Jedediah Britton-Purdy : « Trump est une farce. Mais c’est un bon politicien » - Page 1

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  • Jedediah Britton-Purdy : « Trump est une farce. Mais c’est un bon politicien »
    https://www.mediapart.fr/journal/international/040619/trump-est-un-bon-politicien-0

    En deux ans et demi, qu’a fait Donald Trump à la Maison Blanche, à part tonner et tempêter ? Il a remporté plus de victoires que l’on ne le croit, prévient Jedediah Britton-Purdy, professeur de droit à l’université Columbia. Politicien « destructeur », Trump remplit les cours fédérales de juges conservateurs, attaque l’environnement, mène une politique identitaire qui satisfait sa base.

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    • La stratégie politique passe aussi par les cours fédérales et la Cour suprême, des institutions très importantes dans le système politique américain. L’administration Trump a nommé plus de cent juges dans les cours fédérales, un record. En poste à vie, ils vont se prononcer pendant des décennies sur toutes sortes de décisions politiques majeures. Avec deux juges nommés par Trump, les très conservateurs Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, la Cour suprême a désormais une majorité conservatrice. Elle a validé le « muslim ban » et va à l’avenir se prononcer sur des décisions cruciales, comme le recensement, le droit de vote, la politique migratoire, la discrimination positive, le mariage des couples de même sexe. Plusieurs États (la Géorgie, l’Alabama, le Mississippi, l’Ohio, etc.) ont voté récemment des lois interdisant purement et simplement l’avortement, des lois illégales destinées à pousser le contentieux devant la Cour suprême...

      Il n’y a pas de stratégie plus puissante lorsqu’on est minoritaire politiquement que de s’appuyer sur les cours, qui sont les grandes institutions antidémocratiques de notre pays.

      Trump est membre d’un parti qui a depuis longtemps bénéficié de la restriction des prérogatives démocratiques. Avant lui, c’est la Cour suprême qui a amputé la réforme de la santé de Barack Obama d’une part substantielle, celle qui justement avait le plus d’impact pour les travailleurs et les pauvres. C’est elle qui a restreint la loi sur le droit de vote de 1965, elle encore qui a instauré en 2010 le droit de dépenser des sommes illimitées dans les campagnes politiques.

      Les libéraux commencent à comprendre ce que la gauche américaine a compris depuis longtemps : cette idée que les tribunaux opèrent selon de grands principes constitutionnels apolitiques n’a jamais été vraie. Les décisions des juges fédéraux ou de la Cour suprême sont une forme de politique, et même la forme de politique la plus favorable aux élites, la plus antidémocratique.

      Les prochaines décennies seront peut-être marquées par une résistance démocratique à ce gouvernement des cours, qui se placent souvent du côté du pouvoir établi et des riches.

      Le plus troublant est que les cours opèrent une forme de tyrannie politique du passé sur le présent et le futur. Les juges nommés aujourd’hui resteront à leurs postes à vie, à un moment où le niveau de carbone dans l’atmosphère aura peut-être dramatiquement augmenté. Le monde sera différent et ces gens-là, placés par un président minoritaire autour de 2017, décideront encore de la direction du pays. Ces juges sont placés là pour étendre au maximum l’influence de ce qui est, espérons-le, le dernier souffle du nationalisme extractif, cette version ploutocrate, masculiniste, ethnonationaliste et suprémaciste du parti républicain.

      Sa pratique du pouvoir ne risque-t-elle pas de créer un précédent ? Trump n’est-il pas en train d’étendre à un tel point les prérogatives présidentielles qu’il sera difficile de revenir en arrière ?

      Cette question est compliquée parce qu’en réalité, toutes les administrations américaines ont de plus en plus de mal à légiférer. La pression est donc grande de gouverner par le biais de décisions administratives et présidentielles. J’ai fait partie de ceux qui ont applaudi la décision de Barack Obama d’accorder en 2012 un statut aux 700 000 enfants nés de parents étrangers mais ayant grandi sur le sol américain [les fameux « Dreamers », dont Trump a annulé la protection, toutefois temporairement maintenue par les tribunaux – ndlr], et pourtant il faut bien admettre que cette décision a contribué à présidentialiser la politique migratoire.

      Le problème est que de nombreux libéraux continuent de considérer Trump comme un accident, et non comme le symptôme d’une crise plus large. Comme l’ancien vice-président Joe Biden, ils pensent que tout irait bien si l’on pouvait revenir quatre ans en arrière.

      Mais même si le prochain locataire de la Maison Blanche n’est pas Trump, la question de notre capacité à produire des décisions démocratiques se posera tout autant. Trump ne fait pas que pervertir des institutions qui existaient avant lui. Il le fait de façon éhontément partisane, et nomme des juges notoirement incompétents. Qu’il puisse faire tout cela aussi montre que nos institutions ne sont pas démocratiques.