• BD : case prison pour des contrefaçons de Tintin ?
    https://www.lemonde.fr/culture/article/2019/05/24/bd-case-prison-pour-des-contrefacons-de-tintin_5466701_3246.html

    Six mois d’emprisonnement ont été requis contre l’illustrateur Pascal Somon. Verdict mardi 28 mai au tribunal correctionnel de Reims.

    Dessiner Tintin peut-il conduire en prison ? Pour cocasse qu’elle paraisse, telle est la menace qui pèse sur Pascal Somon, 58 ans, illustrateur et auteur de BD. Attendu mardi 28 mai, le verdict du tribunal correctionnel de Reims pourrait provoquer un certain remous dans le milieu du 9e art, si la cour décidait de suivre le parquet qui, fin avril, a requis contre lui six mois d’emprisonnement ferme pour contrefaçon en récidive. Poursuivi par Moulinsart, la société de droit belge chargée de protéger l’œuvre d’Hergé, Pascal Somon n’en est pas à son coup d’essai. En 2015, la cour d’appel de Reims l’avait condamné à cinq mois de prison avec sursis et deux ans de mise à l’épreuve, pour les mêmes faits.

    Qu’est-il reproché à ce dessinateur peu connu, auteur de quelques albums, dans un style franco-belge, au tournant des années 1980 et 1990 ? De faire commerce de représentations de Tintin, signées de sa main, à travers la vente de dessins originaux et l’impression d’affiches. Propriétaire du personnage et de son exploitation sous la forme de produits dérivés, Moulinsart mène une lutte acharnée contre ceux qui reprennent à leur compte l’image de Tintin, même quand il s’agit de réalisations artistiques, comme c’est le cas ici.
    Sa condamnation, il y a quatre ans, n’a pas empêché Pascal Somon de poursuivre dans la même voie

    On ne fera pas insulte à Pascal Somon en disant qu’il n’a pas le coup de patte du maître bruxellois, mort en 1983. Ses « Tintin » s’apparentent à des posters mettant en scène le jeune reporter dans des situations ne figurant dans aucune de ses aventures. Tintin joue ici au golf, là au base-ball ; on le voit tatouer un explicite « Hommage à Hergé » sur le bras du capitaine Haddock, conduire une moto, poser devant un avion de chasse, passer du bon temps avec une femme… Si certaines illustrations font clairement référence aux albums les plus fameux de la collection, elles ne sont jamais des copies de cases ou de couvertures existantes.

    « Aucune confusion possible »

    « Il s’agit d’interprétations. J’ajoute des éléments supplémentaires afin qu’il n’y ait aucune confusion possible. En aucun cas, je ne dégrade l’œuvre d’Hergé pour laquelle j’ai beaucoup de respect », se défend le dessinateur dans son atelier du centre de Reims. Réalisés pour le compte de tintinophiles et de collectionneurs, ses dessins mêlant gouache et crayons de couleur font également évoluer Tintin dans les univers graphiques d’auteurs de BD admirés, tels que Bilal, Moebius, Druillet, ou encore l’illustrateur américain Norman Rockwell. Sa dernière réalisation montre le héros à la houppe dans le costume d’Arzach, personnage de SF mutique créé par Jean Giraud, alias Moebius, dans les pages de Métal Hurlant.

    Tout a commencé en 1988 avec une affiche inspirée des Cigares du pharaon, quatrième album de la série. « Au départ, j’ai dessiné Tintin par plaisir. Et puis des particuliers ont commencé à me passer des commandes. Je n’aurais sans doute pas dû imprimer des affiches et les vendre. Ceci étant, je n’ai pas fait fortune avec cela. Je ne roule pas en Porsche », précise-t-il.

    Les problèmes ont, eux, débuté il y a une dizaine d’années. Découvrant des « Tintin » de Pascal Somon sur les murs de la librairie spécialisée Album, à Paris, Moulinsart les fera décrocher et renvoyer à leur auteur, avant d’engager un recours contre ce dernier. Le plagiat ne fait aucun doute pour la société belge qui accuse également le dessinateur rémois de porter atteinte au vœu d’Hergé, qui ne voulait pas que son héros lui survive, d’une façon ou d’une autre.

    Sa condamnation, il y a quatre ans, n’a pas empêché Pascal Somon de poursuivre dans la même voie. En 2017, de nouvelles affiches représentant Tintin et portant sa signature sont découvertes par Moulinsart chez un antiquaire d’Annecy. Le dessinateur est à nouveau assigné en justice, avec, cette fois, l’épée de Damoclès que fait peser la récidive.

    « On ne va quand même pas jeter au trou quelqu’un sous prétexte qu’il dessine des Tintin », s’emporte l’illustrateur. Mais si cela devait arriver ? « Alors apportez-moi des oranges. Bleues de préférence », dit-il dans un clin d’œil au deuxième long-métrage en prises de vue réelle des aventures de Tintin, Tintin et les oranges bleues (1964).