[suite] Il a répété cet argument dans un second document qu’il a adressé aux juges. Fait peu fréquent : les députés socialistes ont adressé le 13 mai un « mémoire en réplique » aux arguments du gouvernement, qu’ils ont consacré exclusivement à la défense de leur initiative sur le RIP. Encore plus rare : le même jour, le gouvernement a envoyé des « observations complémentaires » à la rue de Montpensier. Celles-là portent également sur le RIP et rien d’autre.
Dans ce document de deux pages, il insiste : « A compter de la promulgation à venir, la proposition de loi dont l’initiative référendaire a pris la forme aura pour objet l’abrogation d’une disposition législative depuis moins d’un an. » Il rappelle en outre qu’en créant le RIP, le rapporteur de la loi avait prévu cette règle pour « éviter que [celui-ci] ne devienne une arme de contestation d’une nouvelle législation et pour ainsi dire d’obstruction du travail du législateur ». En bref un outil de contestation systématique des projets de loi, menaçant le système de paralysie.
S’ensuit une forme de mise en garde. « Le Conseil constitutionnel est le seul garant de cet équilibre », insiste le gouvernement dans ses observations complémentaires. Le sous-entendu est clair : il en va de l’équilibre des institutions. Déjà, dans les observations adressées sur la proposition de RIP, et dans celles sur l’ensemble de la loi Pacte, il faisait état de « graves conséquences pour le fonctionnement de la démocratie ». Dans le premier document, il qualifiait la démarche de l’opposition de « manœuvre destinée à contourner l’intention clairement exprimée par le constituant ».
« Double faute juridique et démocratique » du Conseil
En adressant ces arguments, le gouvernement est parfaitement dans son rôle. Le Conseil constitutionnel est dans le sien et a décidé de ne pas en tenir compte. Pour lui, il s’agissait de juger de la conformité de ce texte à la Constitution, et non pas d’évaluer l’éventuelle collision entre ces deux décisions. « La circonstance que, compte tenu du lancement de la procédure du RIP, cette privatisation puisse en fait être rendue plus difficile, peut sans doute donner matière à réflexion sur la manière dont cette procédure a été conçue, mais nul ne saurait ignorer la lettre de la Constitution et de la loi organique que le Conseil constitutionnel a pour mission de faire respecter », tranche Laurent Fabius, président de l’institution, dans un communiqué publié jeudi soir. « Ce sera donc au peuple français d’utiliser le référendum pour dire NON à la privatisation d’ADP », s’est félicitée jeudi soir sur Twitter la députée socialiste Valérie Rabault.
Les vives mises en garde du gouvernement en disent long sur ce qui est en jeu. Elles sont au cœur d’une controverse juridique qui se tient depuis la décision du 9 mai. Par voie de presse, plusieurs constitutionnalistes ont fait savoir leur opposition au feu vert donné au RIP par le Conseil constitutionnel. Dans l’édition du Monde du 15 mai, Olivier Duhamel, ancien conseiller de deux présidents du Conseil constitutionnel, et le professeur de droit Nicolas Molfessis dénonçaient une « double faute juridique et démocratique » du Conseil. « Son légalisme à courte vue n’est pas la marque d’une simple naïveté ; il pourrait mettre en mouvement une bombe à retardement », dénonçaient-ils.
Le même jour, Jean-Eric Schoettl, ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel, estimait dans Le Figaro qu’on pouvait « craindre » que la décision « ne soit fidèle ni à la volonté du constituant de 2008, ni plus généralement à l’esprit des institutions de la Ve République ». Des voix qui partageaient donc l’inquiétude de celui qui a tenu la plume pour le gouvernement et qui fut lui aussi secrétaire général du Conseil constitutionnel : Marc Guillaume.
Parlementaires pas reçus par Castaner
Dans ce contexte, le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, a refusé de recevoir cette semaine les parlementaires à l’origine de la démarche. Huit d’entre eux, dont six présidents de groupe, avaient demandé à être reçus à Beauvau, qui sera chargé de l’organisation de la prochaine étape de la procédure du RIP : la collecte des 4,7 millions de signatures d’électeurs. Les élus d’opposition voulaient « s’assurer collectivement du bon déroulement de la mise en œuvre opérationnelle de la campagne de collecte des signatures ».
« C’est sous le contrôle et pour le compte du Conseil constitutionnel que le ministère de l’intérieur a pour mission de mettre en œuvre le recueil des soutiens apportés par les électeurs », leur a rétorqué Christophe Castaner dans ce courrier consulté par Le Monde, les renvoyant vers les juges. « Au mieux c’est un signe de faiblesse de Christophe Castaner, au pire c’est un renoncement à la démocratie », s’insurge l’un des signataires, Philippe Vigier, président du groupe Libertés et territoires à l’Assemblée nationale.
En théorie, le RIP suit donc son cours. Le gouvernement a jusqu’au 15 juin pour publier le décret qui ouvrira officiellement la collecte de 4,7 millions de signatures. Si ce seuil est atteint dans un délai de neuf mois, l’Assemblée nationale et le Sénat auront six mois pour se saisir de la proposition de loi référendaire. Si elles la mettent toutes les deux à leur ordre du jour, il n’y aura pas de référendum. Si au bout de six mois, au moins l’une des deux ne l’a pas examinée, le président de la République sera alors tenu de déclencher un référendum. A moins que l’exécutif ne déterre d’ici là d’autres outils pour tenter de faire échec à la procédure. Dans ses observations, le gouvernement rappelle par exemple que le chef de l’Etat a la possibilité de demander une deuxième délibération sur un texte de loi. La bataille juridique n’est certainement pas terminée.