• Lettres et autres textes est le troisième et dernier volume des textes posthumes de Gilles Deleuze, publié à l’occasion du vingtième anniversaire de sa disparition. Il regroupe de nombreuses lettres adressées à ses contemporains (Michel Foucault, Pierre Klossowski, François Châtelet ou Clément Rosset). Particulièrement importantes à cet égard sont les lettres adressées à #Félix_Guattari, qui constituent un témoignage irremplaçable sur leur « travail à deux », de L’Anti-Œdipe jusqu’à Qu’est-ce que la philosophie ? On y trouve aussi des lettres plus tardives adressées à des étudiants qui l’interrogent sur son œuvre et lui permettent de l’éclairer d’un regard nouveau. Y figurent également un ensemble de textes introuvables ou inédits, comme certains essais de jeunesse, quelques dessins insolites, ou un long entretien de 1973 sur L’Anti-Œdipe avec Guattari [avec Raymond Bellour].

      http://www.leseditionsdeminuit.com/images/3/extrait_3183.pdf

      avec parmi les écrits qui peuvent susciter la curiosité, au titre des « textes de jeunesse » : Description de la femme. Pour une philosophie d’autrui sexuée, voir la table de l’ouvrage :

      http://www.leseditionsdeminuit.com/images/3/revue_3183.pdf

      #livre pas en ligne, Minuit, un fonds remarquable de livres au prix régulièrement augmentés, et des rentes.

    • Une précision quand même sur ces fameux textes de jeunesse : Description de la femme est pour partie un texte pastiche « à la Sartre » et surtout, Deleuze a renié la totalité de ce petit corpus (quatre en tout) ; si c’est édité, c’est que des éditions pirates - fautives - circulent de toute façon. Mais l’important c’est ça : renié, renié, renié.
      Quant à Minuit : qu’ils spéculent sur leur fonds, à la limite ce serait pas grand chose s’ils n’en réinvestissaient pas les bénéfices dans les fictions merdiques à la papa et les pitreries théoriques qui leur servent de ligne -segment- éditorial depuis 30 ans...

    • Merci pour la précision.
      Pastiche renié ou pas, « Sartre a été tout pour moi. Sartre a été quelque chose de phénoménal [...] J’ai été fasciné par Sartre. Et pour moi, il y a une nouveauté de Sartre qui ne se perdra jamais, une nouveauté pour toujours. », G.D.
      Et sinon, vendre très cher, et toujours plus cher des livres qui sont plus que rentables depuis des décennies, en évitant soigneusement de les publier en poche, comme le fait Minuit, ce n’est pas "pas grand chose" même "à la limite", c’est tout simplement infâme. Il est effectivement loin le temps où, parfois (la création de l’égyptologie, par exemple), la rente occasionnait des découvertes

    • Un entretien avec D. Lapoujade qui a préparé l’édition (mais pourquoi télérama enfin !)
      http://www.telerama.fr/idees/gilles-deleuze-est-mort-il-y-a-20-ans-il-n-est-toujours-pas-post-il-est-neo

      « Oui, les lettres qu’il lui adresse montrent combien Deleuze a besoin de Guattari pour avancer. Et, comme le révèlent les reproches qu’il fait à Arnaud Villani (philosophe qui était en train d’écrire un livre sur son œuvre), Deleuze supporte très mal l’idée qu’on oublie Guattari lorsqu’il est question de L’Anti-Œdipe ou de Mille Plateaux. On ne perçoit pas toujours combien la rencontre avec Guattari a provoqué une profonde refonte d’un système philosophique que Deleuze a d’abord construit seul. Avec Guattari, tout change, le structuralisme cède la place à un machinisme généralisé. La philosophie devient pratique. J’aime beaucoup les passages où Deleuze écrit à Guattari : j’ai absolument besoin que vous m’expliquiez ceci ou cela. J’espère que cela tordra le cou à l’idée que Guattari est un complément gauchiste secondaire dans leur œuvre commune. »

  • De la révolte comme d’un art appliqué aux barricades / Hazan, Kamo, Zizek, Horvat

    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/09/de-la-revolte-comme-dun-art-applique.html

