• #Aimé_Césaire, volcan toujours actif
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/04/10/ecrits-politiques-1935-2008-aime-cesaire-volcan-toujours-actif_5448423_3260.

    « Il est de mode de dire beaucoup de mal de la politique. C’est très facile de venir dire que la politique m’a détourné de l’essentiel, c’est un lieu commun, n’est-ce pas ? Que j’ai perdu beaucoup de temps, que j’aurais dû me consacrer à mon œuvre. » Ainsi se confie Aimé Césaire (1913-2008) à son ami le poète Daniel Maximin, en 1983, alors qu’il fête ses 70 ans, dont déjà trente-huit à la mairie de Fort-de-France (qu’il dirigera, douze fois réélu, pendant cinquante-six ans) en même temps qu’à l’Assemblée nationale (où il siégera, quatorze fois réélu, pendant quarante-huit ans), sans parler de ses fonctions au conseil général, au conseil régional, au Parti populaire de la Martinique. L’accumulation des durées et des fonctions donne le vertige.

    #racisme

  • « Le mouvement des gilets jaunes a permis à beaucoup d’inventer une parole politique », Laurent Jeanpierre
    https://www.liberation.fr/debats/2019/08/23/laurent-jeanpierre-le-mouvement-des-gilets-jaunes-a-permis-a-beaucoup-d-i

    Si on raisonne à l’échelle du mouvement, il faut distinguer deux moments : une phase ascendante à partir de novembre 2018, puis une phase de déclin qui débute avec la destruction des abris sur les ronds-points fin janvier 2019. Dans la première période, on observe un des effets quasi miraculeux du mouvement : des divisions très ancrées dans les imaginaires, entre « ceux qui bossent » et « ceux qui ne foutent rien », s’estompent (elles reviendront lors du déclin du mouvement).

    #Gilets_jaunes #subjectivité #reproduction

    • « In girum », de Laurent Jeanpierre : situer les « gilets jaunes » ?, Jean Birnbaum
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/08/29/in-girum-de-laurent-jeanpierre-situer-les-gilets-jaunes_5504038_3260.html

      Dans un essai captivant « In girum », le professeur de science politique et intellectuel de gauche tente de cerner la « révolte des ronds-points », en se laissant ébranler par elle.

      Des « gilets jaunes » au « rond point des Gaulois », à Saint-Beauzire (Puy-de-Dôme), le 15 décembre 2018. THIERRY ZOCCOLAN/AFP

      Si l’essai de Laurent Jeanpierre émeut d’emblée, c’est qu’il assume la fragilité qui donne force à ce genre : méditant le mouvement des « gilets jaunes », l’auteur « essaye » pour de bon, et proclame la nécessité d’un humble tâtonnement. Ici, la modestie requise est à la fois scientifique et politique. Laurent Jeanpierre dit en substance : comme professeur de science politique mais aussi comme intellectuel de gauche, je suis l’héritier de modèles qui menacent d’écraser la nouveauté des actions vécues sous le poids d’une spéculation vétuste ; voilà pourquoi je ne prétends pas énoncer la « vérité cachée » de la rébellion jaune, je souhaiterais simplement me « laisser ébranler » par elle.

      Cette révolte a ruiné les certitudes des docteurs en insurrection
      De fait, l’ensemble de l’ouvrage, rédigé d’une plume sensible, se déplie au conditionnel. Son auteur rappelle d’abord les traits spécifiques de cette révolte : en rupture avec les légitimités traditionnelles, apparemment privée de cohérence idéologique et de débouchés politiques, obtenant par l’émeute ce que les défilés syndicaux étaient impuissants à conquérir, elle a ruiné les certitudes des docteurs en insurrection, militants de gauche comme chercheurs en sciences sociales.

