• La typographie du mal _ Stéphane Baillargeon - 16 Aout 2018 - Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/societe/534580/la-typo-gothique-n-a-pas-reussi-sa-redemption-apres-1945

    Les polices de caractères ont souvent une histoire étonnante dans laquelle s’entremêlent enjeux graphiques, économiques et sociopolitiques. Dernier texte d’une série estivale consacrée au sujet.

    Le traitement de texte Word, de très, très loin le plus populaire du monde, propose des dizaines de polices de caractères — le Brunel Poster, le Tahoma, le Verdana et l’Optima —, mais pas le gothique, qui ne fait pas partie du lot de base. Normal. Qui en voudrait ? Qui s’en servirait ? Ce que les Anglais appellent la « black letter » et les Allemands, l’écriture brisée ou fracturée (Gebrochene Schrift ou Frakturschrift) a pratiquement disparu de l’usage courant.

    La typo caractéristique, avec ses arcs rompus, ne survit que dans les logos d’anciennes compagnies (Seagram) et de très vieux journaux (The New York Times), sur les pochettes de disque de groupes de musique métal et les écussons de clubs de méchants motards.

    C’est un peu beaucoup la faute aux nazis. Le gothique est sorti exsangue de la Seconde Guerre mondiale, mais pas exactement pour les raisons que l’on pourrait croire. Les virages abrupts ne manquent pas avec cette manière d’écrire…

    Antiqua-Fraktur
    En Allemagne, les caractères de l’écriture fracturée (la Fraktur en allemand) ont été en concurrence avec l’écriture dite latine ou antique (l’Antiqua) bien avant 1933. L’opposition reposait sur des fondements politico-idéologiques multicentenaires.

    Sur son passionnant site http://j.poitou.free.fr/pro/html/ltn/gothique-a.html consacré aux langages, aux écritures et aux typographies, le professeur d’études germaniques Jacques Poitou rappelle que Luther exigeait les lettres gothiques pour sa traduction en allemand de la bible, laissant les formes latines aux textes en latin. Gutenberg a donc imprimé en Textura http://www.gutenbergdigital.de/bibel.html# (une variante gothique du XIVe siècle) ses premiers exemplaires du Livre.

    Au contraire, les frères Grimm, pourtant folkloristes à souhait, n’avaient que de mauvais mots pour cette typographie dite nationale. Ils la trouvaient « informe et laide », « dégénérée et sans goût ».

    Les Allemands parlent de la Schriftenstreit ou de l’Antiqua-Fraktur-Streit. Cette querelle (Streit) s’est amplifiée après l’unification de l’Allemagne à la fin du XIXe siècle.

    Pour les nationalistes, l’Antiqua « vide et creuse » symbolisait tout ce qui était étranger. La « profondeur » de la Fraktur devenait une spécificité nationale. Otto von Bismarck aurait refusé un livre qui n’était pas publié en gothique.

    Au contraire, une société pour l’ancienne écriture (Verein für Altschrift) a tenté à partir de 1885 de favoriser dans l’empire allemand l’expansion de l’écriture latine dominante dans le monde depuis la Renaissance. L’ancienne manière était à l’évidence la plus moderne. Le Reichtag a voté contre cette proposition en 1911.

    Une révolution culturelle
    Les nazis ont plongé dans la controverse politicotypographique. Dans un essai récent intitulé La révolution culturelle nazie (Gallimard), l’historien Johann Chapoutot expose la cohérence intellectuelle et rationnelle du projet hitlérien. Cette révolution conservatrice préconise un retour aux origines en s’appuyant sur les notions de la race, du sang et de la terre.

    Dans cette conception du monde, la communauté prime l’individu et la lutte pour la préservation du peuple germanique se fait en préservant les traits intrinsèques fantasmés tout en combattant à mort les supposées menaces extérieures biologiques, intellectuelles ou culturelles. Tous les éléments de la vie passent au tamis sombre, de l’histoire à la géographie, de l’art à l’éthique. Le professeur Chapoutot cite le juriste nazi Hans Frank qui modifie l’impératif catégorique universel de Kant avec cette formule : « Agis de telle sorte que le Führer, s’il prenait connaissance de ton acte, l’approuverait. »

    L’écriture est donc aussi enrôlée dans la révolution culturelle. Le gothique est célébré comme distinction graphique du peuple aryen. Les SS en pincent aussi pour l’alphabet runique. L’État militaire et totalitaire a trouvé sa police. Un décret de 1934 interdit aux éditeurs juifs d’utiliser la Fraktur. Le nombre d’ouvrages en allemand imprimés dans cette fonte passe de 5 % avant 1933 à près de 50 % en 1935. Mein Kampf, livre programmatique du Führer, est publié avec les caractères fracturés.

