• Essai. Comment 1938 éclaire notre présent
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    Dans son dernier ouvrage, le philosophe Michaël Fœssel explore la fin des années 1930 par le biais de la presse de l’époque.

    Le thème du « retour des années 1930 » tend à devenir l’un des lieux communs de notre époque, marquée par l’inquiétante résurgence des extrêmes droites en Europe et dans le monde. Mais, bien évidemment, la thèse d’une répétition à l’identique de l’histoire ne saurait résister longtemps à l’examen. Dès le début de son dernier ouvrage, Michaël Fœssel y insiste : « Aucun événement historique ne se reproduit sous la forme et dans les circonstances où il est advenu une première fois. » Et pour s’en convaincre, il suffit de songer un instant à l’impact des outils numériques sur les modes de mobilisation collective.

    Mais une fois la chose entendue, il n’est pas interdit d’aller « à la rencontre » d’un certain passé avec les préoccupations du présent. Et c’est précisément à cette démarche que nous convie le philosophe, en se centrant pour sa part sur l’année 1938. Son intérêt s’est porté sur cette date un peu par hasard. Tombé d’abord sur un éditorial particulièrement abject, paru dans un journal collaborationniste daté d’un jour de juin 1944, à un moment où la perspective d’une victoire alliée ne faisait plus de doute, il a éprouvé le besoin de remonter quelques années en arrière. « Je me suis souvenu que Je suis partout existait avant l’occupation allemande. Je me suis dit qu’il ne serait peut-être pas inutile de voir ce que ces types écrivaient avant cela », explique-t-il. Et il se trouve que c’est en 1938 que le ton du journal se précise, délaissant les précautions rhétoriques de ses débuts pour assumer ouvertement son antisémitisme. De là, Michaël Fœssel a pu explorer toute une période, son imaginaire dominant, sa « guerre des mots » et ses décisions politiques.

    1938, c’est l’année des accords de Munich, par lesquels les Français et les Britanniques, au prétexte de préserver la paix, livrent la Tchécoslovaquie à Hitler. C’est l’année de la démission de Blum et des pleins pouvoirs à Daladier, lequel entend « remettre la France au travail » par une série de « décrets-lois » mêlant recours aux heures supplémentaires et facilitation des licenciements, hausses de taxes sur les produits de première nécessité, suppressions de postes de fonctionnaires, mais aussi, déjà, des mesures contre les étrangers : traque et répression des « clandestins », « déchéance de nationalité » facilitée… 1938, c’est également, le 30 novembre, l’échec d’une grève générale et sa répression inouïe (10 000 ouvriers licenciés, près d’un millier de syndicalistes condamnés à de la prison ferme). « Au cours des mois qui suivent, il ne sera plus question de revendications sociales, seulement des victoires de la “République”, de l’“unité nationale” et de la “restauration de l’autorité de l’État” », observe Michaël Fœssel.

    Les analogies avec certains aspects de notre actualité crèvent les yeux. À travers des formes renouvelées, ne retrouve-t-on pas, de nos jours, le même mélange de libéralisme économique débridé et d’autoritarisme politique, la même tentative de neutraliser la colère sociale par l’agitation de sujets identitaires ?

    Fondamentalement, comme le résume l’auteur lui-même, « le détour par 1938 permet de voir en accéléré une démocratie qui prétend se défendre en empruntant les armes de ses adversaires les plus acharnés ». En creux, le message est clair : pour empêcher la « récidive », il n’est point d’autre voie que la défense intransigeante et l’approfondissement de la démocratie. Un livre essentiel dans nos temps troublés.

    • Toutes les citations exhumées se révèlent « raccord », tant à 80 ans de distance se fait jour le même jeu pervers et redoutable sur le « ressentiment » populaire, sciemment déchaîné par un pouvoir qui fait mine d’y répondre et de le tempérer.

      L’épilogue du livre saute aux yeux. En voici un extrait :

      « L’avantage de 1938 est de condenser en quelques mois des évolutions à l’œuvre depuis plus d’une décennie dans le présent : radicalisation conservatrice du discours camouflée par une idéologie postpartisane, triomphe des solutions libérales en pleine crise du libéralisme économique, perception des procédures démocratiques comme un obstacle à la mise en œuvre d’une politique efficace, renforcement inexorable du pouvoir exécutif, multiplication des lois sécuritaires, restrictions dans la politique d’accueil des réfugiés, stigmatisation d’une minorité religieuse à la faveur d’une “guerre” officiellement déclarée contre ses membres les plus fanatiques. Le tout sur le fond d’une montée apparemment irrésistible des “nationaux” rebaptisés ”populistes” sans que cette nouvelle appellation nous éclaire beaucoup dans l’intelligibilité du phénomène. »

      Et Michaël Fœssel de poursuivre :

      « Le détour par 1938 permet de voir en accéléré une démocratie qui prétend se défendre en empruntant les armes de ses adversaires les plus acharnés . »

      http://www.universitepopulairetoulouse.fr/IMG/pdf/article_800632.pdf