      Les uns et les autres vacillent devant les ronds-points ? Oui, parce que leur culture commune demeure ancrée dans une certaine période, celle du capitalisme fordiste. A l’époque, le mouvement ouvrier formait l’archétype de tout combat émancipateur ; l’usine se tenait au centre des ­conflits ; les syndicats comptaient ; et même la sociologie. Quiconque a lu Alain Touraine, entre autres, sait que ce monde-là est entré en crise depuis des lustres. Mais Jeanpierre montre bien que le « moment jaune » marque son cruel enterrement.

      Au point d’ouvrir un nouveau cycle de luttes ? Laurent Jeanpierre se garde de toute réponse trop assurée. Mais il suggère une hypothèse. Par-delà leur diversité générationnelle et sociale, avance-t-il, les « gilets jaunes » auraient en commun d’être des « entravés », dont la mobilité spatiale ne recoupe plus aucune mobilité sociale ; sur les ronds-points, ils et elles auraient voulu rebâtir un lieu de vie, des espaces de rencontre et de solidarité ; sans rêver de révolution anticapitaliste, les « gilets jaunes » appelleraient donc de leurs vœux « le réencastrement de l’économie dans les réseaux de solidarité effectifs, plutôt que dans le marché, et au service des individus ». Conclusion : leur action viendrait essentiellement conforter une « relocalisation de la politique », à rebours de l’élan internationaliste qui avait animé, au tournant des années 2000, la galaxie « altermondialiste ». Afin d’étayer cette hypothèse, Laurent Jeanpierre situe la révolte des ronds-points dans une constellation planétaire « d’utopies politiques locales », dont il décrit avec finesse les succès et les impasses : zadisme, mouvement des « places » grecques, kibboutzim israéliens, révolte au Chiapas, « mairies rebelles » de Catalogne…

      Cette façon de prendre recul et hauteur produit des effets ambivalents. D’une part, elle permet à Laurent Jeanpierre de signer les pages les plus passionnantes de son livre. Mais, d’autre part, elle en ­exhibe la contradiction intime, celle qu’endure tout théoricien de l’émancipation confronté à un mouvement social, et désireux de dévoiler sa signification. A l’origine de ce bref essai, on s’en souvient, il y a le refus des jugements surplombants. En cela, Laurent Jeanpierre se place dans le sillage d’une certaine pensée anarchiste : pure dissidence des âmes et des corps, la révolte se passerait d’explication.

      Psychanalyste malgré lui

      Mais on ne se refait pas. Le savant a la mémoire longue et l’esprit conquérant. Si bien qu’au fil des pages Laurent Jeanpierre prête aux révoltés des ronds-points telle ambition « inconsciente », telle intention « qui leur échappe ». Sous sa plume, on voit alors resurgir ce maudit lexique de la « vérité cachée » dont il prétendait s’affranchir. Psychanalyste malgré lui, il évoque même les « tendances conservatrices ou néofascistes qui ont traversé le mouvement ».

      Ce point est mentionné à plusieurs reprises, comme en passant. L’approfondir aurait ­permis de « se laisser ébranler » jusqu’au bout en posant les questions suivantes : est-il possible de refuser, comme Laurent Jeanpierre le fait, la disqualification globale du mouvement par ceux qui le réduisent à ces « tendances néofascistes », tout en interrogeant le sens de ces pulsions ? Alors que d’autres mobilisations, au cours des dernières décennies, avaient aussi imposé un nouveau répertoire d’action collective (happenings d’Act Up, occupations par les sans-papiers, coordinations infirmières, forums altermondialistes…), comment expliquer qu’aucune d’entre elles n’ait jamais été suspectée d’une quelconque « tendance néofasciste » ? S’il y a là une singularité, se pourrait-il que la mobilisation des « gilets jaunes », loin de s’inscrire dans l’histoire des gauches et des luttes d’émancipation, ait eu pour vocation de rompre avec la tradition du mouvement ouvrier, voire d’en finir avec elle ?