    Cette position change radicalement après le début de la Seconde Guerre mondiale. Les nazis se rendent à l’évidence que le reste de l’Europe utilise l’Antiqua. La propagande doit donc délaisser la Fraktur pour rejoindre les peuples conquis, habitués aux styles latins depuis des siècles.

    Dès mars 1940, Berlin décide que les publications préparées pour le Reich doivent se faire dans l’antique manière. Le 3 janvier 1941, la chancellerie publie un décret décrivant le gothique comme une « écriture juive », une de ses versions datant du Moyen Âge, la Schwabacher.

    Le 10 janvier, un communiqué de presse explique ainsi la décision : « Un peuple qui a l’ambition d’être une puissance mondiale doit avoir une écriture qui permette à tous les peuples d’étudier la langue allemande, sans qu’une prétendue écriture nationale les en empêche. »

    Folklorique
    Le pouvoir interdit aussi aux écoles d’enseigner la Sütterlin, une forme cursive dérivée de la Fraktur. Cette calligraphie inventée en Prusse en 1915 est remplacée par la Normalschrift, en fait la cursive latine qu’apprennent encore les écoliers allemands, comme tous les Européens.

    Dans les faits, le virage idéologico-typographique n’empêche pas le gothique de continuer une partie de sa vie enténébrée dans le IIIe Reich, bien qu’à moindre échelle. Der Stürmer, torchon antisémite de Julius Streicher, condamné du procès de Nuremberg, est publié avec les fontes cassantes jusqu’à son dernier exemplaire en 1945. D’autres journaux, comme le Berliner Morgenpost, mélangent les deux caractères : les titres en Fraktur et les sous-titres en Antiqua.

    L’Allemagne conquise va poursuivre un temps dans cette situation de « double écriture ». Dans les zones occupées, les consignes alliées s’affichent en style latin tandis que le nom des rues demeure en gothique. À la longue, la Fraktur a toutefois pris un sens folklorique, par exemple en publicité pour exprimer une idée de tradition. Une seule lettre a réussi son transfert d’une manière à l’autre, le eszett (ß), équivalent d’un double S.

    Pour le reste, la vieille police quasi millénaire ne s’est pas remise de l’association ambiguë avec le régime totalitaire. Dans l’imaginaire occidental, le gothique est en partie devenu la typographie du mal…

    _ D’une écriture à l’autre
    Le théologien Alcuin (mort en 804) encouragea la copie de nombreux manuscrits en utilisant une nouvelle écriture cursive ronde et régulière, la minuscule Caroline (nommée en l’honneur de l’empereur Charlemagne), qui s’imposa vite dans toute l’Europe. L’écriture gothique et ses tracés anguleux entrent en concurrence à partir du tournant de l’an 1000. Elle imite, ou en tout cas rappelle, l’arc brisé en architecture et devient l’écriture moyenâgeuse par excellence. Plusieurs manières gothiques se succèdent : primitive (jusqu’au XIIIe siècle) ; textura (XIIIe et XIVe siècles) ; rotunda (XIVe et XVe) ; bâtarde ou Schwabacher (XVe siècle) ; puis Fraktur (XVIe), qui va finir par désigner tous les gothiques allemands par opposition aux écritures latines (ou Antiqua). En langue allemande, tous ces styles sont des écritures brisées (Gebrochen Schriften), tandis que seule la textura est désignée comme « Gothische Schrift ».

    #Imprimerie #Police de #Caractère #Gothique #Histoire #livre #médias #littérature #art #typographique #typographie #mise_en_page #Lay_out #Allemagne

  • Le mur meurtrier de Berlin ? Pas tellement. Une analyse surprenante.


    (Berliner Mauer by Michael, on Flickr)

    Réponse à @unagi http://seenthis.net/messages/310127

    Le mur de Berlin enfermait toute une population. Cette affirmation est plausible et crédible et répétée jusqu’à l’infini. Pourtant elle est fausse.

    Le mur de Berlin n’enfermait pas toute une population, ce n’était d’ailleur pas son but essentiel. Dans un premier temps après sa construction ils s’agissait de « modérer » un flux migratoire et de limiter les action de l’ennemi sur le sol de la #DDR. Berlin est alors une plaque tournante de l’espionnage international. On est en pleine guerre froide quand une crise de Berlin et une crise de #Cuba sont étroitement liées. Les acteurs principaux en sont à chaque fois les #USA et l’ #URSS . Si on veut se faire une idée de l’ambiance il suffit de regarder le film L’Espion qui venait du froid . Vu dans ce contexte le mur de Berlin constitue une mesure pour maintenir un statu quo fragilisée par les actions des USA. La crise de Cuba est d’un autre acabit parce que là il s’agit pour L’URSS d’établir la possibilité d’attaquer les USA.

