la télévision, samedi 4 mai.

    Le 7 mars, à l’occasion d’une cérémonie sans précédent, ce même général Apirat a prêté serment à la monarchie en compagnie de plusieurs centaines de ses officiers devant une statue du roi Rama V, un souverain particulièrement révéré, mort en 1910. « Je défendrai votre héritage comme s’il en allait de ma propre vie », s’est exclamé l’officier, à genoux et mains jointes haut sur le crâne en signe de respect absolu.

    Selon un diplomate asitique, « le fait que le roi ait lui-même une expérience de militaire conduit à ce qu’il garde un œil attentif sur les forces armées et les promotions en son sein »
    Une telle cérémonie a été perçue par différents observateurs comme l’expression « d’une offensive tous azimuts contre les opposants de la junte militaire », écrit le site indépendant Khaosod. L’armée, en dépit de ses divisions interne, perçoit son avenir comme intrinsèquement lié à celui de la royauté. Et réciproquement : il est loin le temps où, à la suite du coup d’Etat de 1932, qui mit fin à la monarchie absolue, cette dernière fut marginalisée par les militaires.

    Même si la Thaïlande redevient une démocratie et quel que soit le gouvernement issu des élections législatives du 24 mars, la nouvelle Constitution contribue à limiter les pouvoirs du premier ministre et de son cabinet. Elle renforce l’alliance entre le palais royal et l’armée. « Le fait que le roi ait lui-même une expérience de militaire conduit à ce qu’il garde un œil attentif sur les forces armées et les promotions en son sein », juge un diplomate asiatique cité par la revue japonaise Nikkei Asian review.