    La rentrée se décline sur le mode croisé de la révolte appelée par #Eric_Hazan, #Kamo, #Slavoj_Zizek et #Srecko_Horvat. La #barricade en serait comme une scène possible, celle de toute #insurrection : un #objet #rebelle à nos savoirs, à nos catégories de rangement. Elle n’entre en aucune classe, hors classe et hors #genre. Si d’habitude un objet s’inclut dans un #ensemble qui le collecte ou qui prend le nom d’une collection, la barricade se compose de choses tout à fait #réfractaires à une mise en ordre de ce qui se laisse #ordonner selon un #concept. Elle est faite de barriques autant que de futilités, futilis étant la fente, la fuite qui ouvre la barrique à des usages multiples. La barricade selon Eric Hazan est un amas, un tas, une composition d’objets disparates qui témoigne de la #lutte, de ce qui passe entre les #classes, faisant appel à des clous autant que des moellons, pavés, planches, cerceaux métalliques dans une disproportion qui appelle tous ceux qui ne jouissent d’aucune reconnaissance. Elle les ouvre à une forme commune, un #communisme qui n’est pas celui du genre ou de l’#espèce ni d’ailleurs de la classe #sociale.

    La lutte est #interstice, fusion des classes en une #Commune qui témoigne de l’espace d’une véritable cité, d’une cité bouleversée. Y naissent des histoires d’amours et des pactes d’alliance, des chevauchements affectifs et des figures de l’enfance que la littérature elle-même pourra s’approprier en faisant de tous les misérables un foisonnement de singularités rebelles. Et comment la barricade peut-elle fendre l’#ordre_établi et lui inoculer des grains de sables capables d’enrayer la machine du #pouvoir ? Quelles mesures décider dans la disparités des barricades, placées hors l’autorité des sciences politiques ? Un ensemble de questions qui pousseront Hazan et Kamo à adopter les Premières mesures révolutionnaires. L’immonde du monde d’aujourd’hui qui ne répond plus à rien, cet ordre #mondial qui confine à l’équivalence de tout, sans aucune #dignité ni aucune forme de #subjectivité, cet #immonde réclame une #critique capable de rompre l’éternel retour du même, la #restauration de l’ordre toujours reconstitué par-delà le #désordre des barricades. L’insurrection ne peut s’insurger vraiment, devant l’ordre mondial, qu’en prenant la forme d’une #insurrection irréversible et irrespectueuse des principes moraux qui protègent les nantis. Elle advient au nom d’un ailleurs et d’un incommensurable, d’un monde qui soit avant tout un monde autre, inventif, créatif, contrant le ressassement de la même organisation.

    #Sciences_Politiques #Philosophie #Histoire #Livres

    • Littérature romantique ; la dignité se trouve partout, elle se pratique et se vit chez nombreux. La subjectivité est certes prisonnière mais pas chez tous.
      L’ insurrection ? quelle nouvelle violence cache ce mot échevelé ?
      L’ autre monde ? cela se crée quotidiennement.

  • Vertige esthétique et sentence d’une vérité « Dieu est mort »
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/la-dure-sentence-dieu-est-mort-hegel.html

    le monde du souci des bonnes mœurs, de la coutume et de la religion (…) se sont donc enfoncés dans la conscience comique, et la conscience malheureuse est le savoir de cette perte toute entière. Est perdue pour elle aussi bien la valeur par soi-même de sa personnalité immédiate, que celle de sa personnalité pensée. La confiance dans les lois éternelles des dieux s’est tue, tout aussi bien que les oracles qui faisaient savoir le particulier. Les statues sont maintenant des cadavres dont a fui l’âme vivifiante, de même que l’hymne n’est plus qu’une suite de mots dont toute croyance s’est enfuie. Les tables des banquets des dieux sont vides de breuvages et de nourriture spirituelle, et la conscience ne voit plus revenir, dans les fêtes et les jeux, la joyeuse unité de soi avec l’essence. Il manque aux œuvres des Muses la force de l’esprit, pour qui a surgi, de l’écrasement des dieux et des hommes, la certitude de soi-même. Elles sont donc désormais ce qu’elles sont pour nous, de beaux fruits arrachés de l’arbre, un destin amical nous en a fait l’offrande, à la façon dont une jeune fille nous présente ces fruits ; il n’y a ni vie effective de leur existence, ni l’arbre qui les a portés, ni la terre, ni les éléments qui ont constitué leur substance, ni le climat qui a défini leur détermination, ni encore l’alternance des saisons qui dominaient le processus de leur devenir. –Ainsi donc le destin ne nous donne pas (…) le printemps et l’été de vie soucieuse des bonnes mœurs et de la coutume dans laquelle elles ont fleuri et mûri, mais uniquement le souvenir voilé de cette effectivité. C’est pourquoi ce que nous faisons en jouissant d’elles n’est pas une activité de service divin par laquelle adviendrait à notre conscience la vérité parfaite qui est la sienne et qui la comblerait, mais c’est une activité extérieure, celle qui, par exemple, essuie les gouttes de la pluie ou la fine poussière déposées sur ces fruits, et qui à le place des éléments intérieurs