    Ceci dit en 1961 le mur de Berlin se présente à première vue comme l’élément d’une prison énorme. Pourtant c’ést faux, il n’entoure pas la RDA mais Berlin-Ouest dont les habitants sont libres de voyager où il veulent à condition que leur porte-feuille le leur permette et que l’état de destination leur délivre un visa.

    Pour les habitants de Berlin-Est le mur rend difficile voire impossible les visites spontanées dans l’autre partie de la ville. C’est là où s’arrête son vrai pouvoir. Les autres qualités attribuées au mur font partie de la même catégorie de mythes comme les récits sur la toute-puissance de la #NSA.

    Pour un observateur intelligent le mur de Berlin et la frontière entre les deux Allemagnes affichent des trous partout, d’abord par le fait qu’il est possible de les contourner par les frontières vers les autres pays toujours ouvertes. Ensuite l’architecture de sécurité du mur même présente des failles énormes qui permettent en principe à chacun de le passer sans mettre sa vie en danger.

    Il y a par exemple la possibilité de passer le mur dans les voitures des membres des forces d’occupation de l’Ouest qui ne sont jamais controlées. Il y a des imperfections dans le système de vérification d’identité des personnes qui offrent la possibilité à chaque citoyen de la RDA de passer la frontière avec un passeport ouest-allemand. Le problème est plutôt de se le procurer, c’est difficile mais pas impossible.

    Chaque retraité est autorisé à voyager librement et de rester à l’Ouest, au contraire la RDA encourage les retraités de rester à l’Ouest parce qu’après leur déménagement l’état fait énonomie de la retraite alors prise en charge par l’Ouest. Il y a des visas pour l’étranger pour les artistes, les sportifs, les fonctionnaires, les journalistes, les agents commerciaux, les marins, les étudiants et pour chacun qui doit voyager afin d’assurer le fonctionnement de la société ou de l’économie de la RDA.

    A cela s’ajoutent les visas pour les visites lors des mariages, les décès et les autres événements de famille. Enfin on peut quitter la RDA si on veut se marier à l’Ouest ou vivre avec sa famille restée de l’autre côté du mur.
    Ces visas et autorisations pour des raisons familiales sont exeptionnelles avant l’ accord quadripartite sur Berlin de 1970 et le traité fondamental entre les deux états allemands de 1972. Après leur application se généralise, toujours sous l’oeil malveillant de la #Stasi dirigée par l’ancien terroriste staliniste Erich Mielke qu ne comprend pas du tout ce qui se passe jusqu’au jour où son empire bureaucratique futile recoit le coup de grâce par un mouvement populaire imprévu.

    Alors comment expliquer les morts du mur de Berlin s’il est en fait si simple de le traverser ou contourner ?

    D’abord tout le monde n’a pas le temps, la patience, le savoir, le courage et l’intelligence nécessaire pour repérer et utiliser les failles du système sécuritaire. Ensuite l’envie de partir prend les hommes d’une manière spontanée dans des situations de crise quand il est impossible d’élaborer des solutions intelligentes. Alors on force le mur avec des conséquences parfois mortelles.

    Le mythe du mur infranchissable est entretenu des deux côtés. Pour l’Est l’efficacité de la frontière est en jeu : plus elle paraît infranchissable moins il y a de tentatives de la passer sans autorisation. Pour l’Ouest il s’agit de gérer un statu quo parce qu’on n’est pas préparé à l’assaut des foules arrivant de l’Est. Ceux à l’Ouest connaissant les failles du mur se gardent bien de les publier car ils en ont besoin pour leurs propres fins. Enfin le mur constitue le meilleur argument pour dénoncer la politique inhumaine communiste.

    En 1989 le mur de Berlin est impressionnant mais loin d’être parfait. Ce n’est pas surprenant quand on se rappelle qu’il est construit par des gens qui n’en veulent pas sur ordre d’une puissance étrangère qui cherche à limiter les risques d’un conflit mondial.
    Son imperfection est un facteur limitant le nombre de vie humaines sacrifiées. Les sources disponibles donnent un nombre des victimes en rapport avec le mur de Berlin entre 86 et 138. Avec les victimes de la longue frontière entre la RDA et la RFA on l’estime à 715 morts entre 1961 et 1989. A titre de comparaison : le nombre des morts suite à un accident de la circulationen en Allemagne entre 1980 et 1989 s’élève à 99.777 victimes. Ce chiffre correspond assez précisément au nombre d’Allemands suicidés dans la même période.

    Après ces observations l’impression s’impose que le mur de Berlin aussi impressionnant fût-il remplissait son rôle tant qu’on avait besoin de lui, mais qu’on surestime généralement son importance et son caractère meurtrier, surtout lors ce qu’on le compare aux murs dans le monde actuel.