      « In girum. Les leçons politiques des ronds-points », de #Laurent_Jeanpierre, La Découverte, « Cahiers libres », 192 p., 12 €.

      #livre #révolte #insurrection #émeute #militants #capitalisme-fordiste #usine #Mouvement_ouvrier #entravés #rupture #utopies_politiques_locales #néofasciste (tendance)

    • In Girum - Les leçons politiques des ronds-points, Laurent Jeanpierre, extrait
      https://books.google.fr/books?id=uAaqDwAAQBAJ&pg=PT10&source=kp_read_button&redir_esc=y#v=onepa

      « ... la politique en trouve pas sa consistance dans les discours et n’est pas avant tout une affaire d’opinion, de revendications, de programmes. »

      #entravés #espoirs_périphériques #reproduction #communes
      @monolecte @parpaing @kaparia @cie813 @vanderling @mona @recriweb et aux autres, bien sûr.

    • Rencontre avec l’auteur ce soir vendredi 6 septembre 2019.

      « La Librairie Petite Egypte (35 Rue des Petits Carreaux, 75002 Paris, Métro Sentier) me fait l’amabilité de m’inviter à présenter l’essai que je viens de publier aux Éditions La Découverte (In Girum. Les leçons politiques des ronds-points).
      J’en présenterai quelques aspects sous forme de dialogue à partir de 19 heures. La discussion sera suivie d’un pot amical. »

  • « L’Invention de la Terre » : le géographe Franco Farinelli déshabille la planète

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2019/05/22/l-invention-de-la-terre-le-geographe-franco-farinelli-deshabille-la-planete_

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    La Terre, autrefois, était nue. Elle ne l’est pas restée longtemps. Tel est à peu près le récit des origines du monde que fit, au VIe siècle avant notre ère, Phérécyde de Syros. Le vide, comme toujours dans les mythes, était peuplé, mais de trois êtres seulement : le Ciel, la Terre et l’Océan. Le fragment conservé du livre où le philosophe racontait leur histoire montre la Terre, alors appelée Chtôn, s’avancer voilée vers le Ciel sous les yeux de l’Océan, maître de cérémonie. Le voile tombe, apparition fugitive du corps nu de l’épouse, que le Ciel recouvre d’un manteau brodé d’images de fleuves, de lacs, de montagnes.

    #géographie

    • « L’Invention de la Terre » : le géographe Franco Farinelli déshabille la planète

      Les cartes du monde nous dissimulent l’essentiel : sa beauté nue. L’éminent géographe italien invite à sa redécouverte et réinvente sa discipline dans son nouvel et étincelant essai.

      La Terre, autrefois, était nue. Elle ne l’est pas restée longtemps. Tel est à peu près le récit des origines du monde que fit, au VIe siècle avant notre ère, Phérécyde de Syros. Le vide, comme toujours dans les mythes, était peuplé, mais de trois êtres seulement : le Ciel, la Terre et l’Océan. Le fragment conservé du livre où le philosophe racontait leur histoire montre la Terre, alors appelée Chtôn, s’avancer voilée vers le Ciel sous les yeux de l’Océan, maître de cérémonie. Le voile tombe, apparition fugitive du corps nu de l’épouse, que le Ciel recouvre d’un manteau brodé d’images de fleuves, de lacs, de montagnes.

      L’épouse, dès lors, n’est plus Chtôn, souligne Franco Farinelli, qui rapporte la scène dans L’Invention de la Terre. Au moment où elle revêt la forme du monde, ou de ce qui sera, désormais, le monde pour nous, elle devient véritablement Terre, « Gê ». « Chtôn », vieux nom tombé au sol comme le voile, restera dans un adjectif, « chtonien », qui signifie, précise Farinelli, « souterrain, obscur », et renvoie au vide, ou au vague, originel – à l’abîme.