    Hegel

    #Hegel #Philosophie #Esthétique #Phénoménologie #Être #Matière #Choses #Ethique #Ontologie #Art #Rire #Dieu #Libération #Conscience #Tragédie #Intériorité #Mélancolie

  • « L’Europe des parasites »
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/06/leurope-des-parasites.html

    Nous n’avons sans doute à aucun moment de notre histoire connu un développement en richesses aussi exorbitant. Cela se chiffre en un nombre astronomique de devises dont nous ne produirons aucun tableau tant la chose est palpable, d’une évidence devenue si naturelle qu’elle se confond avec le paysage. La crise est là pourtant, mais comme une illusion dont il conviendrait tout de même de dénoncer la ténacité, passée inaperçue en son irréalité. Cela ressemble à une tique dont l’injection narcotique ne laisse plus ressentir sa présence parasitaire.
    Les déficits que nous connaissons en Europe sont en vérité des déficits fort rentables. Ils supposent un bénéfice dans les milieux financiers qui organisent la dette et tirent profit de la destruction des emplois. De l’argent qui nourrissait le bien public, ces institutions de granit et de marbre cherchent à capter la ressource en augmentant les taux d’intérêts chaque minute, directement prélevés sur nos impôts. Alors que l’impôt était conçu pour la mise en commun de créations citoyennes, alors qu’il était affecté à l’égalité humaine et au développement de valeurs culturelles, l’argent qui nous est extorqué au nom de l’Europe se voit affecté à éponger une dette dont l’existence est purement artificielle et factice. Comment pourrait être en dette un monde aux profits devenus indécents, chiffrés en billions de milliards ?

    #Economie #Prédation #Europe #Etat #Dette #finance #Richesse #libéralisme #Technocratie #Capitalisme

  • « J’accuse » a propos de la catastrophe au #bangladesh par Karl Abersteon.
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/jaccuse.html

    Il nous faut accuser même si le goût de l’accusation est passé de mode, pourfendre non pas les petits voleurs à la tire devant les grands magasins de luxe, mais les magasins de luxe eux-mêmes. J’accuse ces grands carrefours du chic et bon genre, non pas seulement de perpétrer le crime des savoirs-faire et des emplois qui ont été détruits massivement, sans état d’âme. J’accuse l’infamie de leur « dégraissage » sans nombre -nom odieux devenu bienséant- imposé à toutes les sociétés qui n’existent plus, étouffant toute création au bénéfice de la mondialisation. J’accuse, nous accusons tous autant que nous sommes et avec toutes nos forces, ces grandes Maisons, ces grandes marques, tous les grands qui ont perdu leur grandeur de ne songer qu’à détruire ce qui est Grand, d’être les maîtres d’œuvre de ce qui est vilain, laid, faisant de la laideur la seule ressource de vie sans que nul ne les condamne pour cette dévitalisation. Les délinquants que nous pourchassons tous les jours ne sont rien en comparaison du vol suprême commis au nom de la richesse, de la bleue piscine des créateurs de destruction. J’accuse cette engeance aux mains propres et au cœur sale de se retrancher derrière la moralité, de se scandaliser des sans-abris, d’afficher un air compassé devant les pauvres tout en créant à la vue de tous l’esclavage, détroussant les faibles, faibles de tous pays miséreux. J’accuse leur dentier gras de faire claquer le caviar, d’éclabousser de leurs restes tout ce qui vit sans ressentir le relent misérable qui en émane. Le goût des cadavres écrasés sous le poids de conditions de travail qui se réclament de plus en plus sans condition. J’accuse ces marchands de rêve de créer du cauchemar, de la maladie, de l’épidémie, de l’abjection. Je les accuse pour tous les corps écrasés, vendus, comme des carcasses de viande, des os, bientôt des abats recyclés avec tout le brillant d’un emballage ou le clinquant musical des grandes surfaces. J’accuse ces arracheurs d’entrailles, ces bouffeurs de rats qui traitent les hommes comme du bétail, je les accuse donc de revendre partout leur mauvaise conscience, leur défiscalisation indue, leurs titres de noblesse, leurs actions de grâce, leur sourire aux dents blanchis par des paradis artificiels dont nous ne voulons plus, avec comme nulle autre conséquence que celle de la détérioration du monde en ressources d’intelligence, d’énergie et de beauté.

