• La fin de la collaboration Google-Huawei, symbole de la balkanisation du Web
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/05/20/huawei-google-la-nouvelle-guerre-froide-a-commence_5464482_3234.html?xtor=EP

    Dans la nuit du 12 au 13 août 1961, l’Allemagne de l’Est a surpris le monde en entamant l’érection autour de Berlin-Ouest d’un gigantesque mur « antifasciste ». La guerre froide avait son symbole et pouvait occuper le devant de la scène pour près de trente ans. Brique par brique, Donald Trump semble vouloir construire son mur, mais, cette fois, pour contenir les ambitions commerciales et stratégiques chinoises.

    Un édifice totalement virtuel, mais tout aussi redoutable et dont la première concrétisation grand public est apparue ce week-end : Google a annoncé geler toute collaboration avec le deuxième vendeur mondial de smartphones (en unités), le chinois Huawei. Et notamment l’accès aux très populaires applications de l’américain, comme Gmail, YouTube ou Google Maps. Ainsi que les mises à jour de son système d’exploitation Android, qui équipe près de 2,5 milliards de téléphones dans le monde.
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    Cette décision est la conséquence logique de l’inscription de Huawei sur la liste noire tenue par Washington. Les entreprises américaines qui souhaitent fournir des composants aux sociétés ainsi stigmatisées devront demander une autorisation spéciale. Le plus grave pour le roi des télécoms chinois sera certainement la restriction d’accès aux puces électroniques, dont les Américains sont les champions mondiaux. Mais le blocage des accords sur Android est le plus spectaculaire. Cela affectera peu les téléphones de la firme vendus en Chine, dont les applications de l’américain sont interdites, mais lourdement ceux vendus en Europe, son second marché.
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    Nouvelle guerre froide

    En ce qui concerne le système d’exploitation Android, le plus populaire au monde, Huawei pourra continuer à utiliser sa version libre de droits, mais il n’aura plus accès au support technique et aux mises à jour décidées par l’entreprise. Il devra développer sa propre version, qui, progressivement, divergera de celle de l’américain. Ou lancer mondialement son système d’exploitation maison, qu’il a déjà déployé en Chine. Cette mesure ne tuera pas la société mais l’affaiblira sérieusement.

    Google, lui, n’y perdra pas grand-chose financièrement puisqu’il est déjà interdit de séjour en Chine pour ses applications. Mais cela va sérieusement affecter sa stratégie en creusant encore la division du monde de l’Internet en blocs de plus en plus distincts. Android, volontairement ouvert à tous, se voulait, à l’instar du Windows de Microsoft dans les années 1990-2000, comme le standard indépassable du marché. C’est lui qui a permis l’émergence des smartphones coréens et chinois, qui se sont ainsi lancés à l’assaut du monde sous l’ombrelle de Google.

    Dans la Silicon Valley comme à Shenzhen, où l’on s’effraye de cette balkanisation du Net sous la pression des rivalités politiques, on veut croire que le champion chinois n’est que l’otage d’une guerre commerciale qui devra bien un jour aboutir à un accord entre les deux puissances. Mais il y a peu de chances que cela change la donne. La nouvelle guerre froide a commencé et les murs qui montent ne sont pas près de tomber.

    #Géopolitique #Google #Huawei