      Qui verra, de nouveau, la nudité de Chtôn ? Double exploration, des figures du manteau et de ce qu’il laisse entrevoir, de l’ordre du monde et du chaos sur lequel, peut-être, celui-ci repose, L’Invention de la Terre prolonge les intuitions de Phérécyde, comprises comme l’expression d’un avertissement : « Voyant l’image de ce qui existe, nous croyons voir ce qui existe », écrit Farinelli, lisant son lointain prédécesseur.

      Le grand géographe italien, professeur à l’université de Bologne, poursuit dans ce livre d’une intelligence étincelante, paru en 2007 en Italie et enfin traduit, le travail de sape qui résume son œuvre, démontage méthodique des représentations du monde construites par la modernité occidentale. Mais qui sape connaît, qui démonte voit de plus près, pièce à pièce, l’objet de son acharnement. De sorte que L’Invention de la Terre se présente d’abord comme une traversée virtuose de deux millénaires d’inventions conceptuelles, à travers les mythes – de la Genèse à l’Odyssée, en passant par l’Enuma Elish babylonienne – et l’histoire de la pensée philosophique et scientifique.

      Géométrisation de l’espace

      Une épopée qui a une protagoniste : la carte géographique, et un enjeu constant : soumettre l’irrégularité du monde aux règles de l’esprit humain. Continuer, en somme, d’habiller la Terre. Le premier dessin qui en fut établi, toujours au VIe siècle avant notre ère, par Anaximandre de Milet, ou, huit siècles plus tard, l’établissement par Ptolémée des règles fondamentales de la cartographie relèvent d’un élan de rationalité où la modernité trouvera sa source. Ainsi Christophe Colomb est-il, selon Franco Farinelli, un héritier de Ptolémée, celui-ci ayant, par la géométrisation de l’espace, créé les conditions « de continuité et d’homo­généité » sans lesquelles le navigateur ­génois n’aurait pu imaginer tracer une ­ligne droite vers l’inconnu.

      La géographie ptolémaïque a d’ailleurs été redécouverte quelques décennies plus tôt, au début du XVe siècle, première étape d’une accélération de l’emprise rationnelle sur le monde qui va en changer la face, sans modifier en profondeur le rapport que l’humanité entretient avec lui. Jamais, rappelle Farinelli, les savants n’ont réellement cru que la Terre était plate. Mais ce qu’on appelle l’« écoumène », sa partie habitable, était, aux yeux des médiévaux, comme une île posée sur une sphère liquide, une île si petite que, de fait, ses habitants vivaient sur une surface plane. Avec la modernité, l’écoumène s’étend à l’infini. Il s’agit toujours, cependant, d’aplatir le monde pour s’y repérer, et le progrès scientifique et technique le permet comme jamais. Qui peut supporter de vivre dans l’immensité ? Qui, depuis les noces de Chtôn, a soulevé le manteau de la Terre ?

      Et pourtant, le voici bien déchiré. Il n’y a pas de cartes pour le cyberespace, pour la circulation instantanée des « unités immatérielles d’information » qui dessine le visage de notre siècle. Le monde se mondialise. Le globe se globalise. Il n’est plus possible, au cœur de ces boucles où le réel enfle et nous renverse, « de faire (…) semblant de croire que la Terre n’est pas ce qu’elle est » – « quelque chose de fonctionnellement discontinu, hétérogène ».

      Sous la surface du réel

      Nous sommes arrivés au point le plus haut de la schématisation du monde, de la réduction de son étrangeté « à une carte géographique » qui, pour Franco Farinelli, « a fondé la conscience occidentale » : l’enjeu est maintenant de redescendre, et au plus vite, puisque rien de ce que nous avions fabriqué ne tient plus debout. Redescendre non vers un âge d’or, une authenticité perdue de notre rapport au monde, mais plus bas, plus en dessous de la surface familière du réel, vers le « corps caché, chtonien, souterrain, obscur, abyssal de la Terre même ». Et recommencer les noces de la Terre et du Ciel.