    #Exploitation #Esclavage #Mondialisation #Prédation #Industrie_du_textile #Capitalisme

  • De L’extrême « visibilité » que sont aujourd’hui les icônes top-models et leurs corps glorifiés par un trop-plein de lumière jusqu’ à l’aveuglement.
    A propos du livre « Corps glorieux de la top-modèle » de Véronique Bergen par #Jean-Clet_Martin
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/corps-glorieux-de-la-top-modele.html

    C’est en effet la transparence du modèle qui l’emporte sur la copie, le brillant d’une diagonale intelligible capable de fournir le carré d’une figure que nul ne peut voir autrement que par les yeux de l’esprit. Et pourtant, les formes pures ne cessent d’emprunter aux strass et aux parures le jeu de leur gloire, le brillant de leur assise stellaire. On tiendra, au titre d’un argument sévère et exigeant, que l’Idée ajuste son fard et sa poudre étoilée à la gloire d’un corps, celui qui va au turbin de la lumière, monte sur le podium essentiel d’un découpage scénique fort calculé. Preuve en est l’intérêt dont Degas, Mallarmé autant que Valéry témoignent à l’aspect, à la spectralité évanouie des scènes les plus obscènes.
    La patine de l’Idée ne serait rien sans ce modèle qu’elle ignore, ce modèle offert aux regard les plus indiscrets, celui que la poursuite ronde de la lumière découpe, déchiquette, trucide en un carré scénique, un top d’une minute, d’un instant de rien du tout, simple éclat de vie qui abolit sa durée, l’éternise jusqu’au suicide. Le top modèle est le Christ inversé de l’Idée, sa gloire vampirisée par les éléments d’Euclide, par les partitions Platoniciennes qui arborent la perfection dure des schèmes mathématiques. Gloire des apparences diaphanisées par la splendeur des Idées épurées, épreuve de la superficie dont la nudité n’est que celle des Vérités les moins incarnées en apparence.

    #Icônes #Tops_models #Mode #Femme #Glorification #Mythe #transparence #Philosophie #Foucault #Platon #Ontologie #Littérature #livre

  • "Dialogue avec Jean-Clet Martin, autour de son « Deleuze », paru aux éditions de l’Eclat"
    Un moment de radio intelligent,vif,lumineux en un mot captivant !
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/06/deleuze-perspectives-ethiques-entretiens.html

