Le politologue Loïc Blondiaux : “Le Grand Débat national prend parfois des allures de monologue” - Idées

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  • Le politologue Loïc Blondiaux : “Le Grand Débat national prend parfois des allures de monologue” - Idées - Télérama.fr
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    Voulez-vous dire que le moment politique que nous vivons peut déboucher sur la fin de la démocratie ?
    Le slogan « Vous ne nous représentez pas » est une des figures classiques de la contestation du gouvernement représentatif. Depuis la Révolution française, les représentants ont toujours été accusés de ne pas représenter les citoyens avec assez de fidélité, de ne pas être assez à l’écoute. Mais aujourd’hui, le passage au « Nous ne voulons pas être représentés » apparaît comme un tournant dans l’histoire de nos systèmes politiques. Cette critique qui émerge et s’exprime dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes est d’une radicalité nouvelle. Elle dénonce la trahison des représentants. Elle refuse le recours à la représentation pour l’organisation même du mouvement. Et elle prône des solutions politiques telles que le référendum d’initiative citoyenne ou le tirage au sort, qui renvoient à une tout autre forme d’expression de la souveraineté populaire que la représentation.

    Cette critique radicale de toute médiation, celle des élus, des partis, des syndicats, marque une aspiration à la démocratie directe, dont les possibilités de matérialisation ne sont pas infinies. Soit on envisage une forme de « démocratie immédiate », pour reprendre l’expression de Pierre Rosanvallon, outillée par le référendum, les réseaux sociaux et les plateformes numériques, laissant espérer une forme d’autogouvernement du peuple à l’échelle nationale. On peut essayer de l’expérimenter, mais on n’a jamais vu qu’une telle forme de démocratie sans intermédiaires puisse s’inscrire durablement dans la réalité.

    Soit on bascule dans un régime autoritaire, celui que proposent les « populistes » d’extrême droite, dans lequel un « peuple » prétendument homogène, défini par sa supposée « pureté » morale, a vocation à s’incarner dans la volonté d’un leader. Le risque, on le voit, est élevé.
    “Il devient impératif de prendre enfin au sérieux le recours aux instruments d’interpellation ou d’initiative citoyen­nes tels que le référendum.”

    Comment répondre alors à la crise de la démocratie ?
    Si l’on considère qu’il est possible d’échapper à une dérive autoritaire, on peut faire le pari de certains théoriciens : inventer une alternative, celle par exemple du municipalisme libertaire de Murray Bookchin, penseur américain de l’écologie et de l’organisation politique. Elle consiste à faire reposer la démocratie sur des formes d’auto-organisation citoyenne à l’échelle municipale et sur un principe de fédération d’inspiration proudhonienne, où chaque entité locale envoie des représentants à l’échelle supérieure dans une logique confédérative. C’est un saut dans l’inconnu et les défenseurs de ce modèle n’ont pas encore eu la possibilité de l’expérimenter. Mais pourquoi pas ?

    _ Tout se joue à l’école. La pédagogie, les savoirs, les expériences valorisés par notre système scolaire ne sont pas compatibles avec l’exercice futur de la démocratie. On apprend à se comporter en individu compétiteur égoïste ; on ne développe pas l’esprit de coopération, le travail de groupe. On n’insiste pas suffisamment sur l’expression orale, qui prépare à l’exercice de la parole politique. Seul l’écrit est valorisé. On culpabilise ceux qui échouent.

    A l’inverse, on survalorise ceux qui réussissent et se conforment à des modèles d’imitation de ce qui existe déjà. On ne favorise pas les capacités d’invention. Et on crée beaucoup de frustration, de sentiment d’illégitimité, de défiance à l’égard de soi-même et des autres en poursuivant cette pédagogie ultra compétitive, ultra individualiste, qui insiste sur les performances et les savoirs abstraits au détriment des savoirs d’expérience. _

    Malheureusement, les réformes en cours, Parcoursup par exemple, accentuent encore ces caractères antidémocratiques de notre système scolaire. Tout cela contribue largement à maintenir la distance que l’on voit aujourd’hui entre l’arrogance des élites sur-sélectionnées et sûres d’elles-mêmes et la souffrance en miroir de ceux qui ont échoué dans leur scolarité.


    #Démocratie #Education #Gilets_jaunes

    • Globalement, je n’aime pas le terme « paywall ». Il faut bien que les médias, les éditeurs, les auteurs,... vivent. Je suis éditeur, et je suis content que les livres se vendent, car cela permet d’en éditer d’autres. Si on refuse toute vente numérique, alors il n’y aura plus que les « mécènes » et autres « publicitaires » pour s’exprimer... déjà qu’ils sont majoritaires, ne leur laissons pas l’exclusivité.

      Sur l’interview, effectivement il date de quelques mois. Mais je crois qu’il ne faut pas se limiter à l’urgence. Les choses de fond ne changent pas si vite.

      Et puis j’aime beaucoup l’extrait que j’ai mis en gras... qui recouvre pleinement un livre que nous venons de publier : « A l’école du partage : les communs dans l’enseignement ».