    P.S. On est tenté d’attribuer au régime autoritaire et à l’existence du mur la proportion des suicides plus élevée de 50% en RDA par rapport au reste de l’Allemagne. Il n’en est rien. Cette disparité existe déjà à l’époque du Kaiser et persiste aujourd’hui.

    Liens et sources

    Maueropfer
    http://de.wikipedia.org/wiki/Berliner_Mauer#Maueropfer

    Todesopfer an der Berliner Mauer
    http://de.wikipedia.org/wiki/Todesopfer_an_der_Berliner_Mauer

    Innerdeutsche Grenze
    http://de.wikipedia.org/wiki/Innerdeutsche_Grenze#Grenztote

    Verkehrstote
    http://de.wikipedia.org/wiki/Verkehrstote#Deutschland

    Suizid
    http://de.wikipedia.org/wiki/Suizid#Deutschland

    Warum sich im Osten mehr Menschen als im Westen umbringen
    http://www.welt.de/politik/article91841/Warum-sich-im-Osten-mehr-Menschen-als-im-Westen-umbringen.html

    Jeder Suizid ist einer zuviel. (2012)
    http://www.agus-selbsthilfe.de/info-zu-suizid/tod-durch-suizid/zahlen-und-statistiken

    In Deutschland nehmen sich jedes Jahr etwa 10.000 Menschen das Leben. Das sind doppelt so viele, als durch Verkehrsunfälle sterben.

    The Spy Who Came in from the Cold (film)
    http://en.wikipedia.org/wiki/The_Spy_Who_Came_in_from_the_Cold_%28film%29

    Le livre
    http://en.wikipedia.org/wiki/The_Spy_Who_Came_in_from_the_Cold

    #mur #berlin

  • Toi aussi, procrastine avec l’alphabet glagolitique


    Alphabet glagolitique et ses équivalents en cyrillique (version bulgare). (via wikipedia)
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Alphabet_glagolitique

    Existe même en unicode http://www.unicode.org/charts/PDF/U2C00.pdf

    Résurrection de l’alphabet glagolitique http://fr.etapes.com/resurrection-de-lalphabet-glagolitique
    Neoglagolitic Alpha - Because each sound deserves a face
    http://www.behance.net/alphadesigner/Frame/625789
    La police glago en .otf
    http://alphadesigner.com/fonts/neoglagolitic-alpha.otf

    Selon Cubberley (1996 : 346 sq.), le glagolitique aurait été créé sur la base de l’écriture grecque cursive avant le milieu du IXe siècle et formalisé ensuite par Constantin. Le cyrillique aurait été créé en Bulgarie par ses disciples sur le modèle de l’onciale grecque, « plus digne » pour l’écriture de textes liturgiques. – Pour Schaeken & Hendrik (1999 : 75), par contre, le glagolitique serait l’œuvre du seul Constantin. – Par ailleurs, note Cubberley, on a trouvé des manuscrits en glagolitique surchargés avec des inscriptions en cyrillique, et jamais l’inverse. Mais aucun de ces deux faits ne peut être considéré comme une preuve définitive de l’antériorité du glagolitique.

    http://j.poitou.free.fr/pro/html/scr/cyrl.html

    Un sujet un peu chargé en Bulgarie (à propos d’une expo artistique sur les runes glagolitiques)

    « L’objectif de l’exposition est de provoquer dans la mesure du possible l’intérêt pour l’histoire bulgare, de provoquer de la fierté de notre appartenance nationale, explique Pavlin Pétrov. Le Bulgare a besoin qu’on lui remonte le moral et je crois que par le biais d’expositions de ce genre, grâce à la découverte de l’histoire bulgare nous nous sentirons plus fiers et plus dignes de prendre la place qui nous revient au sein de la famille européenne ».

    http://bnr.bg/sites/fr/Lifestyle/HistoryAndReligion/Pages/201211_glagolitique.aspx

    Et en musique (à l’origine de ces 3/4 d’heures de dérive glagolitique) :

    Janáček écrit cette messe avec une liturgie dite en slavon glagolitique, du slave ancien datant du temps de l’évangélisation des Balkans par St Cyrille — langue dont découlera ensuite l’alphabet cyrillique. C’est forcément un peu tapé du bulbe rachidien, mais dans la cathédrale, ce solo d’orgue c’est fantastique : les basses sont énormes, le son envahit l’espace dans les fumées d’encens.

    http://www.yoboom.org/Leos-Janacek-Messe-glagolitique

    Et un site pour encore des heures de découverte alphabétique (chic)
    Le site de tous les alphabets http://pedroiy.free.fr/alphabets/index.php

    LA GLAGOLITSA : the last glagolitic mass in Croatia (avec l’album en téléchargement en creative commons)
    http://vimeo.com/45783509

    #typographie #alphabet #nationalisme #musique #unicode #otf #procrastination #film #creative_commons