    Le livre de JCM (qu’on me permette cette abréviation) est vif, il se lit rapidement, il est imagé, recourt à des exemples. Il revêt ainsi une dimension pédagogique, évite le jargon et va à l’essentiel — encore que sur cette question il est permis de se demander si la philosophie de Deleuze peut s’attraper, si elle contient un cœur ou un noyau, un centre, une base… Y a-t-il une entrée privilégiée pour pénétrer la cathédrale ou faut-il se jeter du haut de son regard de lecteur pour atterrir quelque part au milieu de la toile d’araignée ? En offrant un parcours et non une thèse sur Deleuze, JCM privilégie l’intuition plutôt que le jugement. Tout le contraire de ce que dans un livre polémique, il y a de cela une quinzaine d’années, Badiou avait entrepris, notamment en mettant l’accent sur une notion difficile mais néanmoins cruciale chez Deleuze, celle de l’#univocité de l’#Être : comment un philosophe du multiple peut-il en appeler à une forme d’unité, ou plutôt qu’à une forme à un « réel » unaire, commun à tous, sans retomber dans un idéalisme, une abstraction, un platonisme ? (Et quel besoin de le faire ? Réponse : donner consistance au plan du vécu, de l’expérience, comme à celui de la pensée ou de la création.) #Badiou s’appuyait alors essentiellement sur Logique du sens pour disqualifier d’une part le règne des #simulacres (ou des étants) – Deleuze récuse effectivement la vérité au profit des puissances du faux -, d’autre part une conception de l’Être assimilé à un « réservoir infini de productions dissemblables » [2]. C’est que Badiou pense en termes d’Idée là où Deleuze pense en termes de force. Deleuze écrit au sujet du vitalisme (monisme) duquel il se réclame : « Le #vitalisme a toujours eu deux interprétations possibles : celle d’une Idée qui agit, mais qui n’est pas, qui agit donc seulement du point de vue d’une connaissance cérébrale extérieure ; ou celle d’une force qui est, mais qui n’agit pas, donc qui est un pur Sentir interne [3]. » Chacun sent différemment mais à travers son sentir, c’est la même force de l’être univoque qui s’affirme et qui dit « oui », même dans la lutte, a fortiori dans la lutte.

    #Philosophie #Deleuze #Spinoza #Borges #Beckett #Radio #Audio #Entre_là #Jean-Clet_Martin #livre

  • Très bonne Préface à l’édition Brésilienne du « Maitre ignorant » de #Jacques_Rancière http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/le-maitre-ignorant-jacques-ranciere.html

    Toutes les deux surtout sont enfermées dans le cercle de la société pédagogisée. Elles attribuent à l’Ecole le pouvoir fantasmatique de réaliser l’égalité sociale ou, à tout le moins, de réduire la « fracture sociale ». Mais ce fantasme repose lui-même sur une vision de la société où l’inégalité est assimilée à la situation des enfants en retard. Les sociétés du temps de Jacotot avouaient l’inégalité et la division en classes. L’instruction était pour elles un moyen d’instituer quelques médiations entre le haut et le bas : de donner aux pauvres la possibilité d’améliorer individuellement leur condition et de donner à tous le sentiment d’appartenir, chacun à sa place, à une même communauté. Nos sociétés sont loin de cette franchise. Elles se représentent comme des sociétés homogènes où le rythme vif et commun de la multiplication des marchandises et des échanges a aplani les vieilles divisions de classes et fait participer tout le monde aux mêmes jouissances et aux mêmes libertés. Plus de prolétaires mais seulement des nouveaux venus qui n’ont pas encore pris le rythme de la modernité ou des attardés qui, à l’inverse, n’ont pas su s’adapter aux accélérations de ce rythme. La société se représente ainsi à la manière d’une vaste école ayant ses sauvages à civiliser et ses élèves en difficulté à rattraper. Dans ces conditions, l’institution scolaire est de plus en plus chargée de la tâche fantasmatique de combler l’écart entre l’égalité proclamée des conditions et l’inégalité existante, de plus en plus sommée de réduire des inégalités posées comme résiduelles. Mais le rôle dernier de ce surinvestissement pédagogique est finalement de conforter la vision oligarchique d’une société-école où le gouvernement n’est plus que l’autorité des meilleurs de la classe. A ces « meilleurs de la classe » qui nous gouvernent se trouve alors reproposée la vieille alternative : les uns leur demandent de s’adapter, par une bonne pédagogie communicative, aux intelligences modestes et aux problèmes quotidiens des moins doués que nous sommes ; d’autres leur demandent à l’inverse de gérer, depuis la distance indispensable à toute bonne progression de la classe, les intérêts de la communauté.

    #Education #pedagogie #Autonomie #philosophie #Emancipation #Joseph_Jacotot